« ll y a deux histoires : l'histoire officielle, menteuse, puis l'histoire secrète,
où sont les véritables causes des événements. »
— Balzac.

Je suis né en l’an 2080. Je ne pourrai rien vous raconter d’alléchant sur ma naissance. J’imagine que comme tout nourrisson, ce fut un traumatisme de passer d’un environnement chaud et liquide à un environnement froid et hostile.  L’avantage c’est qu’à cet âge, notre mémoire ne conserve pas grand-chose de ce que l’on peut vivre, que cela soit traumatisant ou non.

Un an après ma naissance le blackout a privé le monde de toute électricité ; je n’ai donc pas connu les ordinateurs, les téléphones portables etc… J’imagine que toute cette technologie devait être importante pour mes parents et nos ancêtres, mais finalement notre famille s’en est plutôt bien sortie. Il faut dire que nous avons grandis, mes frères, sœurs et moi dans une famille des plus optimistes et croyantes.

Nous mangions après avoir prié, nous prions avant de nous coucher et chaque événement bénéfique était remercié. J’avoue qu’en grandissant je n’ai pas dérogé de la tradition familiale, me tournant même vers Dieu pour essayer d’offrir une vie meilleure à ma petite sœur et à mon père qui subissaient sans cesses les moqueries des autres.  Mais voir l’extérieur, comprendre notre environnement m’a fait de plus en plus douter. Dieu existe-t-il vraiment ? Et si oui, nous est-il vraiment si bénéfique ?

La réponse, j’ai fini par l’avoir lorsque ma petite sœur est tombée malade. J’étais le plus proche d’elle de mes frères et sœurs. Nous étions six en tout et tous avec un caractère bien défini et différent. Mais ma petite sœur était tout pour moi. Elle avait cette fragilité que je voulais protéger plus que tout et cette sensibilité qui la caractérisait plus que tout. Malgré tout, elle savait utiliser sa différence comme une force et je l’admirais pour cela. Si jeune et déjà si sage. La maladie l’a emporté malheureusement. Mon père a prié tous les jours.  Mais rien. La déception me gagnait. Je comprenais que le ciel ne pouvait rien faire pour nous. Il nous fallait de l’argent, de la technologie et surtout une bonne médecine.

C’est d’ailleurs probablement à cette époque que j’ai voulu devenir médecin. Je n’avais même pas dix ans. Sauver ma petite sœur est devenue une priorité.  Mais un cancer ne se soigne pas si facilement. Il faut des traitements lourds et surtout très cher. Or l’argent, nous n’en n’avions pas. J’ai vu un de mes grands frères  commencer à faire des petits boulots pensant pouvoir gagner assez pour un traitement. J’ai  poussé ma mère à écrire au ministère de la santé pour obtenir une aide. Elle était si jeune. J’ai pensé, à l’époque qu’ils auraient au moins de la pitié pour elle. Mais nous n’avons pas reçu une seule réponse. Et vint alors le jour fatidique de son décès…  J’avais onze ans.

Je l’ai gardé dans mes bras des heures durant refusant de croire qu’elle était partie rejoindre le paradis. Je l’aimais. C’était ma petite sœur. Ma petite pâquerette. Toujours souriante, toujours amusée par mes blagues à deux dollar.  J’avais beau être jeune, mes parents avaient fait de moi un garçon responsable et bien conscient du monde extérieur. J’ai compris que ce monde pourri était régi par l’argent et non une entité mystique qui répondait à nos prières. Je l’ai renié. J’ai abandonné la religion de ma famille, me rebellant également contre mon père qui s’obstinait à prier pour tout et n’importe quoi.

Et, voyant que l’injustice demeurait, je me suis engagé sur un chemin de combats pour ma petite sœur. Pour elle, j’allais devenir médecin et pour elle je dénoncerai le gouvernement. Quand on a pu récupérer la technologie, tout était tellement cher  que des simples familles comme la nôtre ne pouvait pas se l’offrir… admissible ? Absolument pas. Parfois, je me dis qu’on aurait dû conserver cette nanotechnologie et à nouveau couper le courant. Au moins tout le monde était à égalité, plus ou moins du moins.

Mon combat débuta alors avec une manifestation pour dénoncer le ministère de la santé. Je n’avais que quatorze ans. Malheureusement, je fus au mauvais endroit au mauvais moment. Mais j’avais fait entendre ma voix. J’avais fait ce que je pensais juste. J’avais défendu l’action de certains « sages ». Et, malgré mon passage en « cellule psychologique » j’ai commencé à réunir quelques personnes qui pensaient comme moi et à réfléchir à des actions à mener contre le gouvernement. Je savais bien que c’était dangereux, que le gouvernement ne se laisserait pas faire, cependant, quand on se bat pour quelque chose, on se doit d’aller au bout des choses.

Je me suis souvent disputé avec papa pour cette raison. Il avait confiance en Gordon, il disait qu’il était bon, qu’il faisait de bonnes choses pour nous, mais qu’il devait s’occuper des priorités. Que seul dieu pouvait nous venir rapidement en aide. Et malgré sa maladie, il en est resté convaincu. Touché par une fibrodysplasie ossifiante progressive, il a continué de prier chaque jour pour que la douleur cesse et pour que la mort ne le prenne pas trop vite. Je savais que ça ne fonctionnerait pas. Tout comme cela n’avait pas fonctionné pour ma petite sœur. Et les médicaments devenaient trop cher. Nous n’avons pas les moyens. Un jour, j’ai donc craqué… J’ai volé une pharmacie. En pleine nuit. Désespéré, ne voulant pas perdre un autre membre de ma famille pour un manque d’argent et d’intérêt du gouvernement dont j’étais convaincu qu’il agissait pour son propre intérêt, j’ai dépassé les limites.

Ce fut alors la fin d’une ère et le début d’une autre. Arrêté par les forces de l’ordre, je fus envoyé de force à l’Académie Weins. Je ne compris pas réellement pourquoi je devais considérer cela comme une punition.  Je n’avais que seize ans et je voulais devenir médecin, je m’étais déjà mis en tête depuis longtemps que de longues études m’attendaient.  Mais c’était ce qu’ils appelaient ma seconde chance. Pour eux, commencer mes études maintenant et dans cette académie prestigieuse me remettrait dans le droit chemin. Allons bon… s’ils le disaient.

J’ai donc été installé dans l’aile réservée à ce que l’on appelle les « Plombs ».  J’ai également suivi leur cours laborieux et ennuyants. J’ai fait mon bon petit soldat. Mais au fond de mon être un combat faisait toujours rage. Je voulais sauver mon père, je voulais honorer la mémoire de ma sœur et montrer au monde que l’argent reste une entité vile qui corrompt tous les cœurs.

Les cours étaient redondants et j’vais l’impression qu’ils me prenaient tout mon temps me faisant presqu’oublier ma mission principale. Me faisant même perdre de vue mon premier objectif : sauver des vies. Jusqu’au jour où j’ai rencontré Luka. Elle m’a fait découvrir l’hôpital de la Résistance Pacifique.  C’était une aubaine pour moi ! J’emmenais un blessé avec l’aide de Luka et mes ambitions revinrent aussitôt. Cette envie de sauver des gens, cette passion pour autrui. Le souvenir de ma sœur revint, cinglant, de même que celui de mon père agonisant presque sous la douleur…. Je devais les aider.  Je ne devais pas laisser l’école effacer de ma mémoire ce que je suis, ce pourquoi je suis né et je suis fait.

L’Hôpital devint vite mon échappatoire. Même si chaque fois que je m’éclipsais pour donner u coup de main je devais être plus rapide que le guépard et plus discret qu’une fourmi, arriver sur place et offrir mon aide me donnait une sensation d‘appartenance à un groupe ayant un vrai but solidaire. Bien sûr, cette participation a un coup et j’ai failli me faire prendre. Un soir, la trace de l’Hôpital a été découverte. Je n’étais pas loin. Et si quelqu’un m’avait vu, je ne suis pas sûr du sort qui m’aurait été réservé. D’autant que ma seconde chance m’avait déjà été donnée. Je devais à présent l’honorer de n’importe quelle manière. Le plus dur fut de rester en retrait alors que je les voyais arrêter les bénévoles et surtout Luka. Je l’admirais, elle était mon modèle, quelque chose en elle m’attirait. Sa force de vaincre, son envie d’atteindre son but en allant toujours plus haut et de défier tous les dangers. Elle m’avait beaucoup appris en peu de temps et je la voyais se faire embarquer par es flics. Pendant qu’elle risquait l’enfermement à vie, voire pire, car j’étais convaincu qu’ils étaient capables du pire, je m’enfuyais pour rejoindre la chaleur de ma piaule à l’Académie. L’Académie qui prônait les bienfaits du gouvernement.

Finalement… oui finalement, je ne sais plus vraiment où est le faux du vrai. J’ai des doutes… surtout sur le bienfait de toute cette mascarade. Je me demande ce qu’il est advenu de Luka. Je m’inquiète pour elle. Et en même temps je dois me tenir à carreau. Je ne sais pas d’où me vient ce principe mais il est ancré en moi… Et puis l’Hôpital sera-t-il reconstruit ailleurs ? J’aimerais bien, mais n’était-ce pas moi qui avait amené les flics jusqu’au clan ? Peut-être.. autant de questions et de doutes qui n’auront probablement jamais de réponse . tout ce que je sais c’est que quelque chose en moi change. Je ne le vois pas concrètement, mais je le ressens par quelques aspects de ma personnalité… J’espère juste que les photos de ma famille m’aideront à conserver ce qui fait de moi ce que je suis : mon passé.

« Un homme de caractère n'a pas bon caractère. »
— Jules Renard.

On me confond parfois avec un idéaliste rêveur, cependant j’ai des principes, des buts et des espoirs comme le tout à chacun. Certes je rêve d’un monde sans guerre et sans injustices. Certes je suis plus calme et doux que bagarreur. N’en reste pas moins que je suis un garçon qui ne trompe pas autrui et qui quoi qu’il fasse respecte les autres et ses propres convictions. Si je ne vous aime pas, vous le saurez très rapidement. Au contraire, si je vous apprécie il en sera de même, d’autant que je suis quelqu’un d’assez tactile. Pour moi le toucher exprime ce que la parole ne peut faire. C’est pourquoi des choses comme passer à l’acte ne se font, je pense, pas à la légère.

Parfois j’ai l’impression de ne pas être comme la plupart des autres gars que je côtoie à l’Académie ; Ils ne pensent qu’à ça, alors que personnellement, j’ai été attiré par Luka et je sens comme une attraction avec Harmony, mais je n’y pense pas vraiment. J’aime les avoir dans mes bras, j’aime passer une mèche de cheveux rebelle derrière leurs oreilles, mais ça ne va pas plus loin. J’aime charmer en fait. Cela doit être ça. Et puis, il faut le dire, je n’ai pas eu beaucoup de relations, peut-être pas assez pour être très sûr de moi à ce niveau-là.

Sinon, point de vue relationnel, on peut me confier n’importe quel secret. J’ai appris avec le temps qu’il ne faut pas faire facilement confiance et qu’il faut savoir avoir son jardin secret.
Le mien est parfait. Il se situe dans un endroit bien caché de mon cerveau et là-bas se faufilent toutes les informations que je ne devrais pas avoir, que cela soit sur la résistance ou bien sur l’Académie. J’essaye même d’y dissimuler ma résistance aux cours.  Ce qui fait de moi un acteur né. Je n’aime pas mentir, et je crois que je m’adonne au mensonge en ultime recours. Au final, au quotidien vous aurez en face de vous un garçon doux, fidèle et charmeur qui a soif de paix et de justice.

Je me bats pour des principes et je lâche difficilement le morceau. Je suis tenace aussi longtemps que possible. Quitte à trouver des moyens pour me rappeler à l’ordre si je sors de la route principale. Bien sûr, comme tout le monde j’ai peur, que cela soit de la mort ou des araignées, cependant j’estime que la vie vaut la peine d’être vécue et que les proches sont un motif assez important pour leur rendre justice et hommage. Bien sûr, je fais là référence à ma petite sœur ou encore à mon père qui a souffert et souffre encore…