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Toutes les choses vraiment atroces démarrent dans l'innocence [JJ]
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MessageSujet: Toutes les choses vraiment atroces démarrent dans l'innocence [JJ] Toutes les choses vraiment atroces démarrent dans l'innocence [JJ] Icon_minitime1Ven 2 Oct - 14:02

Toutes les choses vraiment atroces démarrent dans l'innocence [JJ] Jorgen10

Jorgen ne se souvenait plus d'avoir un jour été un enfant. Cette époque était pourtant réelle, il le savait pertinemment. Jouait-il au voleur ? À chat ? Avait-il seulement un ami avec qui s'amuser, un animal de compagnie peut-être ? Il n'avait jamais aimé s'en prendre aux animaux, et n'avait pas de proches connaissances. Peut-être était-ce un indice sur ce qu'avait été sa vie passée. Lorsque l'on n'a pas grand-chose à quoi se raccrocher, les plus maigres brindilles semblent se muer en solides racines. Il avait besoin de ça, de ce sentiment d'appartenir à quelque chose. Assis à même le sol, l'humidité ambiante de la pièce lui aurait serré les poumons, s'ils avaient fonctionné. L'odeur était désagréables, et le moisi au plafond ressemblait à de petites plantes grimpantes. Les insectes d'argent, friands d'humidité, passaient ici et là, éveillant un vague intérêt chez lui. Il se souvenait de les écraser, lorsqu'il était à l'hôpital. Sa petite salle de bain comportait une minuscule fenêtre à rebord, sur laquelle se glissaient-ils parfois, en quête de quelque chose à grignoter, sans doute. Il n'en avait jamais eu après les animaux, bien au contraire, mais il détestait ces petites bêtes. En fait, elles le répugnaient. Il avait toujours eu le sentiment qu'elles avaient le pouvoir de s'insinuer en lui. Dans ses cavités. À cette pensée, une moue s'afficha sur son visage, qu'il détourna lentement de la vue des bestioles.

Son médecin avait émis l'hypothèse que son dégoût des insectes soit lié à un trouble d'ordre sexuel. Jorgen détestait le sexe. Bien plus que les insectes, le sexe le révulsait, lui retournait l'estomac. Il ne pourrait jamais partager ça avec un autre individu. L'idée même de se trouver nu, sa peau contre celle d'une autre, lui arracha un frisson de dégoût. Ses fluides n'avaient pas besoin d'être partagés, mêlés à d'autres. Il n'avait pas besoin d'être souillé, sali jusqu'à l'os, pour satisfaire une envie qui n'avait jusqu'à présent jamais germé en lui. Le plaisir, ça n'était pas ça. Lorsqu'il se redressa, il sentit sur son corps qu'une pellicule moite s'y était déposée, comme si l'humidité de l'air s'était greffée à ses vêtements, à ses cheveux. Il se frotta lentement les mains, en passant un dernier regard circulaire sur la pièce vide, et entreprit finalement de monter les escaliers. Le bois humide menaçait de s'effondrer sous ses pas, mais il n'accéléra pas la cadence pour autant. Lorsque son doigt s'écrasa sur l'interrupteur sale, il sortit, et referma la porte sur lui. Cette cave était très clichée. Très vieille, très sale, un peu angoissante. Toutes les caves sont un peu sales et effrayantes, il n'avait pas eu à y faire quoique ce soit. Un frottement dans la cuisine attira son attention.

« Ah, bonsoir. Comment ça va, aujourd'hui ?
– Très bien, monsieur, dit la femme, en relevant un visage souriant vers lui. Ma fille fêtera ses dix-sept ans après-demain.
– Déjà ? Vous pourrez prendre votre soirée, vous savez. On en avait déjà discuté.
– C'est très gentil, monsieur. Ma mère fera le voyage depuis l'Italie, ça faisait trois ans que nous ne nous étions pas vues...
– Je sais à quel point il faut privilégier les relations maternelles..., la coupa-t-il, agitant sa main comme pour éloigner un insecte. Croyez-moi. »

Un sourire sur le visage, il abandonna la femme à son travail, et se dirigea vers le salon. La maison était très grande, bien trop spacieuse pour une seule personne. Il lui fallait bien quelqu'un pour l'aider à nettoyer tout cet espace. Il désirait avant tout quelque chose de fonctionnel ; le bâtiment était presque entièrement électrique. Une télécommande pour la caméra située au-dessus du portail, pour les fenêtres, pour verrouiller la porte d'entrée, pour les lumières, le portail, le garage. Il n'avait encore jamais vraiment vécu dans un quartier aussi... vivant. Tout autour de la sienne, de magnifiques pavillons se dessinaient. De magnifiques portraits de familles, de magnifiques femmes, de magnifiques enfants, de magnifiques voitures. Un superbe cadre, pour se refaire. Pour partir d'un meilleur pied.
Il se laissa tomber sur le canapé en cuir, outrageusement large. Jorgen se pencha en avant, alluma la télévision, une cigarette bientôt portée à ses lèvres, et un catalogue très fin, aux couleurs criardes, qui semblait lui brailler « PETITS PRIX ! SOLDES ! DERNIÈRES CHANCES ! ». Dernière chance. Voilà bien ce dont il avait besoin. La cigarette pendue à ses lèvres, affaissée vers le sol, il feuilletait nonchalamment les feuilles fines, fragiles, du catalogue. Il releva la tête lorsque la femme qu'il employait pour le ménage s'approcha, et posa un cendrier sur la table en verre.

« Merci... Dites, vous sauriez à quelle heure ça ferme, ça ?, dit-il en secouant le catalogue, avant de poser sa cigarette sur le rebord du petit cendrier vert.
– Je crois bien que ça ferme à vingt heure trente, monsieur, répondit-elle en se tournant vers la télévision, qui affichait 19:17. Il n'y a plus de soleil, dehors...
– Oui... Avec mon hypersensibilité au soleil... dit-il d'un air entendu, et elle acquiesça, contrite.
– Vous avez besoin de quelque chose ?
– Bof... Je vais peut-être organiser une petite fête d'Halloween. Sans prétention... »


*****


Les avant-bras appuyés contre le chariot de courses, il déambulait, le dos rond et les épaules voûtées. Toute sa vie, il ressemblerait à un adolescent, vraisemblablement. Un câble blanc, très fin, sortait de la poche de sa veste, et se séparait finalement en deux au niveau de sa poitrine ; les écouteurs enfoncés dans les oreilles, il reproduisait l'air de ce qu'il écoutait en tapant ses doigts contre le métal froid du caddie. Le visage parfois tourné à droite, parfois à gauche, il observait les rayons, sans ajouter quoique ce soit à ses courses, pourtant. Il voulait d'abord apprécier tout ce que le magasin avait à offrir. De toute évidence, s'il voulait un effet réussi, il lui faudrait mettre la main à la pâte. Un petit pot rempli de liquide épais, tremblotant et ressemblant à s'y méprendre à du pudding, contenait un petit œil, tout rond, et étrangement propre. Se faisant la réflexion qu'ils auraient pu y ajouter un peu de faux sang, il le jeta dans son chariot. Tant pis, il prendrait ce que le magasin avait à disposition. Fausses toiles d'araignée, citrouilles creusées, voiles déchirées, petits fantômes, araignées en plastique... Liquides de toutes sortes de couleurs, mannequins sans tête, majordomes « effrayants », bougies. Le chariot se remplissait, plutôt rapidement.
Il avait toujours aimé Halloween. Comme si cette soirée, cette unique soirée, représentait tout ce qu'il adorait. Plus encore, il avait le sentiment de ne pas avoir à se cacher, ce soir-là. Tout le monde cherchait de quoi être effrayé, tout le monde cherchait à parler des sujets les plus atroces, les histoires les plus abominables, dont ils n'avaient encore jamais entendu parler.

« Alors, on prépare une petite fête de l'horreur ?, demanda la caissière, d'un air vaguement intéressé.
– De toute évidence, répondit-il, un sourire sur le visage. Dites-moi... Pour un costume sur-mesure, vous connaîtriez pas un couturier dans le coin, par hasard ? »


*****


« Non, je ne fais pas dans l'original, cette année. J'aimerais juste être... quelqu'un d'autre. Vous savez, le personnage que je vais incarner cette année à une grande symbolique. Pour moi, en tout cas, acheva-t-il, en posant soigneusement le masque sur son visage.
– Vous me faites très peur, là-dedans, dit-elle avec un petit rire.
– Il n'y a pas beaucoup de tissu, pourtant. Si vous saviez combien ça m'a coûté, pour une... jupe..., dit-il finalement, un sourire amusé sur le visage, qu'elle ne put voir.
– Ma fille m'a demandé si elle pouvait venir, à ce propos... »

Le silence se fit dans la pièce, et Jorgen déglutit lentement. Il passa ses doigts sur son masque anguleux, presque coupant, puis sur son torse nu, et sur le tissu un peu rêche. Certains endroits semblaient encore plus rudes au toucher, et il devina qu'il passait ses doigts sur les zones tâchées de « sang », dont le liquide avait un peu séché. Il poussa un léger soupir, ôta finalement son masque de ses deux mains, et le posa sur le lit. Son regard planté dans celui de la femme, il resta silencieux quelques secondes. Elle était bien portante, et pas très grande de taille. Pas grasse, mais le poids des années et des grossesses avaient marqué son corps. Un visage jovial, et de longs cheveux très lisses, qu'elle attachait pour travailler.

« Écoutez... Vous êtes très gentille. Depuis le début. Vous vous occupez de moi, et je vous en suis très reconnaissant. Alors... dites-lui de ne pas venir. »

Il se détourna de la femme qui avait été la seule présence régulière qu'il côtoyait depuis des semaines, en ôtant son large masque. La couturière le lui avait fabriqué, et il représentait certainement le plus gros du prix qu'il avait payé. Il n'était pourtant pas très compliqué à travailler, selon lui. Il le posa sur le comptoir de la cuisine, et retourna dans le salon, s'appuyant sur le canapé en cuir.
Il lui fallait encore décorer entièrement la maison, et engager du personnel. Il se pencha vers la table basse et tira son ordinateur vers lui. À l'aide de son t-shirt, il nettoya l'écran, sali de traces de doigt, et réfléchit quelques secondes. Le cannibale de Rotenburg avait trouvé de la compagnie sur internet. Internet, c'est un peu le néant, et un tout, à la fois. C'est un peu la déchéance de l'humanité et son apogée. Internet, c'est quelque chose de très étrange.
Quelque chose d'étrange qui me sera aussi très utile.


*****


Je dois avouer que la maison était particulièrement bien décorée. J'avais fait du beau boulot, en fait. Le jardin était angoissant à souhait, il ne donnait pas particulièrement envie de se rendre à l'intérieur de la maison, ce qui, le jour de Halloween, était un gage de qualité. J'avais fait des trous, ici et là, dans lesquels j'avais enseveli des morceaux de corps – supposément faux, bien sûr.

« Le seul jour où tu peux être ce que tu n'admettras jamais, c'est à Halloween.
Le seul jour où tu peux consentir à imaginer que tes pires démons sont réels, c'est à Halloween.
C'est pour Halloween qu'il te faudra le courage de passer le pas de ma porte.
Expie toutes tes craintes, et si elles n'existent pas, elles disparaîtront ce soir à minuit. »

J'admets que j'en ai peut-être un peu trop fait, ça sonne peut-être un peu... « dramatique ». Je me suis laissé emporté par l'excitation, je crois. Johnny-Jane en a reçu un, en tout cas. Évidemment, puisque je les ai rédigés pour elle. C'est peut-être la raison pour laquelle je n'ai pas réussi à rester simple. J'en ai déposé un dans sa boîte aux lettres, il y a environ dix jours. Pour lui laisser le temps de se questionner. Qui est-ce ? D'où vient-il ? Jorgen ? Non... Non ? Je ne sais pas, c'est possible. Ou pas. Une fête banale ? Après tout, à Halloween, on parle de démons. Lui aussi, en parlait. Il faut avoir du « courage », mais c'est à prendre au second degré, on ne parle pas de réel courage ici – n'est-ce pas ?
J'attache mon costume, et passe mes doigt sur mon torse nu, sur lequel se dessinent bientôt quelques petites coupures, peu profondes, mais suffisamment pour que quelques gouttes de sang roulent sur ma peau. J'enfile la tête de Pyramide Head, qui me couvre entièrement le visage. Je ne sais plus si Johnny-Jane connaît mes tatouages. Dans le doute, je ne sortirai pas trop tôt. Je veux qu'elle soit surprise ; j'espère qu'elle le sera. J'espère que tu viendras, JJ. Mais si tu ne viens pas, tu ne feras que repousser l'échéance. Maintenant que je t'ai retrouvée, je ne vais certainement plus te lâcher.

Je descends les escaliers de la cave quatre à quatre, et tape dans mes mains plusieurs fois, le claquement sonore semblant aussitôt absorbé par l'humidité de la pièce. « Allez les gars, on se bouge ! La fête va commencer ! ». J'ai l'impression d'avoir littéralement invité un tas de personnes. Un tas. J'ai engagé deux ou trois employés, pour les boissons, pour l'entrée. Toutes les pièces de la maison sont à thème. Je n'ai pas fait dans l'originalité, je ne veux pas que tout le monde déserte à vingt-et-une heures. Jack l'éventreur, Regan Legland dans sont lit sanglé. Une fête d'Halloween normale. Des costumes, du faux-sang, des bonbons, des citrouilles sculptées.

Une fête normale, Johnny-Jane.



("Toutes les choses vraiment atroces démarrent dans l'innocence", Hemingway)


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