« L'Envol »

______On raconte que l'espoir fait vivre. On raconte que peu importe la situation dans laquelle on se trouve, on ne doit pas arrêter d'espérer. On raconte que les bonnes choses arrivent toujours à ceux qui savent attendre. J'ai espéré. J'ai continué d'espérer qu'importe la situation dans laquelle je me suis trouvée. J'ai attendu mais rien de bon ne m'est apparu. Est-ce parce que j'ai fait quelque chose de mal ? Est-ce parce que je ne vous ressemble pas ? Est-ce parce que mon corps est différent du vôtre ? On me disait pourtant que j'étais unique, que j'étais quelqu'un d'exceptionnel. On me disait que je devais avoir fait quelque chose d'incroyable pour que Dieu m'accorde ce don. On me disait que j'étais magnifique, mais on chuchotait derrière moi que j'étais immonde. On me jurait que c'était Dieu et lui seul qui m'avait offert ce don. On me disait que c'était un cadeau du ciel et que je ne pouvais pas le refuser. Mais moi je n'ai jamais rien demandé. Je voudrais que ce Dieu, s'il existe, reprenne son cadeau. Moi je n'en veux pas. Son don m'a privé de trop de personnes que j'aime et m'a fait perdre l'espoir en un monde meilleur. On m'appelle l'ange parce que j'ai deux gigantesques ailes dans le dos mais je sais que, dans les couloirs, on m'appelle l'atrocité. Ce que les humains ne comprennent pas, ils en ont peur. Je le savais avant que mes ailes ne poussent, mais maintenant je me rends compte que j'étais bien loin de la réalité. Les humains n'en ont pas seulement peur : ils veulent l'étudier puis l'éliminer. Je suis une expérience, je suis un cobaye, je suis un objet et quand ils se seront lassés, ils m'élimineront comme ils suppriment tout ce qu'ils ne peuvent pas expliquer ou contrôler.

______Cela fera bientôt huit ans que je suis enfermée dans ce laboratoire. Huit ans qu'on m'examine de tous les côtés. Huit ans qu'on m'observe comme un animal qu'on voudrait disséquer vivant. Huit longues années que je n'ai pas senti l'air sur ma peau. Huit interminables années que je suis loin de ceux que j'aime. Mes ailes n'ont jamais pu se déployer entièrement. Elles n'ont jamais pu jouer avec le vent. Elles n'ont jamais pu chatouiller les nuages et taquiner le soleil. Mes ailes sont nées captives. Je suis née libre et elles m'ont rendue captive. Est-ce que je leur en veux ? Non. A chaque minute qui passe, je me rend compte qu'elles font parties de moi et que même si je ne peux pas expliquer leur apparition, je sais que je ne pourrais pas me remettre de leur disparition. J'aimerais tellement pouvoir quitter cet endroit trop propre et trop froid pour être accueillant. Je voudrais quitter ces gens qui me regardent comme un animal en cage. J'aimerais quitter cette bulle dans laquelle je suis enfermée. J'aimerais pouvoir déployer mes ailes et m'envoler. J'aimerais pouvoir toucher les nuages et parcourir la terre entière. J'aimerais tellement pouvoir me dire que ces ailes n'ont pas poussé pour me rendre captive mais bien pour me rendre encore plus libre. On m'a répété que je ne sortirais pas tout de suite car les expériences ne sont pas terminées. Mais moi je n'ai jamais accepté de devenir l'expérience numéro trois cent trente-trois. Je suis ici depuis trop longtemps. Ma foi en l'être humain s'est évaporée. Mon désir de sauver le monde s'est envolé. Mes envies de rébellion ont été tuées dans l’œuf. Mon corps ne m'appartient plus. Il ne me reste plus que mes pensées mais parfois c'est trop peu. J'aimerais pouvoir toucher les plumes blanches qui composent mes ailes mais je ne peux pas bouger les bras. J'aimerais pouvoir secouer mes longs cheveux blonds mais je ne peux pas bouger la tête. J'aimerais hurler mais je ne peux pas ouvrir la bouche. Je suis une expérience. Je suis un ange qu'on a enfermé dans un aquarium pour l'empêcher de s'échapper. Je suis l'expérience trois cent trente-trois et je ne me souviens même plus de mon prénom. Cela fera bientôt huit ans que je suis enfermée ici. Ou peut-être quinze ans ? Ou peut-être trente-trois ans ? Je ne sais plus. Je ne sais pas. Je ne l'ai jamais su. Cela fait trop longtemps que je n'ai pas pu sentir mon corps réagir à mon cerveau. Cela fait trop longtemps que je ne peux pas mettre mes pensées à exécution. Cela fait trop longtemps que je subis sans réagir. Je ne le supporte plus. Je veux vivre. Je veux sentir le soleil sur ma peau et le vent dans mes cheveux. Je veux sentir mes ailes se déployer pour parcourir un monde magnifique auquel les humains ne peuvent pas avoir accès. Je veux partir. Je partirais. Qu'ils le veulent ou non, plus rien ne m'arrêtera. Plus rien.

- « Comment ça elle s'est envolée ?! Ce n'est pas possible ! Elle était plongée dans un coma artificiel et enfermée dans un aquarium de verre, comment est-ce qu'elle aurait pu s'envoler ?! »

- « Je ne sais pas Chef ! Tout ce que je sais c'est que quand je suis revenue, le verre était brisé et Elle n'était plus là ! »

- « Retrouvez-la ! On ne doit pas la laisser s'échapper ! »

______Les humains s'agitent. Ils ont peur. Ils ont perdu le contrôle de l'ange et cela les effraie tellement qu'ils sont prêts à tout pour la retrouver. Même à la tuer s'il le faut. On chuchote que l'ange va exterminer les humains pour se venger de ce qu'elle a subi. On pleure en pensant à sa famille qui va sans aucun doute se faire massacrer. On se dit qu'on n'aurait jamais dû la laisser en vie. A aucun moment on ne se dit qu'on aurait dû la laisser vivre librement. A aucun moment on ne se remet en question. Tout est de Sa faute. On ne se dit même pas qu'elle avait le droit de vivre. Les humains pensent que tout leur appartient et Elle, c'était leur expérience et Elle n'avait pas le droit de s'échapper. Elle n'avait pas le droit. Les humains s'agitent. Ils ont peur. Ils ne voient pas l'homme qui regarde les nuages à travers la fenêtre. Il ne leur dira jamais qu'il était là lorsqu'Elle a ouvert les yeux. Il ne leur dira jamais qu'il a vu Ses ailes se déployer et que le blanc était si éblouissant qu'il a dû fermer les yeux. Il ne leur dira jamais ce qu'il a ressentit en voyant le verre se briser, poussé par des ailes voulant jouer avec le vent. Il ne leur dira jamais qu'Elle ne l'a pas regardé avec animosité contrairement à ce à quoi il s'attendait. Il ne leur dira jamais qu'ils ont échangés un regard et que Son regard était chargé d'une telle tristesse qu'il en a pleuré. Il ne leur dira jamais qu'il l'a aidé à marcher lorsqu'Elle a trébuché. Il ne leur dira jamais à quel point il s'est senti honteux d'avoir pris part à Son enfermement. Il ne leur dira jamais que son cœur s'est serré en La regardant s'envoler vers les nuages. Il ne leur avouera jamais que lorsqu'Elle s'est envolée, Elle l'a regardé une dernière fois et cette fois encore, son regard ne contenait ni haine ni rancune. Non. Son regard était rempli de cette chose insaisissable que trop d'humains ont oubliés ou n'ont jamais eu. Cette chose que l'on appelle Liberté.