Joyeux Noël !

Elle s’était couchée tard, absorbée par la lecture du Prince de Machiavel. Ses « parents » dormaient depuis longtemps déjà lorsqu’elle avait gravi les interminables marches de marbre, poussé la porte à deux battants qui menait à sa chambre. Pour accéder à son lit, il fallait traverser un petit salon, chauffé par un feu de cheminée que sa femme de chambre se chargeait d’attiser toutes les heures. Dans le boudoir, les rideaux n’étaient pas tirés et la jeune femme s’arrêta un instant pour contempler la neige qui se déposait dans la cour. Les Lockhart avaient érigé un immense sapin de Noël dans le jardin, imposant et majestueux, au pied duquel quelques politiciens véreux et corrompus se rejoignaient pour fêter une fête qui ne voulait rien dire pour elle. Sans s’attarder plus longtemps, elle haussa les épaules et tira les rideaux. Noël. Une invention pour les enfants, censée les terroriser s’ils n’avaient pas été sages. Après tout, tout le monde voulait des cadeaux, n’est-ce pas ? Mais la jeune femme n’avait pas eu assez d’innocence étant enfant que ce conte lui paraissait ridicule et pathétique.

Elle alla se glisser dans son lit, entre des draps fins et chauds. Jamais elle ne se disait qu’elle avait de la chance mais tout respirait le luxe, le bon luxe, à plein nez. Quelque part, elle avait lu que le luxe n’était pas le contraire de la pauvreté, mais de la vulgarité… C’était exactement ça. Et Allegra n’attendait jamais de cadeaux.

Le sommeil la prit par surprise, et elle sombra dans un univers sans rêves.

« Ho, ho, ho… »

Elle bougea, assoupie. « Hypathie ! » Elle grogna. Seuls les inconnus l’appelaient comme ça : combien de fois s’était-elle tuée à le répéter ? H. ou Allegra, point barre. Son non-rêve se flouta, elle distingua un visage. « Hypathiiiiie… réveille-toi… ton cadeau est là ! » La voix masculine résonnait dans son esprit de manière convaincante… presque trop. Quelque part, la partie la plus rationnelle d’elle-même explosa l’argument : elle n’avait jamais eu de cadeaux. Depuis que Keith l’avait ramenée en Amérique, au tendre âge de deux ans où elle n’était déjà plus qu’une poupée brisée, Noël avait été une fête extérieure à leur monde. « Non… » murmura-t-elle, frissonnant. Ce n’était pas normal, et elle remonta sa couverture sous son menton.

« Ho, ho, ho… je ne dirai pas que tu l’as mérité mais… amuse-toi bien ! »

L’image d’un Père Noël au regard malicieux se matérialisa avec force dans son esprit au moment où elle se réveillait en sursaut, l’air hagard, sortant d’un mauvais rêve. En position assise, elle tâtonna pour trouver l’interrupteur de sa lampe de chevet, mais sa main s’enfonça dans une matière froide et mouillée. Quoi ?

Ouvrant les yeux, un peu sonnée – elle venait d’avoir eu très froid, elle se trouva assise dans la neige. C’était impossible. Elle referma les yeux, les rouvrit : l’étendue d’un blanc immaculé était toujours présente. ÇA N’AVAIT PAS DE SENS. C’était un cauchemar. Elle avait mangé un truc pas sain… Regardant autour d’elle, elle aperçut un panneau en bois où des lettres peintes en doré indiquaient « Bienvenue à Noëlilalouly ». Avec un regard de dégoût implacable, elle se leva, et se rendit compte qu’elle portait une doudoune : inconnue au bataillon celle-là, d’une couleur affreuse qui ne lui allait pas du tout au teint, un espèce de vert moche. Et des bottes de neige. Génial.

La voix parla à ce moment-là. Le rire hystérique d'Allegra sonna comme une étrange menace dans la nuit calme. Ça n’avait aucun sens. Comment était-elle passée de ses draps de soie, de son lit, de chez-elle à ce lieu sans queue ni tête avec un nom tout pourri et vêtue d’une doudoune immonde ? (ce dernier point étant son plus gros problème).

Elle se retourna et découvrit quelques personnes inconscientes ou se relevant seulement, autour d'elle. Superbe. Voilà qui ne s’annonçait pas mieux. Se démerder toute seule, okay, mais alors si en plus elle devait se traîner des ploucs…

« Qu’est-ce que vous foutez-là ? » jeta-t-elle d’une voix acerbe et pleine de dédain à ses nouveaux compagnons. « C’est quoi ce gros délire ? J'exige des explications. », continua-t-elle sans se soucier de savoir qui était qui et si tout le monde allait bien.

Quelque chose lui soufflait que pour ce qui était d’une bonne nuit réparatrice, elle pouvait s’asseoir dessus.

Spoiler:

Joyeux Noël !

C’est une première voix qui lui répond : « Je n’en sais pas plus que toi… » Dans un sublime mouvement de tête qui fait valser ses cheveux blonds (maintes fois répété pour des publicités en tous genre), Allegra se tourne vers celle qui a parlé. Et une fraction de seconde, elle… non, ce n’est pas possible. Oui, elle l’a déjà vue cette fille là et elle avait déjà eu cette glaciale impression de se retrouver face à…. Impossible. Catégoriquement impossible. En plus la fille semble être un pleurnicharde de premier ordre…

« Arrête de chouiner. Je te connais en plus non ? Tu étais avec nous dans le magasin de contrefaçons le jour où il y a eu la tempête de neige… Quel est ton nom déjà ? » Puis, sans prévenir, une bande de lutins verts débarqua. Pas surprise, mais plutôt dégoûtée (oh mon dieu, ils étaient affreux. Tout bonnement affreux) elle regarda les créatures poser d’énormes sacs de nourriture et de vêtements à leurs pieds. Sans hésiter un quart de seconde, elle se débarrasse de l’immonde truc qu’elle porte pour choisir une autre doudoune, bleu marine celle-là, avec des gants assortis et une paire de bottes de neige autrement plus portables. En toutes occasions, il fallait rester digne, et par digne, elle entendait classe. La mode était certainement son meilleur atout dans ce monde de gros débiles, alors elle n’allait pas passer à côté…

Ses réflexions fashion furent interrompues par l’arrivée brusque d’un homme… Ah, non, pas d’un homme. Du Boogie-man en personne. Youpiii. Le bras droit de Jason Lecter, alias le meilleur ennemi de sa meilleure amie, Calypso Storm. Mais Allegra ne manifeste aucune émotion. Elle ne le connaît pas tant que ça, l’a peut-être croisé une ou deux fois en accompagnant Calypso qui allait parler affaires avec Lecter. En tous cas, elle ne se réjouit pas de sa présence ici. Ce type lui fout les jetons... il dégage une aura malsaine qui la rend curieuse. Leur jetant au pied l’un des gnomes, visiblement inconscient et un peu ensanglanté, il les toise d’un regard plus glacial que le sien.

« Je vous conseille de m'expliquer tout de suite, immédiatement et illico… » Petite moue du côté d’Allegra. Qui se transforme en expression de mépris brûlant lorsqu’il la pointe vulgairement du doigt.

« Alors déjà tu vas te calmer mais tout de suite. Si c'est à moi que tu t'addresses, je te conseille vivement d'employer un autre ton. Tertio… si je savais ce qu’on fout ici et surtout ce qu’on M’A fait pour que j’atterrisse au pays des dégénérés, crois bien que j’aurais trouvé une sortie depuis longtemps. » Elle n’a pas cillé. « Pour ta gouverne, moi, c’est Allegra Lockhart, ça te dit peut-être quelque chose, Boogie-man ». Car oui, moi j'ai une très bonne mémoire, semble-t-elle ajouter.

« Au lieu de tabasser des gnomes, si j'étais nous, je commencerais à chercher un renne blanc. Je n'ai pas l'intention de passer plus de temps à me demander pourquoi ou comment on est ici: je veux juste sortir d'ici et que tout redevienne comme avant. Alors bougez-vous, on part à la chasse au renne. »