Elle visite le Weins Museum pour la douzième fois.

Néanmoins, il s’agit seulement sa troisième fois sans guide. Elle connaît la visite guidée générale par cœur. Elle pense d’ailleurs à postuler – elle le ferait bénévolement – au Weins Museum. En fait, elle l’a déjà fait il y a deux mois mais elle ne reçut que le silence, alors elle pense à postuler encore. Ça doit être un problème administratif, se dit-elle.

Elle adore cet endroit. Cet art américain réussit à chaque fois à mettre son patriotisme en effervescence. Elle se rappelle avoir pleuré à sa quatrième visite comme si elle perdait son premier amour. Il faut dire que des films défilent dans la tête lobotomisée de Rebecca : une peinture n’est pas juste une peinture, c’est un morceau d’histoire dont elle imagine tous les rebondissements.

Rebecca aime son pays.

Pour se récompenser d’avoir terminé tous ses devoirs, elle se permet d’investir du temps en cette douzième visite. Elle passe devant chaque œuvre comme pour les saluer. Certes, il y a du déjà-vu mais n’est-ce pas rassurant de contempler toutes ces choses à leur place qui durent avec le temps ? Puis, elle a entendu dire qu’une nouvelle exposition s’exposera bientôt. Elle ne manquera pas de l’assister.

Le lieu manque de visiteurs aujourd’hui. D’une part elle le regrette mais d’une autre, ça lui donne plus d’espace personnelle pour la contemplation solitaire. Au détour d’un couloir, Rebecca entre au sein d’une des nombreuses salles dédiées à l’histoire américaine (avec tableaux, objets d’époque, que c’est excitant !). Elle la connaît par cœur et y retrouve l’harmonie. Un homme lit seul un panneau informatif. La Platine apprécie : voir des gens s’intéresser au musée la met toujours de bonne humeur.

Mais ça ne dure pas. Cet homme tombe bien mal.

- C’est des conneries ! On nous ment ! J’en ai la preuve ! On ne doit plus laissée les choses cachées ! On nous a trop manipulés !

Ses oreilles entendent l’hérésie mais son cerveau refuse de déceler des subtilités. Elle écoute des paroles maudites, une attaque sur ce temple de la nation ! Et ce crachat… ce crachat d’animal ! Il est mal tombé ce con à jouer les rebelles car la Platine en puissance intervient au moins aussi rapidement qu’il a craché son impure salive sur le panneau. La béatitude de Becka se transforme en figure crispée.

- Vous profanez notre histoire…

Ses émotions s’expriment en ses mots tremblant légèrement de cette injure inattendue. Cependant, elle prend vite sa face froide, robotique et professionnelle. Intercepter. Isoler. Neutraliser. Son cerveau enregistre chaque trait physique notable de cet individu. Elle rédigera une déposition à la police qui écoute la noirceur…

- Ce comportement est inacceptable ! Dégrader le matériel du musée est un crime et une attaque contre l’établissement ! Je vous demande de partir ou je serais forcé d’appeler les gendarmes pour régler cette affaire !

La bonne blague : elle appellera les gendarmes quoiqu’il arrive… Si l'homme fait quoique ce soit de suspect (plus suspect que ce qu'il a déjà fait, on s'entend) elle criera à la terreur...

- « Allez Nina, ça va être sympa ! »
- « Je ne sais pas... Je ne me sens pas très bien... »
- « Allez ! Faut en profiter ! »


Oh mais il allait arrêter de la gonfler, lui ?! C'était quoi exactement son problème à cette face de poulpe desséché ?! Il ne comprenait pas que non voulait dire non ?
Ça faisait déjà dix minutes que Brandon harcelait Nine pour qu'elle l'accompagne au Weins Museum. Et Nine n'avait pas du tout envie de se taper une visite de musée alors qu'elle aurait pu espionner sa sœur. Bordel. Qui avait envie de sortir par ce temps ? Et, surtout, pour se faire chier dans un musée chiant avec des gens chiants et des panneaux explicatifs chiants. Tout était chiant dans cette ville, de toute façon !


- « Je ne sais pas, Brandon... »
- « Je nous ai déjà pris des billets... »


Ho l'enflure ! Il jouait la carte du mec qui a tout prévu et à qui on ne peut, du coup, rien refuser... Nine était furieuse et devait se retenir de le jeter par la fenêtre. Comment osait-il lui imposer de telles obligations ?! Le traître ! En plus il lui donnait envie de vomir avec ses petits yeux suppliants de goret. Berk.

- « Mais je croyais que c'était gratuit le musée... »
- « Allez, Nina ! »

Même pas foutu de reconnaître son énorme mensonge ! Brandon n'était bon qu'à être jeté sous une voiture pour se défouler ! Mais Nine avait un objectif sur le long terme (tuer sa sœur) et pour ça, elle devait faire profil bas... Et jeter un élève de Weins sous une voiture, ça n'était pas vraiment la description de « faire profil bas »... Son seul espoir était de simuler une envie de vomir pour prendre la fuite puisque ce crétin ne comprenait pas que non, c'était non. Pourquoi s'était-elle forgée une réputation de jeune fille effacée et timide et pas celle de vieux dragon enragé ?! Tout aurait été tellement plus simple...

- « Je prends ton silence pour un oui ! Allez viens ! »

A quel moment le silence voulait dire oui ? Nine fronça les sourcils et, tout en se laissant traîner par Brandon, marmonna « En v'là un à qui on devrait apprendre le sens du mot consentement... ». Brandon lui demanda ce qu'elle venait de dire et Nine se contenta de secouer la tête. Elle essaya de provoquer le vomi mais son estomac avait visiblement décidé de l'ignorer. Encore un autre connard.

En quelques minutes, ils étaient dans le musée et Brandon continuait de tenir la main de Nine. Répugnant. Nine prétexta un besoin de se moucher pour récupérer sa propriété et, une fois la morve évacuée à grand renfort de bruit et d'absence totale d'élégance et de distinction, Nine s'empressa d'enfoncer ses mains dans ses poches. Hors de question qu'il s'imagine pouvoir la coincer pendant toute la journée !

L'étrange duo venait d'entrer dans une salle lorsqu'un homme se mit à hurler des propos franchement choquant à propos de mensonges et de vérité à dévoiler. Nine n'y compris strictement rien, trop occupée qu'elle était à tenter de se débarrasser de Brandon qui venait de passer, fort peu discrètement, une main autour de ses épaules. Une jeune fille réagit immédiatement en demandant à l'homme de respecter l'histoire et d'arrêter ses attaques répugnantes. Nine aurait bien voulu que ces propos soit dit à la figure de Brandon, qui venait de se mettre légèrement devant elle pour la « protéger ». En essayant de s'échapper de l'emprise d'un Brandon entré en mode chevalier servant, Nine trébucha, tenta de se rétablir mais Brandon, en tentant de la rattraper, la poussa lamentablement, provoquant la chute. La tête de Nine heurta le sol en faisant un bruit sourd. Elle se releva et découvrit qu'elle avait atterrit pile aux pieds de l'individu vociférant. Génial...