« La nature n'abandonne personne au point de lui ôter tout moyen d'autodéfense. »
WELLINGTON ; 04 mars 2077. 22h19Un cri se fait entendre dans la chambre 1053 de la maternité principale de Wellington, se mêlant ainsi à l'agitation des infirmières et des docteurs qui s'affèrent autour de la jeune maman perlante de sueur.
C'est fini. se dit-elle.
C'est enfin fini. Elle tente de retrouver une respiration normale et d'oublier la souffrance qui lacère tout son être. Elle sera bientôt débarrassée de cet enfant qu'elle ne supporte déjà pas et qui lui a valu tant de douleurs. Tant à sa conception qu'à sa naissance. Du début à la fin. Du viol à l'accouchement.
Alors que la sage femme s'approche d'elle, le sourire aux lèvres, le bébé dans les bras, elle parvient à former quelques mots et à repousser l'infirmière
« - J'ai besoin de repos....
- Votre fils va être placé à la nurserie avec les autres nourrissons. Avez-vous déjà choisi son prénom?
- Tristan, il s’appelle Tristan.
- Tristan comment ? » demanda l'infirmière.
La jeune femme, exténuée, ne répondit pas et feint d'être endormie.
Il n'a pas de nom, ni de père. pensa-t-elle tandis qu'elle sombrait véritablement dans un sommeil profond.
WELLINGTON ; 05 mars 2077.Il y a du bruit dans la pièce et Becca, la jeune maman, se réveille progressivement, ouvrant peu à peu ses yeux bleu clair. La même infirmière que lors de l'accouchement est là, un bébé dans les bras.
Mon bébé. Elle ferme les yeux pour ne pas le voir, elle ne veut pas savoir à quoi il ressemble. As-t-il les traits de son violeur? Elle ne veut rien savoir de lui. Peut-être que, de cette manière, elle finira par oublier ce qu'elle est sur le point de faire. Les derniers mois ont été pénibles, elle a cherché des échappatoires possibles à cet enfer sans jamais trouver et pour retomber toujours sur la même conclusion.
Je dois abandonner cet enfant. Elle s'est renseignée auprès de l'orphelinat de la ville voisine, elle a rempli tous les papiers pour un abandon sous X, son enfant ne connaîtra jamais le nom de l'ordure qu'elle est, et tant mieux. L’hôpital est au courant de cet abandon, alors pourquoi cette fichue infirmière s'obstine-t-elle à lui montrer son fils? Elle veut juste la paix, mettre cet enfant derrière elle et aller de l'avant, se retrouver un job, et une dignité par la même occasion.
« - Je ne veux pas le voir, emmener le directement à l'orphelinat. » dit-elle les yeux mi-clos avec si peu de conviction dans la voix.
Dieu sait pourtant qu'elle l'aurai chéri cet enfant. S'il avait été d'un amour véritable et non d'un viol, s'il était arrivé dans une période financière stable, s'il avait tout simplement était
désiré. L'abandonner est actuellement le meilleur cadeau qu'elle peut lui faire, sa vie sera surement plus simple, avec plus d'amour, moins de violence.
Du moins c'est ce qu'elle pensait.PRES DE WELLINGTON ; 04 mars 2089.L'automne s'installe tranquillement et fait retomber l'écrasante chaleur qui régnait depuis des semaines, laissant les habitants profiter de cette douce brise de fin de matinée. Des enfants courent partout, des rires éclatent, certains s'amusent à cache-cache tandis que d'autres se laissent porter par une balançoire. Leurs sourires respirent la joie de vivre, qui pourrait croire qu'ils sont dans un orphelinat? Probablement personne. Dans ce décor de famille heureuse il y a pourtant de l'ombre. Au fond du jardin, installé sous un grand arbre, un livre sur les genoux, un jeune petit garçon semble être exclu de la rigolade. En fait, ce n'est même pas une supposition, il est réellement en dehors de tous ces jeux. Cela ne vient pas du fait qu'il est rejeté par les autres, c'est plutôt lui qui rejette les autres. Il aime sa solitude, il aime ce grand arbre sous lequel il vient souvent s'installer, il aime la douceur et la mélancolie que lui renvoi les mots. Oui, lui, Tristan, aime se cultiver, son attitude arrogante lui porte préjudice mais c'est en réalité un garçon très intelligent du haut de ces 12 ans. En effet, déjà 12 ans ont passé depuis qu'il a été abandonné, il n'a toujours connu que cet orphelinat, il est bien traité, pour l'instant il limite les bêtises et les crises de violence, il se contente d'être là, sans vraiment l'être. Aujourd'hui, c'est son anniversaire. La matinée est bientôt finie mais aucun des enfants n'est venu lui souhaiter, ni même Julia, cette petite blondinette qui lui fait pourtant de grands sourires ravageurs.
Ils ont oublié, tout simplement.Une jeune femme brune sort sur le perron de la grande maison, un tablier sur les hanches. Elle scrute le grand jardin et sourit devant le spectacle qui s'offre à elle : la joie de vivre de tous ces enfants orphelins.
« - Les enfaaaaants ! Le repas est prêt, tout le monde à table ! Pensez à vous lavez les mains. » dit-elle avec engouement.
Les enfants se pressent vers la porte en courant, il n'y a que Tristan qui semble ne pas se dépêcher, il marche lentement, son livre sous le bras, un petit sourire effacé.
La grande table à manger permet d'accueillir une quinzaine d'enfants qui sont généralement accompagnés par la cuisinière et quelques personnes du personnel. Aujourd'hui les couverts sont déjà mis et l'entrée est déjà servie. Après s'être tous lavés les mains à tour de rôle, les enfants prennent place autour de la table et commencent à manger.
A l'heure du dessert, Marggot, la cuisinière, s'éclipse discrètement pour éteindre la lumière et l'un des enfants amene devant Tristan un gâteau recouvert d'une douzaine de bougies tout en chantant
happy birthday. Julia, s'approcha de Tristan et déposa près de lui un énorme cadeau
« - De la part de toute la famille.» précisa-t-elle avec un grand sourire qu'elle accompagna d'un délicat bisou sur la joue du jeune garcon. Mais qui oserait penser que Tristan fait partie de cette
famille ? Il ne parle presque pas, il n'a pas d'amis en dehors de cette Julia avec qui il échange quelques mots de temps en temps, et avouons-le, il est détestable quand il s'y met. Malgré tout, ils continuent d'être gentils avec lui , où est le problème ? Ils n'ont pas compris qu'il était voué à une solitude profonde dont seul une explication à propos de son abandonnement pourrait l'en sortir, et encore ?
« - On n'est pas une famille, et on n'en sera jamais une. » Tristan s'en alla rejoindre sa chambre, sans adresser un regard à ces personnes qui faisant pourtant tant d'efforts pour lui.
« Ce qui nous empêche souvent de nous abandonner à un seul vice est que nous en avons plusieurs. » PRES DE WELLINGTON ; 01 janvier 2096.La nouvelle année vient à peine d'être célébrer et la plupart des gens se remet doucement de la cuite monumentale de la veille alors que certains sont déjà de retour au
travail - si l'on peut appeler ça un travail. Tristan et son gang ont une
affaire à régler, il ne sait pas vraiment pourquoi, mais leur leader a dit qu'il fallait aller cogner, alors ils vont cogner. Une histoire de drogue, encore une. Ils doivent piéger les mecs dans une petite ruelle et taper tant qu'ils peuvent. Tristan n'arrive même pas à se rappeler comment il en est arrivé là, il a plongé petit à petit dans la drogue, il avait du mal à faire face à sa solitude et ça lui permettait de s'échapper. Sans vraiment s'en rendre compte il s'est retrouvé au cœur de conflits inter-gangs et il n'en est jamais sorti, le voilà aujourd'hui en train de cogner sur un inconnu, il frappe, encore et encore, ça le
détend. Il a toujours eu cette violence en lui, comme un moyen d’extérioriser ces problèmes, il aime frapper, c'est tout. Sauf que ce soir la bataille s'avère dure, les adversaires sont arrivés bien plus nombreux que prévu, et ils sont bien plus costaux surtout. Les forces commencent à l'abandonner, cela doit faire une heure qu'il frappe sur tout ce qui bouge, son putain de patron avait dit que l'affaire serait réglée en quinze minutes et il est encore là
bordel-de-merde. Il regarde autour de lui et découvre avec anxiété qu'il n'est plus que le seul de son gang à être encore debout, d'autres sont au sol tandis qu'il voit au loin certains qui s'enfuient en courant. Devant lui, le gang adversaire est encore composé de 5 pitbulls aux bras énormes, il se retrouve vite entouré et bientôt sa tête heurte le sol avec une extrême vitesse, il sent la chaleur de son sang qui se répand dans son cou. Il est bien mal en point et pourtant les coups continuent,
ils veulent m'achever pense-t-il. Il sait que cette fois là sera la bonne, qu'il n'en ressortira pas vivant. Les meurtriers finissent par partir et il se retrouve bel et bien seul sur ce sol, agonisant. Il a mal partout, son nez est probablement cassé, ainsi que sa mâchoire. Sa cheville droite le fait extrêmement souffrir, elle est surement cassée elle aussi, voire même broyée. Sa jambe gauche est dans une position inimaginable, la douleur s’accroît et se diffuse à travers toute sa jambe, ces ligaments sont probablement déchirés, peut-être même que sa rotule est fracturée. Il ne peut pas parler, il ne peut pas marcher, il ne peut tout simplement pas bouger. Rien ne le sortira de ce cauchemar, il est voué à mourir sur ce trottoir, seul, baignant dans son sang.
« Pourquoi nous retirer et abandonner la partie, quand il nous reste tant d'êtres à décevoir ? »
PRES DE WELLINGTON ; 23 mars 2096.C'est la douleur qui finit par le réveiller. Cette persistante et lancinante douleur. Il ne saurait pas dire où il a mal exactement, il a mal partout, tout le temps. Il ne se rappelle pas vraiment comment il a atterri dans ce lit incroyablement confortable et chaud, il sait simplement qu'il n'en a pas bougé depuis plusieurs mois maintenant, depuis que Miss Gallagher a croisé son chemin la nuit de son massacre. Elle a réussi à le ramener chez elle, son métier d'infirmière l'a poussé à prendre soin de lui. Aujourd'hui, il sait pertinemment qu'il doit la vie à cette femme, mais il est bien trop fier pour l'avouer. De toute manière, elle doit bientôt partit pour New York. On l'envoi s'occuper des jeunes
en difficulté de la ville. Il va de nouveau se retrouver seul, sans personne. Peut-etre bien qu'il s'était attaché à cette femme après tout. Peut-etre même qu'il a envie de la suivre à New York. C'est ce qu'il a de plus proche d'une famille après tout.
NEW YORK ; 03 mai 2096.Depuis son arrivée à New York, Tristan a du choisir un nom à faire figurer sur le visa, lui qui s'était toujours contenté de l'unique héritage de sa mère qui l'a abandonné et du prénom qu'elle lui a donné,
Tristan... Il est maintenant Tristan William Gallagher. Miss Gallagher lui a toujours répété que si elle avait eu un fils elle l'aurait appelé William, c'est chose faite.
Son passé un peu tumultueux l'a suivi de Wellington jusqu'ici, il a été catalogué "jeune à problèmes" et inscrit d'office dans un institut, une sorte d'école, l'
Académie Weins. Il ne va pas tarder à découvrir que le climat tendu d'insécurité de la ville n'est pas qu'un mythe et que le régime imposé par le gouvernement n'est pas tendre. Tristan trouvera-t-il sa place au milieu de tout ca?