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L'Art de la guerre - Flashback
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MessageSujet: L'Art de la guerre - Flashback L'Art de la guerre - Flashback Icon_minitime1Ven 3 Jan - 13:00

« Soumettre l'ennemi par la force n'est pas le summum de l'art de la guerre, le summum de cet art est de soumettre l'ennemi sans verser une seule goutte de sang. »
Sun Tzu


Ainsi l'homme écrit-il dans un gigantesque ouvrage l'art consistant à remporter une victoire, dont les conditions sont soumises à cinq grands principes, humains et contextuels, sur lesquels reposent la garantie ou non d'une victoire. L'œuvre est encore largement étudiée à ce jour, non seulement par les forces militaires mais aussi par les étudiants d'autres bords, s'appropriant les modalités décrites dans d'autres combats que celui des armes. Ainsi l'utilise-t'on en communication, en politique, en affaires ou encore dans tout ce qui peut comporter un adversaire à défaire. Et vous l'aurez compris, les plus ambitieux s'en inspirent chaque jour que Dieu fait, mêlé à d'autres idées bien tranchées, jusqu'à en faire l'arme acérée pour une victoire non pas occasionnelle, mais existentielle.
Jane l'a lu trois fois, ce livre. Une fois pour son père, une autre fois pour ses propres ambitions et encore une dernière pour son simple plaisir. La deuxième fois, elle, précéda l'événement qui devait, selon toute logique, signer l'envolée vertigineuse et irrépressible de toute sa carrière.


2093, une voiture noire parmi tant d'autres :


" Tu ne vas pas me suivre comme un petit toutou, au moins ?
- Vous savez, patron, je passe ma vie à vous obéir comme un petit toutou sur mon temps de travail. Cette conférence étant prise sur notre temps de travail, je pourrais en profiter pour me venger en vous suivant partout où vous allez. Mais ça m'embêterait encore plus que vous. "

Assis sur la banquette arrière, les deux silhouettes échangèrent un sourire, l'une jeune et fraîchement sortie des jupes de son école, l'autre grisonnante et bien loin d'avoir encore quelque chose à prouver. Patrick Marshall, une véritable référence en matière de justice civile et privée, dont les plaidoiries étaient déjà exposées dans plusieurs ouvrages de référence, lui-même auteur de livres cités chaque année entre grands de ce monde et, disait-on, l'un des plus grands décisionnaires anonymes de ce nouveau monde. Patrick Marshall était un monstre dans son domaine, un homme admiré à juste titre pour sa carrière absolument brillante, et connu dans tout le monde juridique pour choisir, chaque fois qu'il perdait un associé, son remplaçant dans l'élite sortante de l'école de droit la plus prestigieuse de tout le compté. Jane Edison était, cette année, la fameuse élite sus citée ayant la chance incroyable de travailler avec l'une des plus grandes références dans le domaine dans lequel elle souhaitait travailler. Une chance à double tranchant, car il fallait se demander pourquoi le cabinet de renom de Maître Marshall comptait à ce point d'associés désertant pour aller travailler à leur propre compte : les conditions y était effroyables. Si la réputation qu'il avait d'être le meilleur et de vous apprendre à devenir le meilleur était entièrement fondée, celle qui le suivait partout de torturer ses plus jeunes associés par une masse de travail dépassant les limites de la capacité humaine l'était tout autant. Pour rester plus de deux ans dans le cabinet du Maître, il fallait non seulement dépasser ses propres besoins physiologiques mais, en plus, avoir perdu toute notion d'amour propre à force d'être usé jusqu'à la corde. Oublier sa dignité un temps, le temps de plusieurs années pouvant, peut-être, nous conduire à la place immensément privilégiée d'associé principal. Il n'y en avait que trois, toutes prises, donc cela revenait soit à patienter jusqu'à la mort ou le départ en retraite de l'un d'eux, soit être si bon, si indispensable, qu'on en venait à ouvrir un poste rien que pour votre joli minois. Alors, tous les deux ans environ, une personne qui s'était cru exceptionnelle, assez pour mériter cette fameuse ouverture de poste, claquait violemment la porte, amère et déçue, ses illusions détruites par les humiliations répétées qu'elle avait dû subir.

Ainsi l'une d'elle avait-elle respecté cette règle quasi mathématique au début de cette année et laissé la place à la meilleure élève connue de l'école ces dix dernières années, fraîchement diplômée, j'ai nommé Jane Edison. La place et tout ce qui allait avec : travail titanesque, humiliations répétées et dossiers en cours, fastidieux et inintéressants, sans quoi Maître Marshall s'en serait chargé lui-même.

Mais depuis toujours, Jane avait pour principale qualité de se donner les moyens de ses ambitions. Comme à la guerre, elle avait fait du Précepteur son adversaire et réuni les conditions pour remporter la bataille, à commencer par le voyage de noces qu'elle avait écourté sans broncher pour aller régler le revirement d'un dossier en cours, et même déjà le choix inconscient d'un mari qui ne lui en voudrait pas de ce faire, ou du moins garderait ses reproches pour lui. Elle n'avait seulement pas prévu que le susdit mari insisterait pour obtenir progéniture après union à la mairie mais elle était encore tout à fait capable d'apaiser ses ardeurs. Jane avait également su se faire respecter en ne couchant pas avec Patrick Marshall, qui jouait sa propre caricature au point de s'adonner régulièrement aux coucheries de bureau et, là encore, son mariage l'y avait aidée. Jane avait ainsi gagné le droit de siéger à la droite de Dieu lors d'une des conférences les plus déterminantes d'une ville en pleine reconstruction, là où on n'aurait jamais vu une associée de première année de travail s'asseoir, au nez et à la barbe de tous ses collègues. Pas de pitié dans le monde du travail.

L'événement se déroulait tous les trois ans dans son ancienne école, désertée pour l'occasion, en périphérie de la ville. L’aubaine pour les grands de ce monde de réorganiser tout le système en fonction de ce qui avait été décidé par le Gouvernement en matière de juridiction les trois années précédentes, recevant pour ainsi donc dire leurs ordres directement de l'empereur en personne. Et pour les plus jeunes, c'était là la chance inespérée de rencontrer des idoles qu'ils n'auraient jamais espéré croiser, même dans leurs rêves les plus fous, à la manière de groupies entichées de stars mondiales et invitées directement dans l'intimité de leur loge privée. Ce n'était même pas pour le piston - Patrick Marshall était, en plus du reste, extrêmement rancunier et ne supportait pas qu'on allât lui faire des infidélités avec un autre Roi. Non, ce n'était que pour le plaisir immense de trouver des conseils des dieux de l'Olympe en personne, et la joie démesurée de recevoir, peut-être, un infime compliment de leur part. Une simple remarque sur l'élégance d’une tenue équivalait à la bénédiction divine pour qui voulait réussir dans ce monde-là.

Boulot boulot, certainement pas dodo. Débarquée dans sa chambre d'hôtel, Jane y troqua son jean de voyage pour un costard gris clair et un chemisier noir, le tout rehaussé de talons vertigineux et d'un chignon tiré à quatre épingles. On la conduisit à l'école sans son Maître - qui n'allait pas pousser le vice jusqu'à s'occuper de ce que pourrait bien faire une petite nouvelle désormais - et démarra sa journée de travail. Il s'agissait d'aller à toutes les conférences auxquelles Maître Marshall ne pouvait pas participer et soit déblatérer tel un automate les instructions qu'on lui avait données sur un thème, soit inscrire précieusement tout ce qu'elle y entendait, le plus souvent les deux à la fois. Dix heures consécutives de termes effroyablement complexes, auxquels même la meilleure élève de l'école ne pouvait pas espérer comprendre plus de la moitié. Et enfin, la récompense : une soirée prestigieuse en compagnie des grands de ce monde, la table des rois ouvertes rien que pour elle, elle qui n'avait pas dormi plus de trois heures par nuit ces deux dernières semaines mais se moquait éperdument de son état de fatigue.

Pause déjeuner. Pour ceux qui ont le temps.
Jane, elle, jouait des coudes dans la file d'attente pour se frayer un chemin sans respecter la priorité et, ainsi, peut-être, espérer avaler un sandwich en reprenant les montagnes de notes qu'elle avait prises au cours de la matinée. Mais elle ne désespérait pas. La prochaine conférence était la seule donnée à cet horaire, ce qui voulait dire que Patrick Marshall y serait lui-même, et que Jane ne s'y rendait que pour le plaisir des choses passionnantes à y entendre. La seule conférence donnée et pour cause, il était hors de question pour qui que ce soit dans cette réunion de robes de prestige de la rater. Elle était menée par Veronika Baker en personne, le juge le plus célèbre de la ville et l'une des premières femmes pressenties à la place de maire ces dix dernières années, pourvu qu'elle se présentât à l'élection qui devait avoir lieu l'année suivante, une décision que le monde juridique entier attendait d'entendre en retenant son souffle. Et, pour Jane, l'une des personnes qu'elle avait le plus admirées depuis sa plus tendre enfance, presque la raison unique de son choix de carrière. Car si la société avait évolué ce dernier siècle, assez pour amener aux femmes une égalité décente des sexes, les mentalités avaient extrêmement régressé avec la crise et la guerre, la société retournant au machisme primitif comme la technologie revenait à ses premières bases. Les femmes capables de s'imposer dans ce monde étaient extrêmement rares et Jane avait tout lu de chacune d'entre elles, pour finalement faire de Veronika Baker son modèle de prédilection. Son cœur battait comme celui d'une adolescente énamourée à la seule idée de se trouver dans la même pièce qu'elle.

Patrick Marshall, en revanche, éprouvait un mépris connu et partagé pour cette femme, datant de l'époque où il plaidait pour le pénal, avant de se réorienter dans le privé. Les procès ayant réuni cette juge et cet avocat étaient connus pour avoir été les plus explosifs jamais comptés dans la société nouvelle. Mais comme Jane ne travaillait pas dans la même branche que la Juge Baker, et ne se trouvait au même endroit que par le pur hasard d'un texte de loi retravaillant les sanctions pénales dans le cadre des fraudes fiscales, son admiration lui était pardonnée. Largement raillée, mais pardonnée. Elle se demandait seulement comment elle allait pouvoir faire pour ne pas s'asseoir près de son patron, et ainsi éviter une mauvaise impression de la part de cette femme qu'elle admirait tellement.

Mais l'heure était pour l'instant à la tentative de sustentation. Jouant des coudes entre deux juges des litiges à grands renforts de plates excuses, elle parvint à attraper deux morceaux de pain et les coupa grossièrement en deux sur le chemin conduisant aux salades. Là, elle se faufila entre deux individus de dos, une silhouette massive et une autre plus menue, sa chevelure blonde coiffée au-dessus de ses épaules. Bien entendu, elle ne la reconnut que trop tard, au moment de lui passer sous le nez pour enfourner un peu de salade verte dans une coupelle et une tranche de dinde dans chacun de ses petits pains. En se retournant pour partir, elle accusa la funeste réalité, la bousculant même presque des épaules. La femme qu'elle admirait le plus dans le monde du travail. Elle venait de successivement griller la priorité puis presque heurter l'une des plus grandes femmes de ce monde-là. Ne se démontant pas, Jane s'excusa en un sourire poli et ajouta, ridicule diversion s'il en était.

" Je vous déconseille les huîtres, j'ai vu un frigo couler en passant devant les cuisines. "

Et elle s'enfuit lâchement, dans le placard qui lui servait de bureau pour son travail.

Un quart d'heure avant la conférence. Jane était en avance, elle avait bouclé tout ce qu'elle avait à boucler pour le moment. Dans un soulagement immense, elle alla se dénicher un café et sortit sur le perron de l'école pour s'en griller une, passant sans les regarder devant les photographies d'elle et du doyen de l'école, honneur donné aux meilleurs sortants de la formation qu'elle avait suivie. Arrivée dehors, elle aspira la bouffée de tabac comme un noyé retrouve son air après avoir enfin touché la terre ferme, ignorant le vertige que fatigue et monoxyde de carbone lui provoquaient. Un peu plus loin, un groupe de l'élite New Yorkaise bavardait autour de la même cigarette. Serrant les dents, Jane y reconnu la femme honteusement bousculée tantôt, et détourné piteusement le regard, préférant éviter d'y repenser. Elle extirpa son téléphone de sa pochette d'ordinateur et pianota machinalement un message d'amour pour son mari, après quoi elle se contenta de savourer sa pause en silence, la rumeur des conversation lui parvenant, transportant avec elle l'espoir d'être, un jour, au milieu d'un groupe similaire, à cet endroit même, pour discuter d’un ton badin des dernières heures, qui auront déterminé à elles seules toute l'organisation du monde juridique.

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MessageSujet: Re: L'Art de la guerre - Flashback L'Art de la guerre - Flashback Icon_minitime1Sam 4 Jan - 1:22




2093, en haut d’un escalier.

« J’ai hâte de vous entendre quoi qu’il en soit, comme bon nombre d’entre nous. »

Elle sourit, hoche gracieusement la tête et regarde l’homme descendre les marches, son sourire muant en une grimace lorsqu’elle le sait bel et bien disparu en contrebas. « Maudit misogyne hypocrite. Il aurait bien mérité de manquer la dernière marche. » Lâche-t-elle, la voix sifflante avant de remonter le couloir non sans provoquer un rire chez la femme qui l’accompagne. « Je le voyais plutôt manquer les trois dernières, sans doute ma vilaine myopie qui rend les distances imprécises. » Veronika pouffe de rire, secoue doucement la tête avant de tremper les lèvres dans un gobelet de café récupéré un peu plus tôt au distributeur du hall. Bien entendu, il est infecte mais certainement pas pire que ce qu’elle a pu connaître à ses début dans des bureaux où l’on respirait bien plus la poussière des dossiers entassés que l’air pur. Quant à en prendre un dans une jolie tasse, accompagné d’un petit gâteau à la cafétéria, aucune envie. Trop de têtes connues qu’elle voit déjà beaucoup trop et qui ne lui vouent pas une grande sympathie.

Les mentalités évoluent certes, mais la justice demeure un univers particulièrement machiste et certains de ces messieurs semblant si polis et délicats ne le sont -en définitive- que pour la forme, tachant de sourire pour mieux cracher ensuite. Oh l’habitude est là, ce n’est pas à la cinquantaine passée qu’on lui fera croire de jolis discours préparés et conservés dans les manches comme les anti sèches du BAC, tout de même. Rien de tels que les bruits de couloirs dans un tribunal pour savoir qui il est bon de garder à l’oeil, d’apprécier et qui il convient de détruire purement et simplement. À proprement parler la juge n’est pas une femme vindicative, mais loin d’elle la tendance à tendre l’autre joue car aussi agréable peut-elle être, on sait aussi que Madame ne pratique pas la langue de bois... que cela plaise ou pas, ce qui doit être dit sera dit. Et un individu nuisible doit être sanctionné... ou viré au pire voir même, enfermé un temps.

« Ce type, ce n’était pas lui au fait, qui plaidait pour la défense du drogué là ? Mince c’est quoi son nom déjà ? » Veronika roule des yeux, balance le récipient vide dans la première poubelle croisée et soupire. « Lui même, Joshua Walker. Un petit opportuniste des affaires qui font du bruit. La dernière avec le drogué, a bien failli être sa dernière. La foule aurait pu l’écarteler... » L’autre femme ricane, désigne une fenêtre qu’elle ne tarde pas à ouvrir. « J’aurai aimé voir ça, à défaut d’avoir entendu sa défense. » Veronika allume une cigarette, tend le paquet à son interlocutrice pour qu’elle se serve et avant même qu’elle puisse enchaîner, une petite voix se fait entendre. « Pardon mais... on doit fumer dehors. » La blonde pivote légèrement, s’accoude au rebord et souffle la première ligne de fumée, un sourire fleurissant à ses lèvres. Le gamin en face devait penser bien faire en soulignant une règle, il s’enfuit presque en courant maintenant et la queue entre les jambes pour ne rien gâcher. « Bref, tu n’as rien perdu en étant pas présente à ce procès ma vieille, c’était digne d’une scène de comédie à deux dollars, j’aurai dû noter le nombre de fois où ils ont hurlé objection. Sérieusement Walker pouvait plaider l’aliénation six mois de plus pour ce type... qui l’aurait déclaré innocent alors qu’il avait tué une gamine de six ans dans son putain de règlement de compte ? » L’autre fronce le nez, remonte ses lunettes à montures papillon du bout des doigts et tire sur sa cigarette.
Une femme dans son genre, mais n’ayant pas la moitié de ses ambitions. Jude est déterminée, certes mais en sa qualité de juge pour enfants elle possède une approche plus maternelle, ne foule pas les même terres et n’a jamais aimé le devant de la scène. Une protectrice, pas une attaquante loin de là. Arrangeant une épingle dans son chignon roux, Jude soupire, jetant un regard désabusé sur les gens passant et repassant devant elles. « Je déteste tout ça... c’est comme un énorme panier de crabes. » Veronika sourit, une lueur aussi brûlante que l’azote dans les yeux et arrachant l’ultime bouffée de la tige, la jette par la fenêtre. « Bof, aucune importance. J’ai jamais aimé le crabe... » Jude balance le mégot à son tour, emboîte le pas à sa comparse... pour la blonde Baker, cette journée sera à peine une formalité.

[...]

Sourire naturel, regard digne d’une mer d’huile, gestuelle fluide et pourtant… Madame vient de manquer -de peu- d’exploser la totalité des miroirs des toilettes. La raison ? Un seul passage par la cafétéria, lieu qu’elle s’était promis d’éviter à tout prix sachant qu’il mettrait à mal son humeur pour la suite de la journée. On y verra que du feu, chère habitude de la modération oblige mais Veronika est désormais beaucoup moins disposée à rester agréable et capable de ravaler l’acide qui lui chatouille les lèvres. Tout ces hommes et leurs remarques, leurs vilaines petites vannes... allusions déplaisantes sur sa possible candidature au poste de Mairesse, sa capacité à l’être... pauvres petits esprits qu’ils sont. À croire qu’ils ne savent toujours pas à qui ils ont à faire.

Elle a à peine posé le pied à l’extérieur, cigarette aux lèvres qu’un nouveau troupeau se forme autour d’elle. Tous ne sont heureusement pas détestables, parlent de la journée et on s’interroge sur ci ou ça. Les dernières lois en vigueur, les derniers procès marquants, les dernières décisions, les affaires de x ou y. La blonde écoute, replaçant machinalement une mèche de ses cheveux lorsqu’un coup de vent les dérange.
Un homme vient d’arriver et la dame n’a aucune affection pour lui, en témoigne son air dédaigneux et un bonjour qui ne passera pas ses lèvres. Avocat avoisinant la quarantaine, monsieur plaide avec virulence pourvu qu’on hésite pas à régler ses honoraires exorbitants et à glisser sous son bureau ultra design une enveloppe riche en petits papiers vert et blanc. Gueule de surfeur, le teint de celui qui a passé la veille dans une cabine à UV, sourire horripilant digne d’une propagande pour les soins dentaires, il a tout de celui qu’on peut envier à cet âge. Son costume du jour vaut à lui seul un bon mois de salaire de fonctionnaire et son mariage avec une jeune chanteuse en vogue l’a mis en avant de quelques magazines. Par ailleurs, même si ces derniers sont avant tout destinés à un public de femelles à petit QI, son nom n’a pas été sans passer de bouches à oreilles, celles-ci jamais très honnêtes. À croire que la classe criminelle lit aussi ces vilaines revues en papier glacé mais dans un tout autre but que celui de s’attarder sur la vie des célébrités... question à méditer. D’ici à ce que ces choses deviennent des annuaires regroupant les services des gens les plus odieux de cette bonne ville... Pour un peu, elle vomirait sa pauvre salade verte de midi.  

« On se sent toujours tellement supérieure hein miss Baker ? » Crache-t-il, la dévisageant du haut de son mètre quatre vingt dix, torse bombé et mains enfoncées dans ses poches. Oh il sait parler ? Correction, il sait parler oui, quant à dire quelque chose d’intelligent en revanche... Veronika hausse les sourcils dans une interrogation feinte, comme un : je ne vois pas du tout de quoi vous parlez vilain petit cloporte. Chose qu’elle se garde de prononcer de vive voix. Oh non la réplique serait trop rapide. « Vous savez, j’aime la politique et je me demandais si New York ne méritait pas une image jeune et disons... séduisante pour le poste de Maire. » Il marque une pause, lève les deux mains en signe d’apaisement inutile. Joue donc ta scène grand escogriffe, vole vole, tu t’écraseras bien assez tôt. « Loin de moi l’envie de vous couper l’herbe sous le pied, on dit que vous pourriez prétendre à ce poste, mais rien n’est officiel après tout. Sans compter que vous n’être plus toute jeune, et une femme divorcée, seule... l’image a quelque chose de, comment dire... tragiquement creuse ? »

Les têtes se sont baissées, on ose pas défendre la juge et pire on craint la suite. L’ambition est une bonne chose mais jamais lorsqu’elle nourrit un esprit aussi égocentrique et prétentieux. Pauvre type, sa voix peut bien être haut perchée et attirer volontairement l’attention, il n’est rien de plus qu’un de ces crabes cités plus tôt, ces arrivistes et ces beaux parleurs... Veronika souffle une longue volute, relève les yeux sur l’homme face à elle. « Je me demande... si votre charmante épouse sait utiliser un sèche linge. » Lance-t-elle, la voix chantante. Question qui n’est pas sans écarquiller les yeux de la parodie de surfeur. « Pardon ? » « A vous écouter, avec ce ton tellement haut et ces tirades sans queue ni tête j’ose supposer que vos dessous taille mini vous compriment tellement les couilles que vous n’êtes plus vous même ?! Oh, je me fourvoie peut-être ? » Visage digne d’une cocotte minute chez le blondinet, il n’y a que la vérité qui blesse non ? La juge éjecte le mégot, incline la tête de côté, une moue désespérée aux lèvres digne de celle d’une mère envers son rejeton bon à rien. « Présentez vous si cela vous chante, je n’empêche personne jeune homme. Cela étant... » D’une main elle saisit sa cravate, l’oblige à se pencher en avant pour ne plus avoir à lever la tête. « La seule image que vous avez toujours renvoyé est celle qu’un immonde petit imbécile diplômé sur le fil du rasoir et seulement bon à plaider des cas désespérés. Vous saignez vos clients avec de belles promesses pour qu’ils s’acharnent, mais combien de procès avez vous réellement gagné au final ? Vous êtes parfumé au Dior et débarquez en costumes haute couture, vous parlez d’image mais assimilez ça une bonne fois pour toute si votre cerveau est capable de connecter deux neurones : une merde reste une merde même si on la coule dans un chiotte en marbre. » Elle le lâche, lisse la cravate et sourit, le ton revenu courtois. « Manquez moi encore une fois de respect, et plus jamais vous ne mettrez les pieds dans un tribunal. Consolez vous cependant, si tel était le cas à l’avenir... vous auriez le temps de laver vos sous-vêtements vous même. » Ses doigts filent, quitte le type et elle tourne les talons non sans un sourire venimeux laissant bien entendre qu’il ne s’agit pas d’une plaisanterie.
Talons hauts qui claquent, nouvelle cigarette, elle préfère s’isoler pour le temps qu’il reste avant la conférence. Mais Veronika suspend son avancée, revient deux pas en arrière pour croiser le regard de cette fille qu’elle reconnaît très bien. « Tien tien... l’avocate pressée. » Glisse-t-elle, amusée. « On a abandonné ce tyran de Marshall ? Ma foi, difficile de vous en tenir rigueur. » La blonde tire à nouveau sur sa cigarette, considérant la jeune femme qui lui fait face plus en détails. Elle a cette allure plaisante des femmes de caractère, ce regard bien particulier. De l’ambition aussi, bien sûr, si on en manque on ne bosse pas pour cet affreux aussi bon soit-il dans son domaine. « Il m’avait bien semblé voir sa tête, je caressais le doux espoir d’avoir halluciné mais puisque son élite est présente... le libidineux des bureaux n’est forcément pas très loin. » Haussement d’épaules détaché, à peine un nuage dans le ciel de sa journée. Ce n’est pas lui, aussi haïssable puisse-t-il être qui suffirait à la mettre réellement en colère. De mémoire de tribunal, on a jamais vu Veronika Baker s’emporter et on craint bien plus l’arsenic distillé dans ses tirades qu’un emportement quelconque. D’un geste de la main, elle chasse le sujet comme on éloigne une simple mouche venue tourner autour d’un verre et poursuit, aimable. « J’ai vu bien peu de femmes dans les rangs de la jeunesse ces dernières années, celle-ci ne fait pas exception. Je ne doute pas que ces filles là seront particulièrement douées, les meilleures choses sont souvent les plus rares. Je vous souhaite une bonne continuation Jane Edison. »
L’heure approche, il est temps de filer. Veronika écrase son mégot, s’éloigne mais non sans une dernière phrase destinée à la jeune femme. « Très jolie la tenue, mais de grâce dans ce milieu plus que tout autre abandonnez vos pantalons ma belle ! » Et dos tourné elle ajoute tout en s’éloignant et non sans un sourire, autant pour elle que pour Jane : « Qu’ils n’oublient jamais ces braves hommes, que pour rendre justice on porte toujours la robe. »    
© Jason Lecter

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MessageSujet: Re: L'Art de la guerre - Flashback L'Art de la guerre - Flashback Icon_minitime1Sam 4 Jan - 21:26

Tous les mêmes, tous les mêmes, tous les mêmes, et y'en a marre


Sur ordre du juge, silence dans le tribunal...
Jane Edison n'était pas une fouineuse. Une chose qui l'empêchait parfois de faire entièrement son travail, car une partie de son travail consistait à connaître les moindres recoins de la vie de ses clients, ainsi que celle de leurs adversaires, et qu'elle rechignait toujours à s'y immiscer comme une vulgaire journaliste. Elle les avait en horreur, d'ailleurs, ceux-là, depuis qu'elle était en âge de se faire interviewer pour la réussite de son père, puis la sienne. Aussi avait elle pris soin de s'occuper et ainsi éviter la tentation humaine, trop humaine, d'écouter la rumeur des conversations près d'elle. Si ça n'avait tenu qu'à sa curiosité, elle aurait tendu l'oreille, sans forcément penser à mal, juste pour les entendre parler, comme un enfant se cache sous les tables dans un dîner de famille pour happer les conversations des adultes autour, tellement plus grands, plus impressionnants que lui. Son message terminé, elle avait consciencieusement tourné la touillette de son café bon marché dans son gobelet en plastique, récité mentalement des articles de loi, pensé à la fête qui l'attendrait quand elle rentrerait enfin chez elle, son devoir de citoyenne accompli. Elle avait fait tout ça malgré l'effroyable sensation que cela lui procurait de ne pas être à sa place, de nager dans son costard trop imposant pour elle, sans en avoir les épaules. Petite enfant se déguise comme maman. Comme papa, en fait. Mais c'est une histoire sur laquelle il n'est pas encore temps de revenir.

Seulement voilà, il lui était désormais difficile ne pas entendre ce qui se disait à côté d'elle, avec ce silence d'église instauré parmi toute l'assistance. Bouche bée, à l'instar de tous les autres, Jane finit par tendre naturellement l'oreille, rattrapée par sa condition d'être curieux. Quitte à subir les conversations alentour, autant les entendre complètement, après tout. La truffe baissée dans son café froid à force d'être compulsivement tourbillonné, elle accusa tout ça avec un mélange d'admiration profonde, et de totale stupéfaction. Ce n'était pas vraiment marqué dans les livres, ça. Cette froideur terrifiante avec laquelle Veronika Baker était capable de jeter les pires injures à la figure d'un autre, non sans frôler l'agression physique sur sa pauvre cravate. Estomaquée, Jane en abandonna l'idée de terminer sa cigarette, la laissant se consumer, faute d'oser faire le mouvement pour la porter à ses lèvres, et ainsi bouger ostensiblement dans une assistance figée comme le marbre. Ce ne fut que lorsque la conversation sembla enfin prendre fin, qu'elle osa relever le regard, ses yeux encore intimidés passant à l'un à l'autre de ses adversaires. L'autre était défait, en arrière scène, il tentait maladroitement de reprendre contenance en réajustant le chiffon froissé qui lui faisait office de cravate. Quant à l'une, l'unique, Jane mit une seconde à remarquer qu'elle s'était arrêtée devant elle.

Oh mon dieu, elle me parle.
Oh mon dieu, elle me parle.
Oh mon dieu, elle connaît mon nom.

Jane se maudirait sûrement, plus tard, de n'avoir pas été à la hauteur une fois de plus. Car en cet instant, elle était bien trop surprise pour espérer prononcer la moindre réponse. Elle n'était pas beaucoup plus timide qu'un autre, au contraire, mais il faut comprendre que la plupart de ses congénères dans des branches plus proches de la juge auraient tué pour obtenir la moitié de ça de sa part. De telles personnalités n'évoluent pas dans la même sphère que le commun des mortels, elles flottent dans une strate bien précise de l'univers et n'ont plus le temps de se préoccuper des événements fortuits, comme la présence d'une enfant sous les tables. Ce n'est pas toujours par arrogance, seulement par divergence de proportions. Jane avait une chance inouïe et elle en prenait bien trop la mesure pour parvenir à réagir. D'autant qu'elle n'allait décemment pas contredire une femme qu'elle admirait pour son patron, comme elle n'allait pas manquer de respect envers lui et lui donner raison à elle. Parfois, il valait mieux se taire, plutôt que de manquer au mieux de respect, sinon d'éthique envers un confrère. Et ce ne fut que lorsque la silhouette disparut de son champs de vision, la laissant respirer, que Jane reprit un peu de sa contenance et lui lança, dans un léger sourire, avant qu'elle n'eut franchi les portes d'entrée, un sourire ourlant le coin de sa lèvre.

" C'est que je n'arrive pas encore à courir en robe, madame le juge. "

Portes d'ailleurs tenues par son patron, depuis un temps inconnu, ce qui valut à Jane de se féliciter cordialement pour n'avoir rien dit sur lui. " Le libidineux des bureaux vous salue, Veronika... " l'entendit elle dire dans un sourire en flottement, s'effaçant pour laisser rentrer la juge, avant de faire signe à Jane de le suivre. Tous deux bifurquèrent près de l'amphithéâtre où devait se dérouler la conférence pour qu'il pût prendre un café à la machine avant le début de la séance, qui promettait d'être interminable. Il fallait reconnaître à Patrick Marshall, malgré tout ses défauts, de ne pas prendre ses plus jeunes associés pour des secrétaires. Il aurait demandé à Jane d'aller lui en chercher un qu'elle n'aurait décemment pu refuser, si dégradant fusse cet office. Et s'il n'en avait toujours pas, c'était bien qu'il n'avait pas eu le temps de s'en trouver un avant, trop accaparé par son travail. En somme, il n'exigeait rien d'autre de ses poulains que ce qu'il attendait de lui-même, et libres aux poulains d'avoir les épaules ou non pour ce faire. Imbu de sa personne, cruel et parfois fondamentalement tordu, mais fairplay. Fairplay et brillant. Revigorée par ce constat, Jane redressa les épaules et se prépara mentalement à la suite. Avisant son geste, penché sur sa machine, monsieur eut un léger sourire, et déclara en s'éloignant avec son café.

" Tu n'es pas tenue de t'asseoir à côté de moi, si c'est ce qui te turlupine. "

Terriblement observateur, aussi.
En rentrant dans la salle, elle le vit déjà assis, entouré de tant d'autres hommes qu'il n'y avait de toute façon plus aucune place pour s'asseoir dans son environnement proche. Quant à savoir s'il l'avait fait exprès pour lui mettre le nez dans ses infidélités, ou n'avait de toute façon jamais prévu de l'avoir près de lui... on en revient au chapitre sur son caractère de tordu.
Se glissant au devant des sièges, à gauche pour ne pas être trop noyée dans la masse malgré tout, Jane sortit son ordinateur et attendit patiemment que la conférence démarrât enfin. Elle n'était pas là pour intervenir, seulement observer et prendre des notes, et en en apprendre plus en trois heures que dans tout un trimestre de cours théoriques. Il fallait savoir ramper avant d'espérer courir, Jane ne s'en offusquait pas particulièrement. L'avis d'une jeunette ayant tout juste dix procès à son actif ne serait pas bien pertinent pour la face du monde. Fascinée, presque hypnotisée, elle écouta donc se jouer l'application d'un des plus grands textes de loi de l'année, entre les mains d'une femme avec des records juridiques à son actif, avec l'intervention d'autres personnes tout aussi brillantes. Il y eut des coups bas, bien sûr, mais l'ensemble était régi par une cohésion, une véritable match de tennis entre les avis et les idées, si rapide que la demoiselle en perdait parfois la balle des yeux. Elle devait presque se donner des gifles pour ne pas oublier de noter, absorbée qu'elle était par le spectacle, les Pink Floyd de la scène juridique. A son plus grand étonnement, elle vit son patron sourire quand une légère accalmie lui permit de détourner son regard de l'estrade, d'un sourire qu'elle ne lui connaissait pas. Loin du sadisme ou de l'arrogance qui brillait bien souvent dans ses iris, elle crut voir une lueur de profond respect, alors qu'il contemplait la femme au centre de l'amphithéâtre. Une lueur si vite envolée que Jane pensa immédiatement à une hallucination due à la fatigue.

Deux heures et cinquante trois minutes plus tard, sans pause, elle avait la tête qui tournait d'épuisement intellectuel. Le même épuisement qui se lisait sur tous les visages alentours. Il n'était pas difficile de comprendre pourquoi cette conférence était unique et concluait la journée de travail. Assommée, Jane rangea ses affaires et se glissa hors de l'amphithéâtre, pour aviser son patron adossé au mur. Il se redressa en la sortir enfin, signe qu'elle était la personne attendue. Mais il garda pour lui les raisons de ce soudain regain d'intérêt, et se contenta de regarder derrière son épaule. En se retournant, la demoiselle vit une chevelure blonde disparaître à l'angle d'un couloir et se retourna vers son patron, dans un sourire dont elle ne masquait même plus le triomphe.

" Vous la respectez, quand même, n'est ce pas ?
- Ca n'a aucune importance, si je la respecte ou pas. Et ne sois pas insolente, jeune fille. " Une fois la dernière personne sortie de l'amphithéâtre, il la saisit par le bras, à sa plus grande surprise, pour la conduire à nouveau à l'intérieur et fermer la porte derrière eux. Mais le plus absurde était à venir. Jane ne comprit même pas tout de suite ce qu'il fabriquait, et réalisa finalement qu'il était entrain de vérifier l'extinction totale des caméras fixées sur la scène. Dans un haussement de sourcils, elle contempla le manège, au cours duquel son patron poursuivait le plus naturellement du monde, tout à fait indifférent à l'idée d'être entrain de reproduire une caricature de film d'espionnage. " Ecoute-moi bien, rien de tout ça n'est personnel. N'en fais jamais une affaire personnelle, c'est ton travail et uniquement ton travail. Et c'est probablement le plus grand défaut de cette femme, d'ailleurs : les affaires personnelles. Mais puisqu'on parle de ça...  J'ai un boulot pour toi. "

Le bougre s'appuya enfin sur l'un bancs près de la porte de sortie et daigna reporter son regard sur elle, son costard plié par les bras qu'il croisait doctement contre sa poitrine.

" Veronika Baker a laissé échapper sa volonté de concourir aux municipales, ce qui veut dire que bientôt, les vautours commenceront à tourner autour d'elle, si ce n'est pas déjà fait. Et moi, je veux que toi, tu t'immisces dans la masse et la persuades de choisir le cabinet Marshall pour courir avec elle.
- Elle a sûrement déjà un avocat, pourquoi elle en choisirait un autre ?
- Parce que son avocat n'est pas une brillante élève tout juste sortie de l'académie, avec un joli minois et une mâchoire de tigre à lui rappeler sa folle jeunesse. "

Jane ne sut pas si elle devait se sentir flattée, ou profondément insultée. Tout comme elle ne savait pas s'il était insultant envers la femme dont il parlait ou non. Mais il avait fait des phrases à plusieurs sens la clé de sa réussite en matière de plaidoiries et manipulé des gens bien plus expérimentés qu'elle alors, en un sens, elle n'était pas vraiment surprise. Et, surtout, elle une chose bien plus importante en tête pour espérer y réfléchir plus avant.

" Ca veut dire que...
- Si tu réussis à la convaincre, on travaille ensemble sur ce dossier. Rien que tous les deux. "

Un sourire. Jane y retrouva l'étincelle tordue qu'elle avait cru perdre au cours de la conférence. Voilà qu'elle était rassurée. Un peu plus et elle l'aurait cru malade. Méfiante, elle fronça légèrement les sourcils dans un imperceptible geste de recul, taraudée par une question somme toute importante.

" Pourquoi vous y tenez ? Parce que vous pensez qu'elle gagnera ?
- Une quinquagénaire psychorigide,  souriante comme un matin de brouillard, divorcée, sans la garde de son enfant auprès des citoyens américains ? Ce serait un beau miracle. Surtout si elle réagit de cette manière aux coups bas... Mais je vois que tu y avais déjà pensé. " sourit il de plus belle en avisant son regard. Beaucoup trop observateur à son goût, sic. " C'est pour ça que je t'aime bien, Edison. Tu n'es pas seulement intelligente, tu es beaucoup trop réaliste pour ton âge. "

Se mordant un instant la lèvre, prise sur le fait, Jane détourna le regard, ce dont monsieur profita pour se relever et foncer droit vers la sortie, sans préavis aucun.

" Pourquoi, alors ? clama la jeune femme dans son dos, à deux doigts d'être totalement larguée.
- Je crois en Dieu à mes heures perdues ! "

Et il s'engouffra dans l'ouverture pour disparaître à son tour.
Ca va bien, maintenant, de ne pas me laisser conclure une seule conversation...


19h45, nouveau dilemme cornélien :


La rouge ou la noire ?
Plantée dans le peignoir bon marché - offert avec la chambre d'hôtel de seconde zone - les mains sur ses fines hanches, Jane contemplait les deux robes étalées sur son lit, en se mordillant la lèvre inférieure de cette puissante réflexion. Elle avait abandonné le costard amené dans ses bagages en troisième choix, sur les premiers conseils jamais reçus du juge Baker, probablement ceux qu'elle n'oublierait jamais, de toute sa misérable existence. Mais il restait à savoir qui de la discrétion ou de la démesure allait remporter cette furieuse bataille. On lui avait suggéré de prendre une couleur vive pour être plus visible dans la masse des costumes noirs et le rouge était indémodable, mais elle avait peur d'être vulgaire en s'affichant ainsi ostensiblement malgré sa minuscule petite place. D'un autre côté, la robe sombre était une valeur sûre mais il y résidait une pointe de tempérament non assumé qui déplaisait très fortement à mademoiselle. Elle avait passé la journée à se faire aussi petite que possible, une tâche bien en dessous de ce qu'elle se savait être par ailleurs, et il était grand temps de cesser de jouer les timides.
Seulement voilà, la frontière entre affirmation et vulgarité était bien souvent ténue et on ne se rendait toujours compte de l'avoir franchie que trop tard.

A cours de temps et désespérée, la belle largua un soupir sec et s'empara de l'une d'entre elles, les yeux presque fermés de toute l'appréhension que ce choix représentait à lui seul. La soirée promettait d'être riche, de bonnes comme de mauvaises choses.

20h30, portes franchies. Cour des lions, fosse aux grands, et caetera, et caetera. Dans sa robe de gala rouge et ses talons plus vertigineux encore que les autres, Jane gonfla la poitrine pour se donner courage et plongea au milieu de la mêlée, non sans un certain soulagement à la vue de quelques autres robes aussi claires que la sienne. Apparemment, cette idée de trancher le noir pour être mieux remarqué était une vieille recette passée de main en main parmi les gens importants - ou ceux qui désiraient l'être. Souriant à quelques visages aperçus tantôt, elle laissa les regards courir sur sa silhouette à son passage, un regain de confiance sur lequel elle ne crachait pas. Il s'agirait ensuite d'être prise au sérieux malgré ses courbes et elle soupçonnait la juge Baker de voir dans la robe perpétuelle une manière de faire un bras d'honneur à ce genre de difficulté. Chose que Jane n'était pas encore certaine de savoir très bien faire elle-même mais enfin, en jean de cours ou en robe de bal, elle avait affronté la majorité masculine depuis son entrée à l'école et savait comment éviter d'être prise pour une potiche.

Pour l'heure, elle se rua surtout vers un plateau de champagne. Discrètement, Jane en vida un verre et le reposa immédiatement pour s'emparer du deuxième, sous l'oeil amusé du serveur. On trouve le courage où on peut. D'ailleurs, elle eut quand même la volonté de se contenter de tremper les lèvres dans le suivant, de faire semblant que son père ne l'avait pas éduquée au whisky depuis l'âge de quinze ans, tout penaud qu'il était de ne pas avoir eu de fils à faire boire en causant succession d'entreprise. Ce n'était pas très bien vu, pour une femme, de descendre l'alcool mieux que la plupart des hommes de son entourage.

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MessageSujet: Re: L'Art de la guerre - Flashback L'Art de la guerre - Flashback Icon_minitime1Dim 5 Jan - 13:02




« Le libidineux des bureaux vous salue, Veronika... »
Monsieur sourit, Madame imite, le dépasse lorsqu’il s’efface sans avoir ralenti le pas une seule seconde. L’homme n’a pas plus d’intérêt que les autres et les faux semblants s’ils régissent la politique n’ont jamais été sans la faire grincer des dents une fois seule, dans une maison pouvant bien en abriter quinze de plus qu’elle. Veronika s’est faite seule, a joué des coudes et on l’a détesté bien avant de songer à l’apprécier. Les femmes de caractères ne sont jamais -aux yeux de la société- que des extra-terrestre à étudier au mieux, des Marie couche-toi là au pire. On aura beau dire, certaines zones du monde du travail continuent de conserver une attitude sexiste, négligeant que chacun est logé à la même enseigne sur les bancs d’études. En quoi mademoiselle, madame serait moins efficace que monsieur pourvu qu’elle possède le même foutu diplôme, parfois même avec mention ?! De quoi dégoûter la jeunesse.
Coup d’oeil à sa montre, l’heure H. Veronika pénètre dans la salle et n’a pas à se forcer pour trouver automatiquement ses marques sur l’estrade face à une horde capable de sourire uniquement par principe. Une chance, pour autant que cette conférence ait un but loin d’être futile, car elle promet un minimum de questions judicieuses, d’avis pertinents. Trois heures à tenir, elle lève la tête et un rictus lui tire les lèvres comme pour l’ouverture d’un étrange bal où elle aura autant un rôle de chef d’orchestre que celui de musicien ou de danseur. Les lois sont affaires d’être humains, des codes couchés sur du papier et pour certains vieux comme le monde. Le plus ancien ? Oh, le très connu « tu ne tueras point » sans aucun doute, bien qu’il appartienne d’avantage à une cour spirituelle. Encore cité aujourd’hui dans diverses plaidoiries et visant à ramener à ces chers textes législatifs le quidam sorti du droit chemin. Tu ne tueras point...

Amusant, ironique alors peut-on dire même ce petit défaut d’imaginer quelques uns de ces gentlemans entre quatre planches, savourant le silence que leur disparition provoquerait dans cette assemblée. Madame Baker a toujours été une femme plaisante, avenante et jamais dernière à s’aventurer sur les terrains glissants de quelques conversations houleuses. Là où les conflits faisaient fuir les donzelles de son jeune âge, elle y trouva matière à réfléchir et se construire des opinions propres sans jamais se laisser influencer. Écouter, peser, participer, échanger mais ne jamais subir. Inutile d’avoir le dernier mot lorsque la guerre est verbale, les silences sont parfois bien plus destructeurs et les suspensions à même de créer des vertiges.
Le nouveau texte n’est pas tant simple à ingurgiter mais sera incontournable dans les prochaines années et bien d’autres encore dans le domaine pénal, loin de certaines lignes rédigées puis annulées au bout de six mois pour raison x ou y. La magie du droit, disait un avocat connu à ses débuts, c’est cet art que nous avons d’apprendre des kilomètres d’articles pour finalement nous rendre compte qu’entre temps, certains ont été invalidés par d’autres. Il comparait la justice à la science, non sans assimiler les porteurs de la robe noire aux porteurs de la blouse blanche en matière de sadomasochisme... selon lui toujours ces deux branches professionnelles devaient avoir -à n’en pas douter- une majorité de tordus dans leurs rangs et ce depuis l’aube des temps. À voir passer les années sur l’une de ses branches Veronika devait bien l’admettre, il fallait être un brin dérangé pour avoir un jour caressé l’espoir d’entrer dans le lot... Pas qu’elle s’en plaigne, mais sans offense à cette grande Dame de la chanson qu’était Madame Piaf, pour la Vie en Rose on repassera.      

D’une main elle referme son dossier, claquement sec du papier cartonné sur le bureau signifiant là la conclusion et la fin automatique de sa conférence. On aura pas été sans la questionner sur sa candidature aux élections municipales et inutile de répondre non, de mentir puisqu’elle l’envisage très sérieusement. Pourquoi pas après tout ? On est pas sans la citer en bien et depuis son arrivée au barreau de New York on a pas été sans remarquer que la vis se serrait en matière de condamnation. Mais Veronika se lasse d’avoir à répondre sans cesse à ces curieux qui n’ont qu’à attendre les jours en question, sagement plutôt que de gâcher leur salive à rien en plus de lui faire perdre du temps. Quelques poignées de mains, échangées de bonne grâce au terme de la conférence car quelques visages, plus familiers et plus appréciés ne sont pas sans amener des sujets plus simples, des faits du quotidien. L’un a marié sa fille dernièrement, l’autre peste sur une voiture qu’il serait bon de changer mais vu les prix... une autre soupire, annonçant qu’elle est à nouveau sur le marché des célibataires. Un peu de vie, ça ne tue pas. Prenant congé non sans un éclat de rire à un compliment lâché en tout amitié, la blonde s’éloigne et quitte les lieux à destination d’un hôtel des environs. Cette petite comédie ne saurait s’achever autrement qu’en grandes pompes dans une soirée et elle compte bien dormir quelques heures avant de descendre dans la fosse. Le tribunal et ses affaires sont une chose, une parade regroupant des adeptes de ce jeu en est une autre...

[…]

Une femme invitée n’arrive jamais à l’heure. Jamais en avance non plus, non elle doit se faire désirer mais au diable cette chère étiquette et mea culpa Madame Baker mère, votre fille Veronika est à l’heure comme toujours. Talons aiguilles, robe noir d’une coupe simple mais soulignant une silhouette dynamique qu’on remarque principalement par les jambes, celles-ci n’ayant rien à envier aux filles de la vingtaine bien au contraire. Cheveux lâchés sur les épaules, rouge sanguin et cigarette à la bouche elle arpente la salle jusqu’à trouver le champagne, en saisissant une coupe pratiquement au vol avant d’aller venir, accrochée par l’un ou l’autre des autres noms connus.

Une bonne demi-heure plus tard c’est passablement ennuyée, sirotant une nouvelle gorgée de bulles que la juge Baker se laisse délicatement tomber sur une chaise, croisant les jambes et arrangeant d’une main absente sa coiffure qui n’a pas tant bougé. La journée fut longue et cet intérêt grandissant envers cette histoire d’élection commence sérieusement à mettre à mal sa patience du jour. Le surfeur blond l’évite -que c’est étrange- et pourrait se perdre dans son verre de whisky à force d’en fixer le fond noyé de glace, préférant encore cela à un simple sourire qui lui vaudrait une nouvelle humiliation aussi parlante qu’un « Tu te trouves présentement dans le top cinq des personnes que je rêve de voir punaisées au mur avec l’étiquette de : viande avariée, à ne consommer sous aucun prétexte. » prononcé de vive voix. Ce qui n’est pas sans tirer à la juge un sourire aiguisé, elle a toujours préféré les crétins dans son genre bien à leur place : rampant le plus bas possible.    

« Doux Jésus, de mémoire je ne t’ai jamais vu afficher un air aussi ennuyé pendant une soirée. » Jude s’installe à sa droite, lisse les plis de sa robe émeraude sur ses cuisses et sourit, compréhensive. « Trop de questions tuent les questions ? » La blonde soupire. « Tu n’as pas idée, à croire que me présenter à ce poste serait aussi catastrophique que déclencher une guerre bactériologique. Bientôt ils me rendront responsable de  la nano-bombe. » La rousse part d’un rire clair, avale une lampée de son verre et jette un œil autour. « Au fait, tu as vu Marshall ? » Veronika fait la grimace, jette un regard suspicieux autour. « Moins je le vois mieux je me porte, cela étant je le trouve... bizarre. Une impression peut-être, quoi qu’il en soit je ne suis pas fâchée qu’il se soit orienté vers le privé. » Jude acquiesce, désigne quelqu’un d’un vague mouvement du poignet. « Ce n’est pas sa victime du moment là-bas ? Edison ? » « Si, un peu stressée semble-t-il. Étonnant... » Jude lui tapote l’épaule, coulant en sa direction un regard signifiant à lui seul un : vas-y tu en meurs d’envie. Veronica se lève, siffle entre ses dents et allonge quelques pas en direction de la jeune femme.

« Comme une envie de vous noyer dans le champagne ? » Lâche-t-elle, amusée avant de poser sa coupe vide et d’allumer une nouvelle cigarette. « Ravissante votre robe, j’aime beaucoup. Ça plus les talons hauts... ma foi votre réputation ne ment pas. » Un serveur passe et elle saisit une nouvelle coupe sans qu’il ait à s’arrêter à sa hauteur. Levant son verre à l’intention de la jeune femme, la blonde poursuit, amicale. « Logiquement, les jeunes profitent d’une telle occasion pour rester coller à leur patron et se faire présenter à chaque tête couronnée de lauriers... » Elle sourit, un rire argentin aux lèvres. « Étonnant que le coq ne vous réclame pas, lui toujours si fier de montrer à ses vieux confrères qu’il a une fois de plus mis la main sur l’élite... vous aurait-il confié une mission secrète ? S’il s’agit de goûter le champagne, sachez que j’ai connu mieux. » Un roi préfère toujours se déplacer avec ses suivants, de quoi flatter son ego surtout lorsque les dits suivants sont un beau brin de fille vêtue de rouge et dont les courbes attirent le regard. En cas contraire, c’est que le roi a prévu autre chose... connaissant Marshall la liste des possibilités peut être longue mais pas futile. Pas que Veronika s’inquiète des projets de cet homme insupportable, c’est même loin de l’intéresser mais au moins, voilà de quoi occuper sa soirée de manière un peu plus intelligente. À condition que son interlocutrice ait un minimum d’esprit, on le prétend c’est un fait mais la juge a toujours préféré juger par elle même. Déformation professionnelle très certainement...             
© Jason Lecter

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MessageSujet: Re: L'Art de la guerre - Flashback L'Art de la guerre - Flashback Icon_minitime1Dim 5 Jan - 20:14

" Qu'est ce que je vous disais, Arnold.  Comme un papillon attiré par une flamme. "

Adossé contre un mur à l'angle d'un grand corridor s'échappant du hall principal où se déroulait la réception, Patrick Marshall adressa un sourire à l'homme qui venait de le rejoindre, le regard fixé sur la scène qui se jouait à l'autre bout de la foule. La juge Baker venait de quitter son assise pour rejoindre son associée, toutes deux engageant la conversation qu'il avait tellement attendue ces derniers mois. Il ne savait pas si c'était par perspicacité ou par erreur que Jane Edison l'avait laissée venir à elle au lieu de faire le premier pas mais, en tout cas, les choses semblaient se dérouler à merveille. Une vraie raison de sourire pour Patrick Marshall, donc. La première depuis très longtemps.
Celui qui venait de le rejoindre, un homme d'une petite quarantaine d'années, frôlant le mètre quatre vingt dix, dont les yeux grands yeux noirs semblaient perpétuellement s'étonner tant le blanc qui les séparait de sa peau toute aussi sombre était visible, se joignit à lui pour contempler le spectacle, et laissa échapper un rire bref.

" Je dois dire que même pour vous, c'est impressionnant. Jeter ainsi la vie d'une jeune femme en pâture sans le moindre remord...
- Oh, détrompez-vous. J'ai dû torturer son prédécesseur deux fois plus vite pour lui obtenir une place rapidement, il serait regrettable de la perdre si tôt. Et puis je l'aime bien, cette petite.
- Elle ne se doute de rien ?
- Rien du tout. Elle se méfie, tout au plus. Madame la juge aussi, probablement. Mais d'ici à ce qu'elles découvrent les enjeux de cette affaire, Veronika Baker aura bien d'autres choses à penser que mes petites magouilles. Et de votre côté, tout se déroule correctement ?
- Notre homme agit exactement comme nous l'avions prévu... Vous avez l'air bien sûr de vous, pour quelqu'un dont la vie se joue entièrement sur des conjectures fantaisistes. Vous avez déjà songé à ce qui arriverait si elle ne gagnait pas ? Et, quand bien même, qu'il serait peut être déjà bien trop tard à ce moment là ? "

Tout en lui tenant ce petit discours, le dénommé Arnold lui remit à l'abri des regards une enveloppe cartonnée, que l'avocat s'empressa de ranger dans la poche intérieure de sa veste hors de prix. On pouvait alors voir sur son visage une expression fugace, aussi éphémère que le soupçon de respect tantôt remarqué par sa nouvelle marionnette. Les traits tirés, le regard plissé, la mâchoire contractée : l'espace d'un instant, Maître Marshall eut l'air absolument terrifié.

" Aux innocents les mains pleines. " murmura t'il en un haussement d'épaules, retrouvant immédiatement sa superbe. " Et si cette femme perd les élections, je ne serais pas le seul pendu haut et court au bout du compte. " une œillade à l'adresse de son complice pour lui transmettre cruellement toutes les raisons d'être effrayé à son tour. " Nous n'avons pas fait tout ça pour nous asseoir dessus si près du but. Pourquoi croyez vous que je tienne à m'assurer personnellement de sa foutue couronne ? " Et d'ajouter en lui tapant l'épaule dans un nouveau sourire, avant de se noyer à nouveau parmi la foule pour jouer la comédie mondaine et dissimuler les véritables raisons de sa présence à cette inutile réunion d'éminentes robes, toutes aussi inconscientes des véritables enjeux de ce monde les unes que les autres.  " Vous devriez croire d'avantage en Dieu, Arnold. "


Pendant ce temps, chez les inconscients :


Le début de sa soirée fut assez enrichissant. Pas autant que sa journée mais enfin, Jane parvenait à se donner l'impression de ne pas perdre complètement son temps. Attrapée au bras par un juge des litiges bousculé plus tôt pour tenter d'attraper son déjeuner - à croire qu'enfreindre toutes les règles de politesse était chose payant dans ce monde - elle se fit promener de groupe en groupe pour être présentée à des personnes que son cas pouvait intéresser. Monsieur était un homme souriant, plein de finesse et d'humour, denrée rare dans les parages s'il en était. " Savez-vous pourquoi les femmes ont été si longtemps tenues à l'écart des postes importants ? " glissa t'il, presque en guise de présentations, une œillade hilare à son adresse. " Parce que les hommes savent une chose qu'elle ignorent : une seule d'entre elle est plus redoutable que dix d'entre nous. " Apparemment, il semblait avoir de la sympathie pour Jane et lui permit de progresser de personne en personne avec une certaine dignité. On la félicita parfois pour son tableau d'honneur, le plus souvent on ne sut absolument pas qui elle était mais enfin, tout ce beau monde avait pour lui d'être cordial. Et la robe rouge était effectivement un atout efficace, elle attirait l'l’œil, immobilisait ses interlocuteurs sans même que ceux ci n'en eussent totalement conscience. En somme, elle passait un meilleur moment qu'elle ne l'aurait cru. Et le champagne aidait grandement à lui faire temporairement oublier le sentiment de culpabilité acide qui lui étreignait le ventre.

Une heure plus tard, réfugiée derrière sa quatrième coupe, elle se glissa à la croisée des chemins entre deux serveurs pour attraper quelques petits fours avant de mourir d'inanition. Elle avait complètement oublié de manger, prise par le moment, et ce n'était pas les deux pauvres sandwichs avalés ce midi qui allaient lui tenir au corps. Si elle voulait continuer à savourer le champagne sans s'évanouir dans ses vapeurs, il allait falloir un peu plus que quelques amuse-gueules. Aussi en était elle à tendre son gigantesque cou pour espérer repérer un buffet de véritable nourriture quand une silhouette en approche attira son regard. Une fois de plus, Jane savoura avec une certaine amertume l'ironie de sa situation : elle était enfin assez vaillante - ou pompette - pour espérer soutenir une conversation avec Veronika Baker, et sa culpabilité allait lui bousiller ce moment aussi sûrement que le trac avait ruiné les deux autres. Glissant un sourire comme toute convaincant à son adresse - on ne devient pas avocat sans une certaine propension pour la comédie - elle attendit donc de la voir la rejoindre, et répondit à sa première remarque par un rire bref.
Adieu nourriture, bonjour le cercle de l'enfer de la famine réservé aux traîtres et aux tricheurs...

Plus Jane passait du temps avec cette femme, plus elle prenait de plaisir à la croiser. C'en était même surprenant. Elle avait dû lui parler vingt secondes et déjà, ces airs de familiarité lancés entre chaque plaisanterie lui provoquaient des papillons dans le ventre. Jane s'imaginait passer des heures entières avec elle autour d'une bouteille de whisky et de quelques cigarettes, à refaire le monde, à se noyer dans le bonheur de trouver enfin un modèle féminin en chair et en os à qui s'identifier. Et tout ça ne faisait que renforcer son sentiment de culpabilité. Plus elle regardait son visage, plus elle se faisait l'effet d'une admiratrice frivole abandonnant son icône du rock à la première critique négative d'un torchon revanchard. Mais elle ne croyait pas non plus qu'admirer sincèrement quelqu'un justifiait qu'on la mît sur un piédestal et lui prêtât des pouvoirs sans limite. Jane pensait toujours qu'en l'état actuel des choses, le juge Baker allait se faire réduire en miettes dès les premiers tours des municipales, non pas parce qu'elle ne méritait pas d'être maire mais précisément parce qu'elle le méritait trop. Cette femme était d'une intégrité impardonnable en politique. Et les propos qu'elle avait tenus à l'autre caramel ambulant en étaient la preuve cuisante. Les idéalistes faisaient de très mauvaises recrues en politique. Mais enfin, qui était elle pour juger de la sorte une femme qui en avait tellement plus accompli, quelle genre de petite arrogante faisait-elle pour espérer lui tenir fusse-t'il une seule remarque sur son attitude ? Et surtout la convaincre qu'elle et le paon lui servant de patron étaient la réponse à son problème ?

" J'aurais dû mettre la noire. " souffla t'elle donc seulement dans un sourire flottant, sans ciller le moins du monde aux étranges questionnements de la juge, pour ajouter avec un certain amusement. " J'ai toujours trouvé le champagne très peu méritant pour sa réputation. Mais l'or se marie mieux au rouge que l'écossais. Donc j'aurais dû mettre la noire. " Jane avala une gorgée de bulles pour occuper un léger instant d'hésitation et ajouta, désignant d'un geste une baie vitrée donnant sur les jardins intérieurs de l'école. " Est-ce que je peux m'entretenir avec vous une minute ? "

Après consentement de la juge, les deux femmes s'extirpèrent hors de la foule. Dans un frisson, Jane savoura l'air frais qui lui caressait enfin les bras, loin de la chaleur que les corps commençaient à produire à l'intérieur. Elle ouvrit une petite pochette nichée au creux de sa paume et sortit d'un étui en métal une cigarette fine, qu'elle glissa entre ses lèvres et alluma dans un soulagement à peine dissimulé.  Elle ne se sentait pas encore suffisamment insolente, couverte d'assez de panache pour ignorer les interdictions de fumer dans les lieux clos elle-même. Ouvrant la marche, elle conduisit Veronika Baker entre les platanes, dans les deux larges sentiers en croix tranchant le petit jardin, pour longer les pelouses sur lesquelles elle avait travaillé par beau temps ces cinq dernières années, une nostalgie soulevée par les bulles de champagne lui imprégnant un instant l'esprit. Après le silence dû à cette petite prise d'air, elle reprit enfin la parole, d'une voix étonnamment sereine pour la bataille qui faisait rage en elle depuis plusieurs heures.

" J'avais quatorze ans quand j'ai lu votre biographie pour la première fois. C'est elle qui m'a donné envie de faire ces études. Je voulais devenir juge mais je me suis rapidement aperçue que je n'étais pas assez idéaliste pour ça. " Elle se tut un instant, un sourire étirant ses lèvres, et ajouta dans une gravité plus ou moins volontaire. " Si je vous dis ça, c'est parce que la suite va probablement vous amener à me détester autant sinon plus que mon patron. Et j'aime l'idée que, pour dix ou vingt secondes, vous ne sachiez de moi que cette biographie dévorée à quatorze ans, et son poids dans le choix de ma carrière. "

Jane ne savait toujours pas pourquoi Patrick Marshall tenait ainsi tellement à soutenir Veronika Baker dans cette campagne. Elle ne savait pas non plus si c'était là une initiative réellement judicieuse, en terme de pur esprit pratique, compte tenu des quantités de choses qui la tenait encore éloignée de sa victoire. Elle n'était sûre que de très peu de choses, certaines avérées, d'autres dont elle avait seulement envie de se convaincre, car elle restait humaine malgré son réalisme frôlant bien souvent le défaitisme. Et ce fut seulement lorsque Jane énuméra mentalement toutes ces choses, et décida en toute simplicité de les avouer à madame, que son esprit pratique sembla enfin se réconcilier avec sa conscience morale. Désignant un banc près duquel elle passait, la jeune femme s'y assit à côté de son aînée. Elle prit encore une petite seconde pour se donner courage, dire au revoir à une quatrième chance qu'elle aurait pu avoir de rencontrer, cette fois ci dans les règles de l'art, son icône du rock à elle.

" Il m'a demandé de vous convaincre d'en faire votre avocat principal pour votre campagne. Et, le connaissant, probablement aussi le responsable de tout ce qui a trait à vos apparitions publiques. Si j'y parviens, il fera de moi sa seule et unique associée sur cette affaire. Il ne s'attendait probablement pas à ce que je vous le dise mais quitte à foutre en l'air mon avenir, autant le faire jusqu'au bout, et être honnête. " Elle esquissa un sourire bref, amusée, en un sens, par l'ironie de toute cette situation. Veronika savait. Toutes deux étaient bien conscientes que Jane ne faisait pas tout ça par pur soucis de suivre les ordres, et qu'elle aurait tué père et mère pour avoir ce fameux rôle dans cette campagne. La juge comprenait sans le moindre doute ce que cela devait représenter pour ses ambitions, et les intérêts purement égoïstes que l'avocate avait à la convaincre. " Mais sachez que je ne vous dirais pas tout ça si je ne pensais pas sincèrement que Patrick Marshall est l'homme dont vous avez besoin. " ajouta donc Jane, comme pour répondre à cette conclusion silencieuse que toutes les deux venaient de tirer. " Il peut être une ordure sans nom mais il reste le meilleur dans son domaine et, surtout, il a toujours fait preuve d'une éthique irréprochable dans son travail, à défaut de la respecter dans ses rapports humains. "

Et elle aurait pu la convaincre. Tenter, du moins. Citer des exemples, jeter des statistiques, noyer les doutes dans une succession de chiffres et de succès qu'elle connaissait par cœur. Véritable plaidoirie, la plus importante, en somme, qu'elle aurait eu à mener jusque là. Mais Jane n'en avait pas envie. Elle ne savait pas si son patron attendait véritablement des résultats de cette absurde tentative ou cherchait seulement à trouver une bonne raison de la virer, la laisser s'humilier toute seule au point de démissionner immédiatement ensuite. Quoiqu'il en fut, elle ne voulait pas rentrer dans ce jeu là. Elle avait bien trop de respect pour cette femme, pour fusse t'il songer à lui balancer la plaidoirie infaillible d'arguments bien propres. Alors quitte à ruiner sa avenir... après un silence occupé à se mordiller la lèvre sur la signature de son arrêt de mort professionnel, Jane reprit donc, contemplant les pelouses étalées devant elles, où elle avait étudié innocemment des pages de cours bien rangées, manichéennes et réconfortantes, à peine quelques mois plus tôt.

" L'image est la seule chose qui importe en politique. Quand vous ferez face aux médias, aux citoyens, vous ne serez plus la femme incroyable qui a mis tellement d'acharnement à faire régner la justice et s'est préoccupée de donner ce même goût de la justice à la jeunesse. Vous serez une anonyme à propos de laquelle tout reste à dire, le bon comme le mauvais. Surtout le mauvais. Vos adversaires n'hésiteront pas à attaquer toutes les faiblesses de votre existence, devant un public autrement plus vaste, plus cruel que le petit auditoire de tout à l'heure. On vous accusera de porter toutes les tares du monde et si vous réagissez comme vous l'avez fait, les journalistes auront à peine à embellir le tableau pour vous taxer de folle furieuse à la face du monde. " Elle se tut une seconde, pour réaliser elle-même ce qu'elle était entrain de dire, et à qui elle était entrain de le dire. " La politique n'est pas un tribunal. C'est une fosse aux serpents dans laquelle on vous jette dans votre plus simple appareil. Rien d'autre que l'image n'y a sa place. Et, pire que tout, c'est un monde où il ne sert à rien d'avoir les meilleures choses à offrir, si on n'est pas prêt à les renier le temps d'un affrontement. Je suis tellement... convaincue, que vous avez le meilleur à offrir et feriez un maire exceptionnel, je serais profondément outrée que vous  ne puissiez pas le devenir, parce que personne ne vous aura avertie avant qu'on allait tenter de vous dévorer vivants. Je viens peut être de perdre ma carrière et le respect de l'une de mes plus grandes icônes, et dieu sait que le sacrifice ne me ressemble pourtant pas vraiment. Mais je suis encore assez idéaliste pour espérer qu'il ressortira de cette compétition absurde de faux semblants la véritable Veronika Baker et de nouvelles occasions pour elle d'en inspirer d'autres que moi, depuis sa place de maire. Quand bien même je ne participerais à cette campagne ni de près, ni de loin. "

Écrasant sa cigarette de la pointe de sa chaussure, elle fouilla à nouveau dans sa pochette et se releva pour déposer à la place qu'elle avait occupée une petite carte plastifiée, et achever sa tirade dans un regard à l'adresse de la juge puis s'en retourner à la réception mondaine.

" Je vous demande seulement de réfléchir avant de dire non. Mon numéro personnel est sur cette carte, ainsi vous n'aurez pas à lui parler si vous ne voulez véritablement rien avoir à faire avec lui. Je suis joignable à toute heure. "

Voilà.
On l'avait enfin laissée conclure une conversation.


Quelques heures plus tard, dans une chambre d'hôtel bien fermée.


Dans un peignoir le luxe offert par son hôtel de luxe, Patrick Marshall sortit de la salle de bain rutilante de sa chambre pour se diriger vers son costard pendu à une chaise. Il en arracha une enveloppe cartonnée qu'il jeta sur le lit sans oser encore la regarder, attendant pour ce faire d'avoir sorti une cigarette, et s'être servi un verre de cognac indécent. En quelques gorgées, il contempla le petit rectangle, longuement, dans une grimace de frayeur. Puis il vida son verre, s'en servit un autre, et se décida enfin à ouvrir la pochette d'une main fébrile pour en étaler le contenu sur le lit d'un geste brusque. Une série de clichés, tous affichant le même homme occupé à diverses activités obscure pour les profanes de la violence. Le type était facilement reconnaissable, car il traînait avec lui des costumes aux couleurs criardes, un maquillage grotesque, et des cicatrices à faire pâlir un adepte de la scarification.
Le diable n'est pas toujours là où on l'attend. Le diable n'est pas toujours celui qu'on croit.
Parfois, le diable porte seulement un costume noir et passe ses nuits dans des hôtels de luxe.

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MessageSujet: Re: L'Art de la guerre - Flashback L'Art de la guerre - Flashback Icon_minitime1Lun 6 Jan - 0:22




Elle aurait pu le parier et n’aurait rien perdu de sa mise. Lui parler en privé, dehors là où les seules oreilles traînantes ne seront pas celles des hommes et des femmes. Il y a quelque chose de triste, finalement dans la boucle faite par les lois, la politique et ses dérivés. On en revient sans cesse au même à jouer et surjouer sans jamais en venir directement au fait. Veronika chérit pourtant la vérité, la franchise ; ces deux simples mots qui l’ont guidé en tout et pour tout de l’enfance à ce jour. Jamais celle qui se cherchait des excuses et se dissimulait sous un masque, jamais celle qui détournait les faits pour les enjoliver d’une quelconque façon. Elle voit dans le nouveau gouvernement une opportunité réelle de changer les choses, de rendre un peu d’éclat au pays après de si longues années passées à contre jour sans grandes certitudes. Ces coup bas et ces magouilles sont peut être toujours à la mode, les complots aussi vieux que la terre qu’ils foulent tous mais ils sont lassants. De la lumière par le ciel, c’est tout ce qu’elle attend de l’avenir. Du vrai et du concret.

Elle sourit, affectueusement presque, à entendre l’introduction émise par Jane et pour un peu lui tapoterait bien l’épaule en signe d’encouragement, comme on le fait à un enfant avant un exposé. Elle n’en fera rien car entre les lignes, la juge lit d’ors et déjà que la suite ne lui plaira pas. Il est tellement plus facile de compter ses ennemis que ses amis au jeu du pouvoir quel qu’il soit, à tel point qu’on s’y perd et elle en a connu des jours amers, débutante qui avait encore beaucoup à apprendre malgré une facilité certaine. Elle se souvient lorsqu’elle boudait, indignée au fond du sofa de la grande maison familiale, à écouter du blues en se noyant dans un verre dont le contenu lui échappe aujourd’hui. Son père éclatait de rire, blessant de plus belle une fierté de jeunesse qui avait encore besoin de se forger. « T’en verras d’autres, c’est un milieu de putes. » Disait-il, entrechoquant son verre contre le sien et Veronika soupirait : « On est tous des putes hein ? » L’homme l’avait bien assez dit lui même, mais il avait pour lui la nonchalance que seuls les plus grands acquièrent par la force de l’âge. « Ouais, on se vend juste d’une manière différente. Garde ça en tête, la politique Nik, c’est un milieu ou tout le monde pense que tu es à vendre, et qu’on peut acheter n’importe qui. À toi de voir si tu veux en être... » Elle n’en serait pas. Veronika Baker ne serait jamais à vendre. Elle avait et a encore pour elle une intégrité réelle, une honnêteté qu’elle tient à transmettre. On ne prétend pas être juste si on est capable de piétiner son honneur, ses valeurs. La blonde a sacrifié beaucoup mais jamais ça, c’était bien hors de question.

Et on y vient, au pourquoi du comment. Veronika lâche un reniflement, autant méprisant qu’amusé car elle n’est pas surprise. Ça sentait le pourri comme on dit et Monsieur est la raison de l’odeur pestilentielle. Pour un peu elle applaudirait l’audace mais ce serait lui faire trop plaisir encore. Cigarette roulant entre deux doigts elle observe les pelouses qui en ont vu passer tellement, de ces visages juvéniles persuadés pouvoir briller un jour au barreau, de siéger à une place enviée, de parader et de se faire un nom... pauvres gamins, combien finiront démolis par l’alcool ou les médicaments, épuisés, fracassés face à certaines affaires voir même par la pression imposée et bons pour la dépression longue durée ? La juge ne conseillerait cette orientation professionnelle à personne. Il faut un mental pour jouer dans le panier de crabe et savoir dire stop. Trouver ses propres limites en tout.
L’homme dont elle a besoin... la phrase n’est pas sans lui faire ravaler un rire jaune. Elle n’a jamais eu « besoin » des autres. Non par vanité, simplement la Dame s’est un jour donné le droit, sinon le devoir d’être seule à choisir ses alliés. Elle propose qu’on la suive, elle peut demander un avis, un conseil mais ne remet son sort entre aucune autre main que la sienne. Toujours considérer qu’on est seul et qu’on doit se débrouiller seul. Alors avoir besoin de cet individu... la charmante Edison en deviendrait soudain bien déplaisante.    

Correction, elle est devenue déplaisante. Madame Baker n’interrompt pas plus qu’elle participe, écrasant le mégot de cigarette et croisant les jambes avant de lisser une mèche de ses cheveux. C’est à elle que cette fraîche diplômée parle d’image ? Sa fille elle même malgré une collection de griefs impressionnants à son encontre n’oserait même pas en faire le centième. Le sourire avenant s’est envolé aussi sûrement qu’un oiseau face à un chat et Veronika revient à cette allure que seuls les tribunaux lui connaissent. La droiture d’une lame d’épée, le port de tête haut et le regard tranchant. Comme si elle ne savait pas ce que la politique implique, fille aînée d’un sénateur et toujours sur les talons de l’homme en question même pas adolescente encore. L’image, comme si elle en ignorait les codes, les contraintes et les subtilités... C’est un soupir exécré qui lui traverse les lèvres, lourd d’une vague acide qu’elle gardera. Cette jeune femme a perdu toute la sympathie qu’elle pouvait inspirer. Une seconde, la juge songe à glisser l’idée que de toute évidence... la biographie n’a pas été lue de bout en bout. Oeillade glaciale malgré sa couleur ambrée, ne suivant pas la carte qui repose bientôt sur le banc ni la sortie quasi tragique d’Edison. Elle n’a duré que trop peu de temps avant que Veronika ne tire une nouvelle cigarette et lorsqu’elle lâche la première volute, c’est un silence franchement bienvenu qui l’enveloppe. « Imbéciles que vous êtes... »

[...]

Un numéro à appeler, comme si elle allait choisir la facilité. Monsieur a voulu tenter l’approche en traître, lui envoyant dans les pattes une fille brillante dans l’espoir qu’elle inspire confiance... que nenni.
Une voiture s’arrête, une portière s’ouvre et des talons hauts percutent le pavé avec la régularité d’un tir de mitraillette. Volée de marches, double porte passée et une secrétaire qui s’étrangle, ouvre la bouche pour la refermer plus vite encore, coupée dans son élan. « Jane Edison ? » Lâche la voix, n’attendant assurément pas une réponse aussi simple qu’un : elle est absente. « Dans le bureau de Monsieur Marsh... » Ce sera tout merci au revoir. La blonde tourne les talons et remonte un couloir, survolant à peine du regard la petite plaque dorée où le nom de l’autre est inscrit. Sans annonce, sans frapper elle pousse le battant et jette d’emblée un sourire venimeux au duo qui aura eu la pire idée de sa vie en osant jouer le jeu en dessous de table.

« Bien le bonjour. » Lance-t-elle, tirant de sa pochette la carte laissée la veille sur le banc. « Inutile de poser la question, oui je sais frapper à une porte mais loin de moi l’envie de m’attarder dans vos... locaux plus de cinq minutes. » Grimace, vaguement dédaigneuse et avançant, Veronika claque du bout des doigts le petit rectangle de papier sur un espace libre du bureau, relevant un regard noir sur Marshall. « De vous, j’osais espérer un minimum de franchise. Vous reconvertir ne vous aura pas rendu service, Patrick. J’ai le souvenir d’un homme capable de jouer franc jeu, pas d’un vulgaire manipulateur jetant devant un possible allié un espèce de... » Elle marque une pause, toise la jeune femme une seconde. « ...Miroir aux alouettes voir un appât, guère plus. Quel détestable manque de considération, des pratiques tellement basses. » Se redressant, elle allume une cigarette, souffle sèchement la première ligne et achève, une main déjà posée sur la poignée. « Quant à vous jeune fille, avant de me parler d’image pensez donc à la votre. J’ai une sainte horreur de cette attitude, vous devriez le savoir puisque vous savez tout de moi, non ? » Porte ouverte, elle soupire non sans secouer la tête, ils l’auront cherché. « Je n’ai aucune inclinaison pour la vengeance, mais à me prendre pour une idiote de manière aussi évidente je peux vous assurer que vous ne tarderez pas à mettre la clé sous la porte. C’est dommage, Patrick. Tellement fier, vous n’êtes pas fichu de venir me trouver en personne... » Un voile amer, presque déçu. Elle avait encore un fond de respect pour l’homme dans le travail, pensait la chose réciproque. « Je n’ai jamais refusé une discussion, bien au contraire j’y suis toujours ouverte et tout les trois... nous aurions pu aller très loin. Mais compte tenu de vos agissements, j’irai donc seule et vous souhaite du courage pour les mois à venir... ils risquent d’être terriblement ennuyeux et particulièrement vides en dossiers. »

Le bois claque derrière elle et la voilà lancée en sens inverse. Pas plus de cinq minutes, elle aura tenu parole et passe à nouveau devant une secrétaire qui n’en mène pas large. Tout est dit, c’est navrant à vomir. Aucun respect, pas même d’un de ces hommes qu’elle connaît de si longue date... Quant à cette Edison, sa carrière s’annonce morte née. La juge s’en moque. On peut bien la dénigrer, la railler, l’insulter mais sûrement pas se jouer d’elle. Hors de question.  
Une fois dehors, elle s’arrête au sommet des marches et fait signe au chauffeur, qu’il attende seulement le temps qu’elle finisse sa cigarette. Madame fume partout, mais jamais en voiture. Allez savoir pourquoi... Qu’ils méditent le tout, Veronika Baker a bien d’autres noms en vue. Cette partie se jouera à sa manière, ou ne se jouera pas du tout. Elle n’attend pas d’excuses, elle n’attend rien d’eux... et d’ailleurs elle n’a jamais rien attendu.
© Jason Lecter

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MessageSujet: Re: L'Art de la guerre - Flashback L'Art de la guerre - Flashback Icon_minitime1Mar 7 Jan - 15:48

Misogynie à part, le sage avait raison:
Il y a les emmerdantes, on en trouve à foison,
En foule elles se pressent.
Il y a les emmerdeuses, un peu plus raffinées,
Et puis, très nettement au-dessus du panier,
Y'a les emmerderesses.

* Georges Brassens.



" Qu'est ce que tu lui as dit ? Elle avait l'air littéralement furieuse en revenant dans la salle. "

Minuit passé.
Jane avait presque atteint la voiture. Elle avait presque réussi à rentrer cuver son champagne sans être à nouveau interrompue par une conversation abracadabrante. Parce que, autant dire les choses, elle en avait jusque là de ces conférences. La journée avait été passionnante, la soirée somme toute originale mais elle n'en pouvait plus. Elle rêvait de son lit inconfortable et de ses draps à la propreté douteuse, d'une bonne nuit de six heures à peine par dessus ce marathon absurde.
Mais non. Pas assez rapide. Rattrapée en chemin par le funestement célèbre auteur de tout ce souk, alors que sa main se tendait déjà vers la poignée de la petite berline. Dans un soupir, elle se retourna vers Patrick Marshall, avec dans le regard une détresse que monsieur choisit d'ignorer. Ne pouvaient ils pas parler de ça demain ? Non, apparemment non. C'était très urgent. Là, sur le parking désert, à minuit passé, les colères de Veronika Baker étaient urgentes. D'une voix morne, Jane résuma le fond de son propos, à une vache près, pour ne se faire gratifier de rien sinon un rire jaune, particulièrement désagréable à l'oreille. En même temps, elle ne s'était pas vraiment attendue à recevoir des fleurs.

" Sombre idiote.
- Ce n'est que la stricte vérité. souffla t'elle pour toute réponse, d'une voix dont la fatigue commençait à se teinter d'un agacement audible. Elle en avait par dessus la tête, des grands de ce monde, et pas assez de sommeil dans les pattes pour supporter leurs caprices.
- La vérité ? Mais ma pauvre fille, qu'est ce que tu en sais, de la vérité ?
- Parce que vous n'êtes pas d'accord avec moi ?
- Là n'est pas la question ! Une gamine tout droit sortie des jupes de l'école ne dit pas ça à un juge avec une telle carrière derrière lui, a fortiori la femme la plus orgueilleuse que ce siècle ait connu, nom d'un chien.
- Qu'est ce que j'aurais pu lui dire, alors ? " Le ton montait. Jane s'énervait. Elle ne se rappelait même plus la dernière fois qu'elle avait haussé le ton, avant ce soir. " Qu'elle avait toutes les chances de gagner de cette manière, que le cabinet Marshall serait honoré de s'asseoir dans un coin de la salle et la regarder reproduire ce genre de spectacle devant une horde de journalistes et la ville entière ? Que le meilleur moyen de gagner avait toujours été d'agresser ouvertement son monde ? C'est tellement idiot, elle n'y aurait pas cru une seconde. Il n'y avait aucun moyen de l'amener à faire confiance à une gamine tout droit sortie des jupes de l'école et vous le savez !
- Si, il y en avait un. Tu es juste trop incompétente pour y parvenir. "

Eh ben voilà. On y arrivait enfin. L'humiliation en bonne et due forme, la négation de ses compétences sur fond d'irrespect quasi patriarcal. Vas-y, enfonce moi la tête dedans, je sens que ça te défoule. Pour tout dire, je me demandais quand mes petits bras de petite fille allaient me retomber dessus. J'aurais même pas parié tenir aussi longtemps avant que ça n'arrive. Dans un froncement de sourcil, Jane s'avança vers lui et souffla dans un murmure glacial, colère aussi assourdissante que tous les hurlements du monde, car il n'était pas dit que Jane Edison se mît un jour à hurler pour une chose aussi grotesque que l'orgueil des grands de ce monde. Elle en avait, elle-même, beaucoup trop pour ce faire.

" Le moyen, c'était que vous y alliez vous-même au lieu de m'envoyer au casse pipe. Et puis pourquoi vous y tenez tellement, à la fin ? Vous ne pouvez pas rester plus de deux minutes dans la même pièce que cette femme sans l'insulter, vous devriez vous réjouir qu'elle coure droit à l'échec. En quoi ça vous importe ? " Monsieur la toisa sans répondre, quelques secondes, et tourna tout bonnement les talons pour retourner à la réception, la laissant seule avec son exclamation de désarroi, les bras pendants. " Non mais me plantez pas une troisième fois, ça va bien maintenant ! "

Jane n'alla pas se coucher, finalement. Elle fonça au bar de l'hôtel et commanda un whisky. Puis deux. Puis trois. Bien sûr, ce cloaque n'avait pas de single malt, elle dut se contenter d'un bon Chivas des familles, qui avait au moins pour lui de remplir l'office exigé de tout alcool à quarante degrés consommé seul au comptoir d'un hôtel miteux à minuit passé. Dans sa robe de gala rouge et son chignon tiré à quatre épingles, Jane faisait se retourner les trois curieux encore présents, serveur compris. Elle fuma malgré les interdictions, s'excusant seulement d'un sourire poli quand on lui fit noter l'illégalité de son geste. Et comme Jane était jolie, qu'elle portait une belle robe, on lui passa sa cigarette. Un physique avantageux avait toujours été aussi utile qu'une bonne matière grise. C'était triste mais c'était ainsi. Et Jane n'eut plus qu'à s'éclipser quand il sembla croire que cette cigarette autorisée allait le conduire à d'avantage de familiarités.


10h30, Cabinet Marshall & Associés :


Patrick avait la gueule de bois. Une gueule de bois féroce, que ne passaient ni le café ni les médicaments, ni tout autre cocktail supposément miraculeux pour ce genre de problème. Mais l'avantage d'avoir couru tous les banquets et conférences de la ville ces trente dernières années, c'était l'entraînement acquis en conséquence, dans l'art de donner le change auprès de son monde même avec un pivert dans la tête et tout un groupe folklorique mexicain dans le ventre. C'était à ça également que l'on pouvait reconnaître les vétérans des novices car, à l'évidence, la petite Edison souffrait du même mal, et n'avait pas encore l'expérience pour travailler en dépit de lui. La pauvre semblait batailler dur pour parvenir à abattre un travail honnête, ce matin. Elle finirait bien par s'y faire. A la gueule de bois comme au reste.

Il avait fait la paix avec elle, ce matin, en lui apportant une tasse de café chaud, sans rien dire. Patrick Marshall n'était pas homme à se formaliser, que ce fût de de l'alcool, d'une discorde ou même d'une probable et prochaine catastrophe politique. De mémoire d'homme, il avait toujours su prendre une certaine hauteur sur les choses, les meilleures comme les pires. Cette hauteur agaçait parfois mais elle lui avait permis d'arriver là où il était, au sommet du monde, ou du moins de son propre monde. Maître Marshall était un pragmatique, un homme à rire des catastrophes, car il n'espérait plus rien de la vie que le moins mauvais possible. La seule chose qui importait pour lui était son travail et si l'on pouvait lui reprocher de lui avoir sacrifié beaucoup trop, on était bien forcé de reconnaître l'excellence qu'il y apportait. Devenir le meilleur ne s'était pas fait en un claquement de doigt. Il l'avait payé de sa vie, de son sang et de sa sueur et la seule chose qu'il n'admettrait jamais, c'était qu'on se permît de piétiner cet état de fait. Patrick Marshall n'était pas un homme bon. Ce n'était pas un homme bien. A bien des égards, il était même une pourriture de la pire espèce. Mais une pourriture avec de l'éthique, une éthique importante pour lui car, à son sens, la déontologie était encore la seule chose qui séparait l'homme de l'animal.

Claquement de porte. Une voix familière dans le couloir, réclamant audience avec sa petite employée. Levant les yeux de son dossier, il adressa un regard somme toute amusé à la susdite et attendit que la tornade déboulât dans leur office. Madame la juge fit irruption quelques secondes plus tard pour leur jeter leurs quatre vérités, en une diatribe parfaite dont seuls les juges et les avocats pouvaient se vanter d'être capables. Patrick accusa tout cela en silence et avec le sourire car, après tout, cela semblait de bonne guerre. Il ne fit qu'agrandir son sourire quand la chose se conclut par des menaces qu'il estimait totalement en l'air, laissant au moins à Veronika Baker le plaisir de croire qu'elle pouvait réellement quoique ce soit contre lui, alors qu'elle n'avait absolument aucun pouvoir ni sur sa carrière, ni sur ses clients. Aucun juge ne pouvait décemment choisir de balayer le bureau d'un avocat, seul l'Ordre du barreau en était éventuellement capable. Un maire, aussi. Mais si elle devenait maire, il serait bien trop content pour se soucier de savoir si sa carrière allait en souffrir ou non. En réalité, si elle devenait maire, il se payerait une retraite anticipée à Venise pour fêter ça.

Il ne prononça pas un mot, donc, et découragea d'un regard la petite Edison qui, elle, semblait bouillir de rage sur sa chaise. Il fallait dire que la demoiselle venait d'être sévèrement insultée. Mais il était absolument hors de question de rater cette nouvelle occasion. Alors lorsque Veronika Baker quitta son bureau de la même manière qu'elle y était entrée, toute drapée dans sa dignité, Patrick Marshall se contenta d'attraper feuille vierge et stylo égarés sur la table ovale pour sortir à sa suite, sans se fendre de la moindre explication. Arrivé sur le trottoir, il poursuivit son chemin sans ralentir et arracha seulement la cigarette à peine entamée des mains de la juge, pour la jeter au sol et souffler dans un murmure près de son visage outré.

" Si je vous dis qu'à rester plantée là, vous risquez votre vie, c'est assez franc jeu pour vous ? " Il sourit, calmement, en un tel contraste avec ses propos que, quelque part, il aurait été légitime de se demander s'il ne se moquait pas d'elle. Mais non. Patrick n'était pas encore infâme au point de rire de choses telles que les questions de vie et de mort.  " Montez dans la voiture. " ajouta t'il seulement, reprenant son sérieux, portière ouverte par ses soins.

Lorsque madame fut enfin assise, monsieur dégaina enfin feuille et stylo, s'appuyant sur le toit de la berline pour y griffonner quelques mots, son corps en barrière entre la porte et sa fermeture afin qu'elle ne fût pas tentée de la claquer comme elle l'avait fait avec toutes celles croisées jusque là. Il outrepassait les limites de la décence et de l'espace vital mais enfin, cet homme n'en était plus à quelques limites de bienséance près.

" Je vous note l'adresse d'un restaurant où je vous invite demain midi, madame le juge, ainsi nous pourrons discuter entre personnes civilisées. Car c'est ce que nous sommes, après tout. Des personnes civilisées, qui ne claquent pas les portes et accomplissent de grandes choses, avec le sourire. Vous ne voulez pas de moi mais vous accepterez bien un bon déjeuner à l'oeil. "

Baissant les yeux pour lui jeter un sourire insolent, il rangea le stylo dans la poche de sa veste et plia soigneusement la feuille en quatre pour enfin se pencher à sa hauteur et la lui tendre. Lorsqu'elle s'en saisit, il ne la lâcha pas, tout comme il ne se départit aucunement de son sourire, et ajouta dans un murmure doucereux.

" Vous vous rendez compte, n'est ce pas, que j'ai seulement envoyé une petite fille vous flatter ? Elle a eu la bêtise de ne pas le faire, elle s'en rappellera mais vous, vous pensez que c'est une manigance justifiant un esclandre public ? Et vous voulez vous engager dans une campagne électorale ? " Il se redressa enfin, main sur la portière de la voiture, qu'il se payerait le luxe de claquer lui-même. Les coqs étaient nombreux dans cette basse court là et aucun d'eux ne supportaient de se voir insultés dans leur fierté, que ce fut par quelque machination futile ou par un tel débarquement dans leurs locaux. " Alors disons, comme je ne travaille pas pour vous, que cette leçon anticipée de ce qui vous attend ces douze prochains moins était gratuite. "

Portière fermée. Patrick regagna le gigantesque immeuble au sommet duquel ses bureaux étaient implantés. En dépliant la feuille, Veronika pourrait lire non pas l'adresse d'un restaurant mais une invitation autrement plus insolite, à faire pâlir les films d'espionnage. " Revenez à minuit, sans chauffeur, en vous assurant de ne pas être suivie. C'est extrêmement important. "
En regagnant le bureau, il trouva Jane Edison debout à côté d'une fenêtre d'où elle avait certainement contemplé la scène. Elle n'avait apparemment toujours pas desserré les dents, mais se fendit d'excuses lorsqu'elle s'aperçut de sa présence. "En un sens, tu as réussi à la faire revenir. " répondit il dans un rire. " Dis à ton mari que tu ne rentres pas ce soir. " ajouta monsieur en conclusion, sans la moindre pitié ni pour sa gueule de bois ni pour son épuisement moral, comme il n'en avait eu aucune à l'égard de la fierté d'une juge, pourtant bafouée par ses bons soins.
Eh oui, de mémoire d'homme, Patrick Marshall avait toujours eu un bien trop grand recul sur les choses.

Quelque part entre onze et une heure, Cabinet Marshall & Associés :

Jane ne savait plus lire l'heure. Elle ne savait même plus comment elle s'appelait. Epuisée, vidée jusqu'à l'os, elle contemplait le vide au fond de sa cent douzième tasse de café. Assise à la même place depuis des heures entières, son cerveau éparpillé quelque part dans les dossiers de ma journée, elle se contentait d'user ses dernières forces à ne rien laisser paraître de son état. C'était tout ce qu'elle pouvait encore espérer faire, sauver sa dignité à défaut de sa santé mentale, sa carrière, son couple ou même les raisons désormais lointaines pour lesquelles elle avait voulu faire ce métier là. Elle qui avait souri en entendant cette moyenne risible de deux ans par nouveau visage débarqué dans ces bureaux, elle se demandait désormais comment les autres avaient bien pu tenir si longtemps.
Quelques heures plus tôt, elle s'était disputée avec son mari. Randall devait avoir - légitimement, somme toute - l'impression qu'elle était d'avantage mariée à son patron qu'à lui. Il l'avait accusée de tromperie, ce à quoi elle avait répondu que si c'eut été le cas, elle n'aurait pas attendu d'être rentrée au bureau pour ce faire, et se serait payé un hôtel de luxe en prime avec la partie de jambes en l'air. A partir de là, elle ne se souvenait plus de ce qui s'était dit. Des horreurs. Elle n'avait pas envie d'y penser.

Minuit passé, à nouveau. Il fallait croire que c'était un horaire maudit. On entendit frapper à la porte et Marshall se leva pour ouvrir, revenant avec une silhouette blonde, tristement familière, derrière lui. Il l'invita poliment à s'asseoir à la table, qui fort heureusement était assez grande pour les faire tenir à deux en leur accordant une certaine distance mutuelle. Jane en avait peine à croire que, vingt quatre heures plus tôt, elle n'aurait même pas osé rêver d'adresser la parole à madame. Tout ce qui s'était passé depuis rendait ses sentiments complètement obscurs. Et, elle aussi, elle était enragée. Elle avait été totalement humiliée, dans un procédé aussi abject que déloyal. Elle qui avait peut être outrepassé sa position et ses droits mais s'était assurée d'intimité pour ce faire et sans renier ni sa sincérité ni ses principes, elle s'était faite traîner dans la boue devant son patron, sur son lieu de travail. Par une femme qui disait détester la poudre aux yeux, l'hypocrisie, et préférer de loin l'honnêteté. Quelle ironie.

Du fond de son orgueil bafoué, Jane avait la sensation d'avoir appris l'inexistence du père noël. Elle n'aurait jamais cru qu'une femme aussi digne et droite que Veronika Baker fusse capable de tant de bassesse pour un simple conflit d'orgueil. Elle aurait pu l'appeler. L'engueuler directement, si elle estimait que ça valait une telle colère. Mais non, elle avait choisi de l'humilier publiquement, et ce au nom d'une offense commise par son patron et lui seul. Oh, elle devait se dire qu'elle avait été la première bafouée dans cette histoire, et l'avait d'ailleurs clairement exposé pour justifier ses agissements abjects. Mais si Jane ne niait en rien sa responsabilité vis à vis de ses propos, elle n'était pas coupable des machinations de son patron. Elle les avait même faites tomber, ses manigances. Elle avait pris le risque d'être honnête, de bafouer totalement la volonté de la personne pour qui elle travaillait, en risquant littéralement de se faire renvoyer dans la manoeuvre. Par respect. Et pour quoi ? Pour être jetée dans le même panier, humiliée de termes aussi dégradants et futiles pour elle que toute la misogynie pourtant accusée avec tellement de ferveur par Madame. Miroir aux alouettes ? Appât ? Qui est machiste, maintenant ?

Jane Edison était peut être une petite conne mais Veronika Baker, elle, n'était rien d'autre qu'une hypocrite.

" Nous attendons encore quelqu'un donc je vous suggère de prendre vos aises. Je vais faire du café. "

En levant le regard vers sa sortie, Jane aperçut le sourire qui fendait encore le visage de son patron. Au moins, il y en avait un pour s'amuser... plus elle y pensait, plus elle commençait à se demander si cet homme n'était pas un sociopathe. Ca aurait expliqué bien des choses. Se levant, elle alla entrouvrir la fenêtre et fouilla dans un tiroir de la salle de conférence pour en sortir deux cendrier en émail. Elle en posa un devant la juge et retourna s'asseoir pour allumer une cigarette elle-même, soufflant dans un murmure avec la fumée recrachée d'entre ses lèvres.

" Je n'ai jamais prétendu tout savoir sur vous. Je ne pense pas avoir dit une telle chose. J'ai seulement essayé d'être honnête. Peut être que je n'étais pas à ma place mais, en tout cas, je ne vous ai pas manqué de respect une seconde. "

Moi, faillit elle ajouter, mais elle le ravala. La chose était largement sous-entendue. Et ce n'était certainement pas le sujet de cette réunion improvisée, dont elle ne comprenait d'ailleurs ni la forme ni la teneur.
Quelques minutes plus tard, la porte s'ouvrit sur la silhouette de Patrick Marshall, une cafetière fumante en main, suivi par un homme noir d'un mètre quatre vingt dix, dont les grands yeux semblaient perpétuellement étonnés de ce qu'ils voyaient.

" Excusez-moi. M'échapper deux soirs de suite à ce genre d'horaire n'a pas été facile. Tout le monde croit que je vais aux putes, maintenant. Sans offense. " glissa l'étranger dans un sourire amical à l'adresse des deux femmes.
- Mesdames, je vous présente Arnold Eriksen. C'est un agent infiltré dans le quartier Sud. " un silence pour l'effet dramatique. Et d'ajouter, dans un sourire beaucoup trop ravi pour être complètement normal. " Des questions, avant qu'on commence ? "

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MessageSujet: Re: L'Art de la guerre - Flashback L'Art de la guerre - Flashback Icon_minitime1Mer 8 Jan - 2:53




Une leçon... gratuite ?! Il s'est moqué non ? Qu'ils cessent tous de vouloir lui faire la leçon pour commencer et le monde tournera rond. Qu’ils cessent d’être persuadés de tout savoir. Où se croyait-il cet homme à se fendre de ses sourires détestables et ses grands airs, à la prendre de haut... Veronika n'a même plus envie de lui adresser la parole et préfère encore se saisir du papier qu'il tend sans même l'avoir réellement regardé, à peine du coin de l’oeil et encore. Il l'ennuie, il la dégoûte profondément et qu'il se croit intouchable dans ses foutus locaux, une réputation se détruit diablement vite et des deux, Madame est celle qu'on est le plus à même de croire. Volontiers on la descend en flèche sur un divorce, la garde d'une fille dont elle n'a pas voulu mais c'est bien là tout ce qu'on peut trouver à lire de peu reluisant la concernant et elle ne l’a jamais nié... Que dire de l'autre ? Lui n'a pas pour réputation d'être plus blanc que neige quant à sa protégée... si on peut la nommer ainsi -parlons plutôt de pantin ça semblera plus logique- la détruire avant même qu'elle ait réellement commencé serait affaire d'un claquement de doigts.

Oh elle ira à son foutu rendez vous mais pour nulle autre raison que ce que la courtoisie exige. Madame a toujours eu pour principe d’écouter une proposition, de demeurer ouverte à la discussion et ça ne changera pas maintenant. Par ailleurs, à lire ces quelques mots la Juge sourit. Sous ses sourires et son assurance il est bien évident que ce sale prétentieux crève de peur. Sinon pourquoi tant de secrets, cet entretient à minuit alors qu'il annonçait un peu plus tôt un déjeuner en ville dans un joli restaurant ?! La voiture roule depuis un bon moment lorsque la blonde éclate de rire à relire une fois de plus cette note digne d'un mauvais polar. Veronika est sûre à quatre vingt dix neuf pour cent de lui servir une réponse négative. Mashall est un requin aux dents rayant le parquet sur des kilomètres, un homme imbuvable et il n’est pas question de frayer avec ces poissons là. Qu’il s’amuse, qu’il joue le coq si c’est là son plaisir ; ils sont bien trop différents pour s’entendre. Elle n’a jamais caressé qu’une évolution des choses, pouvoir donner à la ville une lueur d’espoir et une vie meilleure et n’a jamais été avare de sacrifices pour y parvenir. Quitter sa région natale, s’éloigner de tout, débarquer sans rien d’autre qu’un CV élogieux, des on dit pour bagages et la franchise plus brillante aux lèvres qu’un rouge de marque... Elle n’était pas grand chose sinon une réputation qui la précédait, la précède encore et mal avisé qui se persuade qu’elle a un jour menacé dans le vent. Vous avez le bras long monsieur, c’est un fait mais vous n’êtes pas le seul. Tout ça n’est qu’une pièce de théâtre et il suffit de jouer un rôle. Elle jouera le sien, authentique toujours. L’image, au fond, n’est qu’affaire de point de vue.


[...]


Ces derniers temps en ville, un homme frappe et sème la mort comme on sème le blé. Sur une scène atroce de sa fabrication on a dernièrement retrouvé une énorme horloge ronde, verre éclaté et aiguilles bloquées au point le plus haut. Et en dessous, tagué en lettres de sang se lisait « minuit, heure du crime ». Les Monstres ont toujours préféré la nuit, ces douze coups sordides résonnants à travers des centaines de villes depuis le clocher creux d’une église... Lorsqu’elle descend de voiture, seule comme on lui a demandé la blonde n’est pas sans tendre l’oreille pour trouver cette triste sonate de douze notes dissipées au vent nocturne. Et un sourire lui tire les lèvres songeant qu’ailleurs, des gens meurent sans doute au son d’un rire interminable qui leur aura tout fait oublier de cette heure fatidique. Beaucoup le disent au fond, qu’il vaut mieux rire de tout que pleurer. Cette histoire ne l’intéresse déjà plus vraiment...

Elle frappe à la porte, suit le maître de cérémonie comme on suivrait un serveur en direction d’une table réservée et s’y pose sans un regard franchement attentif. L’autre semble s’amuser dans ce rôle, paon bien fier de sa mise en scène qui ne la touche en rien, cependant. Il suggère de prendre ses aises, annonce s’en aller faire du café ce à quoi la juge ne répond que d’un sourire de façade, une main levée comme un « mais je vous en prie faites donc. » La présence de Jane Edison ne lui arrache aucune émotion pas même lorsque la jeune femme pose devant elle un cendrier. Veronika a déjà embrasé une cigarette et n’attendait pas de permission, encore moins d’invitation.

Et bien sûr mademoiselle n’est pas fichue de se taire. A touché le fond mais creuse encore diraient certains. Sous entendus et quoi ? Explications à moins qu’il ne s’agisse d’excuser son attitude stupide ? La Juge laisse filer un rire sec, souffle une bouffée blanchâtre sur le côté presque navrée de constater qu’elle a espéré, ne fut-ce qu’une seule seconde lorsqu’elle lui adressait pour la première fois la parole que cette fille puisse être quelqu’un sur qui elle poserait à l’avenir un regard protecteur. Les chiens ne feront jamais des chats et Marshall ne s’est jamais entouré que de gens avec au moins une chose les rapprochant de lui. Qu’elle reste donc dans cette eau poisseuse et trouble si c’est là son bon plaisir et sa bonne idée ; Veronika préfère largement l’eau de roche, claire et où on ne se cache derrière rien. Lui manquer de respect, elle n’a fait que ça et n’a même pas assez de cervelle pour le concevoir. Autant dire qu’elle ne vaut même pas la peine qu’on lui réponde.

Revoilà Marshall en compagnie d’un autre que Veronika salut d’un léger signe de tête lorsqu’il lui adresse un sourire. Deuxième cigarette allumée alors que tombe une présentation orchestrée dans une idée dramatique qui en devient lassante car devenue récurrente et même le sourire de Marshall n’a plus rien de significatif aux yeux de la blonde. Des questions... il se fout royalement de sa gueule encore. « Le FBI... »  Lâche-t-elle, le ton semblant pensif. « On se croirait dans un mauvais film, Patrick... » Soupir blasé, elle pose un coude sur l’accoudoir et appuie la joue contre le dos de ses doigts. « Je vous conseillerai de profiter de votre couverture pour le temps qu’elle dure, agent Eriksen... d’ici peu toutes les forces de polices auront déserté le Sud et on ne leur en tiendra pas rigueur. Personne n’a envie de finir pendu avec ses propres tripes après tout... » Le quartier s’est enflammé peu à peu et menace de devenir le pire coupe gorge que ce siècle ait connu, rongé d’un fléau au parfum d’anarchie. Bref, cet homme là ne sera plus à son poste Sudiste pour longtemps. Faisant tomber la cendre au dessus du récipient prévu à cet effet, la Juge poursuit. « J’ai accepté vos conditions de rendez vous, je vous serai grès d’aller droit au but désormais et de m’épargner vos effets de scène. Gardez les pour vos clients ou le tribunal, personnellement je n’en ai pas besoin. Exposez donc... histoire que vous ne soyez plus seul à vous amuser sur votre... plateau de jeu de rôles. »

Pour un peu, elle lui souhaiterait bien qu’à l’avenir on lui grave à la face ce rictus méprisant et méprisable qu’il balance à outrance. Ils ont désormais son attention puisqu’il est question d’être ENFIN franc. Reste à savoir maintenant ce qu’il ressortira de cette entrevue et quelles conclusions elle pourra en tirer. D’ici là elle ne sera que spectatrice d’un discours... impassible et de marbre comme à la cour. Après vous, messieurs...      
© Jason Lecter


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