Une petite guerre nordique par-ci, une grognasse et un boulet par-là

Calypso ∞ Jayden

Va-t’en… Cette petite phrase résonne dans ma tête sans trouver encore aujourd’hui de réel sens. Ces mots datent de la veille, une discussion les a noyés et pourtant ce sont ceux qui ont été en réalité les plus marquants. A présent que je suis ici, je n’ai plus nulle part où aller. On ne me laisse plus aller ailleurs que dans cette enceinte de toute manière. Où puis-je partir, d’un côté des murs me retiennent, de l’autre ce sont des êtres humains. Et au milieu de tout ceci, une seule souhaite ne plus me voir alors qu’elle est l’unique personne dont je recherche la présence. Le long de ces couloirs, je déambule au milieu d’une foule d’élèves, ne sachant pas vraiment où me diriger mais ne cherchant pas non plus à me repérer. J’ai pourtant mon emploi du temps en ma possession mais je ne daigne pas y jeter un œil pour l’instant. Cinq ans auparavant, l’université me tendait les bras. Aujourd’hui cette académie m’enserre pour me retenir entre ses griffes. J’ai conscience que je dois faire des efforts pour tenter de m’intégrer, ou du moins faire accepter l’idée de ma présence même si elle déplait. Alors, je finis par jeter un œil à la feuille que je tiens entre les mains. Un cours, un numéro de salle et une constatation, celle que dans mon manque d’enthousiasme pour me ranger dans le droit chemin des élèves disciplinés, je ne me retrouve pas si loin que cela de la salle concernée. Alors de moi-même, je me mets dans la file et je suis un groupe d’élèves qui entrent dans la pièce. Mon premier cours à Weins, mon premier moment de rêve pour m’échapper et être partout sauf ici. Car si mon corps n’a nulle part où aller, ce n’est pas le cas de mon âme qui reste libre envers et contre tout.

La matinée s’écoule, les cours s’enchainent et les moments d’abandon se font déjà de plus en plus rares. Il faut suivre, prendre des notes, s’intéresser un minimum. A la fin de la première heure, je me rends compte d’une chose. Tout est fait pour nous faire crouler sous le poids des devoirs et je me demande si ceci a pour but de nous empêcher de prendre du recul, de réfléchir sur des choses auxquelles on ne doit pas. Tant que l’esprit demeure occuper, en l’occurrence là à travers des exercices et d’autre divers devoirs, il ne pense à rien d’autre, n’exprime aucune opinion car il ne trouve guère le temps de s’en faire une. Le souci de la performance et du résultat, c’est glorieux comme inquiétude à condition de savoir ce que l’on souhaite. Sauf que moi, en dehors de mon idée de faire sortir ma sœur d’ici et celle de mener à bien une mission parallèle, je n’ai pas d’autres projets. Pas même celui d’un métier à atteindre, me faisant rêver autrefois et pour lequel j’ai toujours pensé « un jour je serai… ». Il n’y a rien dans ma tête sur le sujet et rien dans mon ventre non plus quand un gargouillis retentit, ramenant mon attention sur celui-ci. Quand je sors du cours de mes pensées, j’ai l’impression que dix minutes seulement se sont écoulées et pourtant il est déjà l’heure du déjeuner. J’ai faim mais je n’ai guère d’appétit. Rien à voir avec la nourriture que l’on me sert, elle semble excellente et à la première bouchée elle l’est. C’est juste que je suis incapable de me réjouir de cette offrande si généreuse que l’on me tend en guise de repas. Alors, je prends mon temps pour manger, picorant presque, observant autour de moi le comportement des élèves, mais surtout La cherchant. Et je ne la trouve pas malgré mes efforts, malgré mon attention pour distinguer sa silhouette parmi toutes celles présentes dans cette cafétéria. Je fais chou blanc. Alors au bout d’un moment, je me fais une raison. J’abandonne mon repas, renonçant à un dessert pour quitter ce lieu, destination ailleurs.

La déambulation dans les couloirs, voilà une activité intéressante. Elle cumule le repérage des lieux et l’occasion de chercher même si le résultat n’est pas concluant. Le temps s’écoule beaucoup plus rapidement que durant la matinée, et que je finis par m’arrêter pour regarder ce qui se passe autour de moi, il n’y a que peu d’élèves dans le couloir. Je suis peut être en retard pour mon cours de l’après-midi. Si je ne veux pas me faire remarquer dès le premier jour, je dois me hâter. Mais quel chemin emprunter pour me mener vers ma prochaine évasion intellectuelle ? Ma tête se tourne dans une direction puis dans une autre. Et brusquement je rentre la tête entre mes épaules, m’abaissant légèrement. Quelque chose vient de me percuter violemment. Déjà un platine qui me tombe dessus ? Peut-être que c’est elle qui l’envoie pour me donner une leçon et me dissuader de vouloir continuer à l’approcher. Mais quand ma tête se tourne et que je reconnais la silhouette qui arrive vers moi telle une furie, je retiens sans le remarquer ma respiration et là je me dis que je suis dans une merde pas possible. C’est pire que des élèves envoyés pour s’occuper de mon cas, car cette femme, elle n’a pas besoin d’un sous fifre pour faire de ma vie un enfer. Il suffit qu’elle le veuille, elle a tous les droits d’agir de la sorte car elle est la reine du quartier nord et moi seulement un de ses sujets.

Je n’oppose aucune résistance quand elle me traîne à sa suite, n’ayant de toute façon aucune volonté d’user de la force pour lui échapper. Si cette idée saugrenue effleure tout de même mon esprit, elle ne reste qu’une fraction de secondes avant que je ne la chasse. Reculer c’est pour mieux sauter et se crasher encore plus durement. Je ne souhaite pas me transformer en carpette face à Calypso Storm, elle donne déjà suffisamment parfois l’impression que l’on en est une. Quand elle se décide à me lâcher après m’avoir traîné dans les toilettes, je me tourne vers elle, n’esquissant aucun geste, pas même celui de remettre en place le col de ma veste. Ma tête se penche tout de même très légèrement sur le côté quand je constate qu’elle a bloqué la porte et que je me retrouve ainsi enfermé avec elle. Si durant la matinée, j’ai pu m’évader spirituellement durant les cours, à cet instant ce n’est pas seulement mon enveloppe qui est bloqué, mon esprit l’est également et il ne sait pas pour le moment sur quel pied danser en attendant le début des hostilités.

En réalité, en guise d’hostilités, c’est un regard empli de colère et des paroles qui expriment la même émotion. J’ai un froncement de sourcils à peine perceptible. Une interdiction de venir à Weins ? Mon interprétation de notre dernière discussion est légèrement différente. Je n’ai pas perçu d’interdiction, seulement une condamnation envers ma sœur. Trop tard pour la sauver, tel furent ces mots à peu de choses près. Autant renoncer sauf que moi, je suis incapable de renoncer, je l’ai fait trop souvent ces dernières années et j’ai une erreur à réparer. Alors je fais la seule chose qu’il me reste à faire, laisser l’orage de colère se déverser sur moi. Crétin. Con. Misérable crétin. Sans cervelle. Plomb est peut-être une insulte pour elle, pour en avoir la certitude, je dois poser la question, je fais le choix de m’abstenir.  Quel comportement adopter envers ma reine ? C’est bien la première fois qu’elle est furieuse après moi. Je suis courageux mais non téméraire alors j’évite la provocation. « Je suis désolé de ne pas t’avoir écoutée. » Mes prunelles ne se détournent pas alors que je prononce cette phrase. Pourtant, je finis par baisser le regard quelques secondes. Un signe de soumission ? Plutôt celui de respect mêlé à de l’honnêteté car je suis réellement désolé même si c’est à présent trop tard pour revenir en arrière. Cela ne dure pas et mes prunelles finissent par se redresser. « Si c’est ce qui est le mieux pour le quartier et si tu le souhaites, fais-le Calypso. Bannis-moi, j’accepterai ta décision et n’irai pas à son encontre. Ça sera ma punition, celle de m’éloigner de ce quartier qui est ma famille alors que je cherche à me rapprocher d’une personne qui fait tout autant partie de moi. Que le Seigneur me pardonne car je refuse de faire un choix entre mes deux familles. » A cet instant, il accorde apparemment l’honneur à la jeune femme de le faire pour moi. Choisir de me bannir ou ne pas le faire. Me condamner ou me laisser une chance. J’ai conscience que mon destin au sein du Nord est entre ses mains mais ce n’est pas ma volonté de me mettre à genoux pour la supplier de passer l’éponge. Si je regrette de l’avoir mise en colère, je me réfute à adopter un comportement faux à son encontre, qui ne soit pas en accord avec ce que je suis réellement et le Jayden que le Nord connait depuis environ quatre ans.  
   

Une petite guerre nordique par-ci, une grognasse et un boulet par-là

Calypso ∞ Jayden

L’honnêteté peut-elle être le remède à tous les maux ? J’aime à le croire même si ce n’est sans nul doute qu’une utopie qui s’évapore au moindre coup de vent. La seule certitude qui m’ait été donnée de constater jusque présent, c’est que l’honnêteté déstabilise. On ne s’attend pas à celle-ci, on se prépare à affronter des mensonges, des excuses bidons, au pire qui puisse se produire, mais jamais à la vérité. Alors quand on s’y trouve confronter, on ne sait plus quoi faire dans un premier temps. J’ai le parfait exemple devant moi, celui de ma reine, clouée au sol avant qu’elle ne puisse prendre son envol et plonger pour attaquer. La pauvre proie que je suis ne cherche pourtant pas à se cacher, tel un ver de terre se tortillant avant de se faire attraper par le bec du rapace pour lui servir d’en-cas, et dans l’attente de trouver meilleur festin à se mettre au fond du gosier.

Je suis un ver de terre croyant, un parmi tant d’autres, et comme beaucoup, cela dérange les grands de cette ville. La raison est simple, ils songent que nous nous détournons d’eux pour un être abstrait, mais ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que notre croyance et notre amour sont assez grands pour atteindre différents êtres, quel que soient leur forme. Je me préoccupe du Seigneur mais également de Calypso. De ceci, j’en ai la certitude même si elle ne semble pas en avoir la conviction et qu’elle me rappelle à l’ordre, tentant de me remettre dans le droit chemin qui en fait n’est que celui de sa propre voie. Elle ne souhaite pas être confrontée à Dieu, alors soit, laissons le de côté. Je peux comprendre son énervement, à moins que ce ne soit en fait la crainte de perdre une bataille face à lui. Je hoche légèrement la tête en guise d’acceptation, me rangeant à sa volonté. On peut interpréter ceci comme de la soumission, ce n’est que de l’approbation. Ne pas confondre les deux afin de ne pas emprunter une mauvaise direction.

Mon corps se détend quelque peu à l’écoute de ses propos suivants. Calypso pose une question mais y apporte également une réponse. Non complète mais expliquant en partie les raisons de ma non compréhension face à son interdiction. « Jade est récupérable. Si tu n’y crois pas, moi j’en ai la conviction et je l’aurai jusqu’au bout même si je suis le seul à y croire. » Voilà pourquoi j’ai débarqué à Weins avec un plan sommaire pour y entrer mais sans suite à respecter. A quoi bon de toute manière établir un plan de A à Z sans avoir connaissance de tous les facteurs. L’adaptation doit se faire en cours de route, en fonction de ce qui se passera. C’est y aller à l’aveugle mais je ne connais pas d’autre choix. C’est un peu comme la croyance en Dieu. Nous sommes persuadés qu’un jour il fera quelque chose pour nous, mais on ne sait pas quand, alors on continue à agir de telle sorte pour y arriver et le mériter. Et même si au final, il ne nous offre rien, il n’y aura aucun regret. Alors non, je ne sais pas ce que je vais faire à présent. Harceler ma petite sœur est une option envisageable mais n’entrant pas dans ma ligne de conduite. C’est bien mal me connaître sur ce point. « Tu n’auras pas à m’épingler pour harcèlement.. » lâche-je dans un léger soupir. Si cela peut la rassurer car elle semble s’en inquiéter.

Je comprends sa position, son inquiétude pour sa personne. Elle souhaite couvrir ses arrières alors que moi je les découvre avec ma présence à Weins. La solution la plus sage pour elle, c’est de me bannir même si ça va un peu à l’encontre de l’esprit du quartier nord d’abandonner les siens. Ce n’est pas moi qui la blâmerais si elle le fait. Mais, si je déstabilise avec mon honnêteté, Calypso ne demeure pas en reste et peut faire preuve de bonnes surprises. Si son choix de ne pas me bannir ne réjouit intérieurement, le fait qu’elle avoue m’apprécier est plus étonnant, et donc déstabilisant. Est-ce conscient de sa part de me sortir une telle chose pour me faire culpabiliser ou a-t-elle lâché ces mots sans même s’en rendre compte vu qu’elle ré-attaque déjà aussitôt derrière ? Suis-je téméraire au point de lui demander de confirmer qu’elle m’aime bien ? Cela me titille, me démange fortement même. Mais ça ne serait que pour ma satisfaction personnelle, et la vanité n’a jamais été mon trait de caractère le plus marquant. Alors je m’efface, laissant de côté ce qui me concerne personnellement pour revenir à Jade et à Calypso.  « Je n’ai aucune idée de ce que je vais faire à présent mais je ne repartirai pas sans Jade, ça c’est sûr. » Et si ça doit me prendre cinq ans, tant pis. « C’est la première chose que j’ai dit, que je viens du quartier Nord et que j’appartiens aux résistants, bien évidemment. » Elle n’a aucune confiance en moi pour avoir cette crainte, ou alors elle croit réellement que je suis plus bête qu’elle ne le pense. « Je suis stupide mais pas con. On m’a pris dans le quartier Ouest et personne ne sait que je viens du Nord. Ne t’inquiète pas… Ou alors, fais comme si tu ne me connais pas, on ne fera pas le lien entre nous et tu n’auras pas d’ennui à cause de moi. » C’est ce qu’elle souhaite après tout et qu’elle me clame, non ? Que mes actions ne retombent pas sur elle, qu’elle ne doive pas faire la police entre Jade et moi, qu’elle a d’autres chats à fouetter que de s’emmerder avec un membre du quartier Nord qu’elle a accepté par pitié mais qui n’avait rien à offrir à sa communauté. Bien sûr que non, elle ne va pas me bannir car elle m’aime bien, alors je lui offre de moi-même l’opportunité de me tourner le dos, le tout servi sur un plateau, et avec en bonus l’option sans culpabilité, ni remords, si jamais elle doit avoir à l’annoncer elle-même à mon protecteur.