- Oh merci, les gens n'ont aucune politesse ces temps-ci...

- Oui les bonnes manières se perdent.

- Ce mec n’a vraiment pas été délicat, il aurait pu s’excuser au moins. Tu n’as rien de cassé ? Tu devrais peut-être aller t’asseoir à la cafétéria.

La jeune fille était tout sourire lorsqu’elle accepta de prendre la main de Tristan pour se relever. Comme quoi, quelques mots gentils et attentionnés suffisaient à faire chavirer le cœur d’une jeune demoiselle. Quelle naïveté. On se « connait » depuis quelques secondes et elle me prends déjà pour un gentil. Elle ne sait pas qu’un peu de méfiance ne fait de mal à personne ? Dans le cas présent elle ne sait même pas qu’elle s’adresse à un plomb, alors bon. Elle était même curieuse au point de vouloir connaître son prénom, de mieux en mieux. Un sourire et une demande de papier d’identité. C’était tellement drôle de se jouer de cette Platine. Qui savait jusqu’où ça pourrait aller ? Peut-être qu’il finirait par se faire passer pour son ami jusqu’au jour où elle découvrirait la vérité et qu’elle lui mettrait une gigantesque claque dans la figure. Avec le peu de forces dont elle disposait, l risquait de se retrouver avec une petite rougeur sur la joue, il ne prenait pas de gros risques et c’était amusant. Autant continuer.

- Je m’appelle Tristan. Et toi ? On s’est déjà croisés non ?

Le coup du « on s’est déjà croisés non ? » ça marche à chaque fois. La fille se croit spéciale, elle se dit qu’elle avait déjà été remarquée, et soudent elle se croit importante aux yeux de l’autre personne et quand elle racontera cette rencontre à l’une de ses amies, elle dira « je suis sûre qu’il m’avait déjà repéré et qu’il attendait un prétexte pour venir me parler ». Toutes tellement prévisibles.

- Quelqu’un s’amuse à décoller tes affiches ? J’avais remarqué qu’elles étaient régulièrement changé mais je pensais que c’était parce que les différents slogans étaient améliorés, pas parce qu’un sombre idiot s’amusait à les enlever. Je ne sais franchement pas qui a pu faire ça, désolé.

C’est qu’en plus il mentait à la perfection. Rien dans sa voix ne le trahissait. Le ton était juste et sincèrement désolé, elle ne percevrait pas toute l'ironie dans ses paroles. Si seulement elle savait. Il allait la mettre sur une fausse piste, elle n’en serait que plus contente.

- Peut-être que c’est le gros loubard qui t’as bousculé ? Il semblait avoir une dent contre toi, ça ne m’étonnerais presque pas...

Surement qu’en bourrant sa tête d’idées à propos de ce mec là, elle arrêterais de chercher qui arrache ses affiches. Ça serait dommage qu’elle découvre fortuitement qu’il est un Plomb. Ça ruinerait le plan d’approche de Tristan. On est jamais mieux servi que par soi même disait un très vieux proverbe. Là il allait avoir un accès direct aux pensées d’une Platine. Quoi de mieux pour apprivoiser encore un peu plus la mentalité du gouvernement ?

- Je sais où on s’est déjà croisé en fait. Tu es cheerleader non ?

Simple coup de poker, si elle acquiesçait, il avait tout gagné, il lui montrait d’une façon détournée encore une fois qu’il l’avait déjà remarquée, qu’elle se distinguait des autres. Quoi de mieux pour charmer une demoiselle ? S’il se trompait... Tant pis. Il se rattraperait. Son sourire et son charme rattraperait ses paroles maladroites, comme à chaque fois.

- Je fais du tir à l’arc, du coup je vous vois régulièrement vous entraîner en extérieur pendant les jours ensoleillés...

Spoiler:

'Cause a girl like me
Is just a little different from all the rest
And a girl like me
Never gonna settle for second best.

« Laisse-moi t'expliquer
- Fermes-la, Keith! Tu n'as pas le droit de prendre ce genre de décisions sans me concerter! Après tout ce que j'ai fait pour nous... Tu ne mérites pas mes efforts. Tu sais quoi? Je vais dire à Fiona Appleton de revendre les parts d'Appleton Corporation. Ça te fera les pieds de vendre mes actions à ma place. Tu ne peux pas sacrifier mes placements pour ta carrière politique!
- Les élections sont dans quelques mois, arrête de faire ta crise, Hypathie!
- Je m'en fous, tu vas me le payer. À bientôt, papa. »

Elle raccroche, tend son téléphone à son garde du corps. « Rentrez. » L'homme en noir hausse un sourcil. Normalement, il est censé assuré sa protection... D'ailleurs, il est dans l'établissement toute la journée. « Dégagez, okay?! J'ai fini les cours, je me débrouille pour rentrer, mais laissez-moi. Il faut que je sois seule. Et si vous ne vous exécutez pas, je vous fait virer. Je suis assez claire? » Il murmure un discret "oui miss Lockhart" et s'éclipse. C'est elle sa patronne, c'est elle qui donne les ordres.

Allegra soupire, se dirige vers les toilettes d'un pas rapide. Visiblement, elle est d'une humeur exécrable et personne ne va s'amuser à énerver Allegra Lockhart. Le regard inexpressif, elle entre en coup de vent dans le local - toutes les autres petites pétasses occupées à se remaquiller remballent tout et partent la tête basse.
Non, décidément, personne n'a envie de s'attirer les foudres de la fille Lockhart. Comment son père a-t-il pu lui faire une chose pareille? Vendre ses actions pour dix mille dollars seulement? À cause d'un jeu politique? Après tous les sacrifices qu'elle a fait pour obtenir ces parts d'entreprise - en l'occurrence coucher avec le P-DG, un homme de cinquante ans - c'est vraiment se foutre d'elle. Et elle ne supporte pas qu'on se moque d'elle comme ça. De toute façon elle trouvera une manière de se venger, comme détruire quelques soutiens politiques ou traumatiser sa belle-mère.

Respiration profonde. Elle lève les yeux; croise son reflet dans la vitre. Entreprend de se calmer, de faire taire l'exaspération qu'elle ressent. Oui, décidément, c'est vraiment ce qu'elle ressent le plus souvent, l'exaspération. Un sourire narquois se peint sur ses lèvres et elle décide de se remaquiller légèrement. Pour une sociopathe, c'est le comble, de se sentir exaspérée. Elle devrait s'en foutre. Elle va s'en foutre. Elle va se venger, puis elle va s'en foutre.
Bon programme, la voilà calmée.

Quelques mèches blondes sont remises en place - décidément, elle est canon en plus, aujourd'hui. Elle a bien fait de mettre une petite robe noire, ça lui va parfaitement. Mieux qu'à Amber. Son boudin de pseudo belle-mère pense encore pouvoir lui faire de la concurrence au niveau des fringues... Comme si c'était possible.

Lorsqu'elle sort, un air conquérant sur le visage, elle est bien déterminée à rentrer chez elle directement, et à appeler Harold Martin, le nouveau directeur artistique d'Eli Saab, pour être l'égérie du prochain défilé.
Rien de tel pour être de bonne humeur, à nouveau.
Le couloir est à moitié désert, et les gens s'écartent sur son passage. Elle sourit, consciente de son emprise sur cette Académie. Certes, elle n'est pas Calypso, mais ce n'est pas parce-qu'elle n'a pas de couronne qu'elle n'est pas une Reine non plus... Elle joue avec l'Ombre, ne se dévoile que peu, ne brille que lorsque ça l'arrange.

Elle rejoint le hall principal, et tourne à gauche afin d'éviter la foule à l'entrée. Et c'est là qu'elle le voit. Surprise, elle s'arrête, plisse les yeux. Elle ne le voit que de dos, mais elle est sûre que c'est lui. Tristan William Gallagher. Le mystérieux Plomb. Allegra fait la moue, ricane toute seule. Ainsi le revoilà - ça faisait un bout de temps qu'ils ne s'étaient pas parlés. L'occasion est trop belle pour la louper - elle peut bien aller l'embêter un peu. Juste quelques minutes. Histoire de lui rappeller qu'on ne disparaît pas comme ça, impunément.

Au fur à mesure qu'elle se rapproche, elle distingue un autre visage, de face, cette fois ci Rebecca "Platine parfaite petit caniche de Gordon" Dawson. Qu'est-ce qu'elle fout là? Et pourquoi elle lui parle? Elle sait que c'est un Plomb au moins? Allegra pince les lèvres, arque un sourcil. Genre, elle le drague?

Ses talons claquent sur le sol, elle marche droit vers eux et s'arrête juste à leur hauteur, sans prévenir. Oh oui, elle va bien leur pourrir leur coup. Ça va la soulager. Peut-être même qu'elle n'aura pas besoin de passer ses nerfs sur son père.

« Je n'aurais plus à faire cette noble tâche bien qu'un peu ingrate... Ça te dirait qu'on se rencontre une autre fois ? »

Allegra regarde Rebecca, faussement réjouie. Derrière son sourire, une hypocrisie réelle et derrière son regard apparemment sympathique, un air machiavélique. « Salut... Rebecca. » Elle tourne la tête vers Tristan, le dévisage. Il a l'air surpris de la voir. Tant mieux. Là, elle va bien pouvoir passer ses nerfs. « Et n'est-ce pas notre cher Tristan? Pardon je ne veux pas vous déranger, vous avez l'air si... intimes. Ce serait vraiment impoli et malvenu de ma part. Même si je ne suis pas la plus dérangeante - dis donc, Rebecca, tu as de drôles de fréquentations. » Sourire sadique. Visiblement, vu les joues rosées de miss-parfaite, elle n'a aucune idée du statut de Tristan. Elle sent son regard sur elle, tourne encore une fois la tête. Non mon cher, désolé, tu n'as plus la main sur la situation. « Je ne pensais pas que vous puissiez vous entendre, non, sincèrement, je suis surprise. Mais qui sait, les amitiés les plus fortes sont les plus incongrues, n'est-ce pas? » Les deux autres se regardent, légèrement interloqués. Elle-même ne comprend pas vraiment sa réaction, mais elle ne cherche pas à comprendre. Elle veut juste leur cracher son poison à sa figure, évacuer sa colère, et ensuite, tout ira mieux.

Ou pas. Pourquoi est-ce qu'il parle à une fille comme Rebecca? Une espèce de robot. Lobotomisée. Sans intérêt. Juste bonne en cheerleading.
Non, elle n'est pas jalouse, voyons. Pas pour lui. Juste... juste, merde, elle a besoin d'un défouloir.

« Bon, sur ce, je vous laisse. Amusez-vous bien, mais si j'étais vous je serais plus prudent que ça. On ne sait jamais ce que les mauvaises langues peuvent raconter... »

Un dernier sourire, une menace déguisée dans la voix.
Si Rebecca ne le lâche pas, elle lui pourrit la vie aux entraînements.
S'il ne la lâche pas, elle... elle... ne l'appellera plus.

Tourne les talons, fait valser ses longs cheveux blonds et jette un ultime regard à Tristan, seul. Il aurait dû venir la voir elle, pas l'autre. Depuis quand prend il le temps de parler aux gourdasses Platines?

Allegra part sans se retourner, se demande vaguement si Rebecca ou Tristan vont l'interpeller.
Mais elle s'en fout.
Ou du moins essaie de s'en convaincre.

Elle a un directeur de mode à appeler.

RP TERMINÉ —