Énervé. Frederic Host était énervé. Ça se voit dans ses yeux, dans sa façon de faire. Sa façon de fixer la personne qui l'a mis dans cet état. Autrement dit moi. J'avais attisé la colère du drogué. Le voilà qui porte l'endroit de son bras où il s'est piqué à ses lèvres, où il a léché le sang qui coulait. Comme un vampire. Toujours en me fixant du regard, et maintenant en souriant. Presque digne d'un film d'horreur. Le petit Fred, le petit toxico bourré de tunes, qui cherche à m'impressionner. C'est drôle à voir. Un peu flippant, je l'avoue, mais drôle quand même.

"Tu crois que je vais te répondre ? Franchement, Naoki, tu t'es vu ? Tu crois que ça se fait de poser des questions comme ça à un mec dans un état comme le mien ? Retourne en cours petit élève bien sage que tu es. Ca vaudrait mieux."

Ouh... J'en tremble de peur. Le toxico de service qui me menace. Car on peut appeler ça une menace, n'est-ce pas? Mais bon, s'il veut vraiment faire peur, faudrait qu'il ait quelqu'un avec lui, parce que là, vu son état, j'ai l'impression que je pourrai le faire tomber d'un seul doigt. Petit élève bien sage que je suis... Si seulement il savait. Petit? Non, taille moyenne, même grand pour un Asiatique. Élève? Pas vraiment, c'est surtout pour passer inaperçu, faire profil bas. Mais surtout... Sage? J'ai une tête de sage moi? Impossible de retenir ce rire. Impossible. C'est pour ça qu'il est sorti tout seul, d'un coup. Ça lui fait rien du tout, il continue de tirer sur sa clope.

"Petit élève bien sage que je suis... Mais que sais-tu de moi toi, le toxico camé jusqu'à la moelle? Je suis quasiement sûr qu'avec une seule main, je te mets sur le carreau. Mais bon, pourquoi je le ferai? Après tout, tu me rapportes de l'argent..."

Oui, pourquoi lui faire mal? C'est un bon client, qui a toujours du fric... Ne pas se le mettre à dos. Jouer un peu, mais pas plus...

"Pour seule information, ça fait trois ans. T'es bon en maths ?"

Un sourire. Sa dernière phrase m'arrache un sourire. Sans arrière-pensée ni rien. Un simple sourire, car malgré l'humeur massacrante de Fred, il arrive à sortir des phrases drôles. Il aurait du faire comique tiens... Bon en maths, moi? HA HA HA! Juste assez pour pouvoir vérifier que le tox' en face de moi me tend assez de billets verts... Donc, toujours en souriant, on lui répond, sur un air de rigolade...

"Trois ans? Hum... Ça fait 365 jours multiplié par trois, sans oublié les années bissextiles... Dis, est-ce qu'on a eu une année bissextile ces trois dernières années?

Oui, j'aime emmerder le monde. Surtout Fred. Enfin, pour aujourd'hui... C'est drôle comme un seule phrase peut changer d'atmosphère... En tout cas, de mon côté. C'est peut-être pas son avis... Trois ans hein. Donc il a commencé à se piquer à 14 ans. Ça devait pas être du joli joli... Qu'est-ce qui peut pousser un gamin de quatorze ans plein aux as à se droguer? Bah, après tout, c'est pas mon problème...

Enervé. C'est le mot que j'aurai utilisé à ce moment précis pour décrire Fred. Même très énervé. Heureusement qu'il avait déjà pris sa dose... Sinon, il aurait été pire. Bien pire. Et je me serais pas frotté à lui... Car malgré tout, je tiens à ma vie. Enfin, à ma nouvelle vie... Car l'autre, l'ancienne, je la donne à qui la veut... Et pour recommencer à zéro, rien de mieux que les États-Unis. Mes petites blagues ont pas du lui faire plaisir... Ah la la, la jeunesse, de nos jours! Incapable de rigoler. Incapable. Mais bon, faut dire que j'aime le faire chier, le Fred. Donc, il doit en avoir un peu marre...

"Avec une seule main ? Chiche. Frappe moi. Maintenant. Ou alors tu me violes. Et à ce moment là je commencerai peut être à penser que tu pourrai ... Comment t'as dit ? Me mettre sur le carreau ?"

Vraiment énervé. C'est le moins que l'on puisse dire. Voila qu'il me demande de le frapper. Il doit avoir un problème dans sa tête. Un SÉRIEUX problème. Ou alors, la drogue lui fait dire n'importe quoi... Oui, voilà, ça doit être ça.

"Vraiment, tu veux que je te frappe... On parie que si je le fais, tu vas avoir mal? Ou alors le regretter? Par contre, ne compte pas sur moi pour te violer. Tu ne m'attires absolument pas, tout simplement parce que t'es un mec."

Et en plus, pas attirant, avec une tâche de sang sur son pull et les yeux perdus dans l'illusion d'un monde meilleur que procure la drogue. L'illusion d'un monde meilleur... Peut-être une illusion de force aussi? Il doit se croire plus fort que moi... Mais lui, avec son fric en veux-tu en voilà, a-t-il connu la vie dans la rue? A-t-il du se battre pour avoir un coin tranquille où dormir la nuit, dans la rue? Sûrement pas. Moi oui. Donc je suis plus fort, physiquement. Mais aussi mentalement, vu que son esprit est embué de drogue, et que ses neurones à dopamine se libèrent pour envahir son cerveau. Ou, je connais les effets de la drogue. Oui, ça peut paraître étonnant, mais je me suis renseigné avant de me lancer dans le deal. Pour savoir les risques, et éviter de tomber dedans. Je préfère voir le monde gris et terne comme il est en ayant le contrôle de mon cerveau et en profitant de l'absence de contrôle de ceux qui se droguent, plutôt que de vivre dans une bulle imaginaire. Un soudain retour à la réalité serait trop brutal.

C'est pour ça que j'avais commencé à me détourner du toxico qu'est Frederic Host. Parce qu'il est dans sa bulle, et qu'il ne voit rien tel qu'il est réellement. Je venais d'ouvrir la porte des toilettes, quand soudain, j'ai eu envie qu'il revienne à la réalité. Qu'il voit que je peux ne pas plaisanter. Et que c'est n'est pas un drogué jusqu'à la moelle qui me tiendra tête, et me fera avoir honte de mon comportement. Car fuir, comme j'avais été sur le point de le faire, lui serait apparu comme un signe de lâcheté. Et je ne suis pas lâche. Ou en tout cas, je suis loin de l'être sur ce point. J'ai donc doucement refermé la porte, avant de me retourner, de me précipiter sur Fred et de le plaquer contre le mur, mon bras gauche en travers de son torse.

"Je ne te frapperai pas, parce qu'un jour ou l'autre, ça me retombera sur la gueule, et j'ai pas du tout envie que ça arrive. Mais sâche, espèce de toxico de mes deux, que si on en vient un jour au mains, jamais tu ne pourras me battre. Jamais. Et contrairement à toi, je ne dépend de personne. Toi, tu as besoin d'un dealeur pour vivre, puisque tu es accro. Tu ne pourras jamais vivre seul, alors ne me regarde pas de haut, en pensant que je ne suis qu'une merde."

Non, je ne le lâcherai pas. Pas avant qu'il m'ait répondu. Et puis, j'aime me sentir en position de force comme en ce moment. Ça faisait un moment que je n'avais pas été dans cette position - trop longtemps - et Dieu que ça fait du bien. Le regard droit dans les yeux en plus de ça. Pour bien lui montrer que je ne rigole plus. Car s'il continue, je vais devenir méchant. Vraiment, méchant.

Il rigole. Il en a vraiment rien à foutre de sa vie ou quoi? Ah mais non, de toute façon, quand on est accro a la drogue, a des illusions, on ne peut pas avoir pleinement conscience de ses actes... Et en plus de ça il en pleure. S'il continue à me chercher comme ça, ça va mal se finir...

"J'ai besoin d'un dealer comme tu dis. Et toi ? T'as besoin d'un fournisseur non ? Si t'es plus fourni, tout tes clients te tueront pour avoir quand même de la marchandise. T'as jamais besoin à ce que les gens comme moi étaient capable de faire quand ils sont fauchés et qu'ils ont besoin de calmer ces violents tremblements qui les secouent ? Tu ne t'es jamais demandé si l'un d'entre eux te suivait chez toi pour te voler tout ce que tu as ? Espèce d'imbécile heureux và. "

Soit. Il marque un point, j'ai besoin d'un fournisseur.

"Oui, j'ai besoin d'un fournisseur. Mais je n'en suis pas dépendant, j'arrête de dealer quand je veux, tandis que toi, tu ne peux tout simplement pas arrêter de te shooter quand l'envie t'en prend. Quand aux clients mécontents, merci de t'inquiéter de ma santé, mais je les crains pas. Je sais me faire discret quand il faut. J'ai déjà changé de pays une fois, rien, ou presque, ne m'empêchera de recommencer si ça tournait mal. Ce qui n'est pas près d'arriver, puisque je ne compte pas arrêter de dealer de sitôt."

Décor planté, merci, au revoir. Non mais. C'est pas le petit Frederic Host qui va me faire peur, et encore moins m'apprendre quelque chose sur la vie. Il me montre déjà très bien ce qu'il ne faut pas faire, donc l'inverse est impossible, tout simplement.

"J'suis pété de tunes. T'imagines même pas à quel point. J'pourrai me payer une cure de désintoxication si j'voulais vraiment arrêter. Je rentrerai en cure, passerait cinq semaines à suivre des cours de psychologies, je penserai à être responsable. Quand je reviendrai à Weins, j'irai dans l'équipe du foot pour devenir populaire, tiens, pourquoi pas. Je pourrais, si j'en avais envie."

A mon tour de sourire. Fred, le drogué de service, le mec le plus paumé de Weins, arrêter sa dope, devenir populaire? Laisse moi rire mec. Et en plus, se retrouver sportif. Ha ha! Malgré ma mauvaise humeur, j'ai rigolé. Et de bon coeur. De très bon coeur. Non seulement pour ce que le drogué venait de me dire, mais aussi parce que je venais de l'imaginer... Musclé. Et sur le terrain de football.

"Riche, bien sur que tu l'es, sinon, tu pourrais pas venir te fournir, chez moi ou d'autres dealeurs. Et toi en cure... Vraiment? Tu te verrais en cure? Et surtout, tu te verrais populaire et sportif? Franchement, tu viens de t'injecter quoi pour dire des conneries pareilles?"

"J'ai absolument pas envie d'arrêter de prendre de la drogue, mon ... Naoki-chan ? C'est comme ça qu'on dit, au Japon non ? Je l'ai lu quelque part. C'est affectueux."

Fini la rigolade. Le sourire moqueur de mon visage a disparu aussi vite qu'il est apparu. Et mon bras s'est rapproché du mur. Je pense que si j'appuyais un tout petit peu plus, il commencerait à étouffer.

"Tu te crois malin. Tu penses surement qu'en disant ça, tu sais parler Japonais. Seulement, pour pouvoir le dire, il faut vraiment savoir ce que ça veut dire, et le dire, surtout, à la bonne personne."

Non, les blagues sur le Japon, ça passe pas. Mais alors pas du tout.

"Ah oui au fait."

Qu'est-ce qu'il fait, pourquoi il approche sa tête? Mais... QU'EST-CE QU'IL VIENT DE FAIRE? BORDEL DE MERDE!!! Pourquoi il m'a embrassé ce con?

"Sale hétéro."

Trop, c'est trop. Je suis resté gentil un peu trop longtemps à mon goût. Et là, LA, il vient de dépasser les bornes des limites, comme on dit. On n'embrasse pas Naoki sans son accord sans s'attendre à des conséquences. Et là, pour le coup, j'ai envie de lui faire mal. Très envie. Donc un bon coup de poing dans la machoire en desserrant la force qu'exerçait toujours mon bras sur sa poitrine, et vous voilà en face d'un beau cassage de gueule d'un toxico. Il l'a pas volé. Je le taperai bien encore et encore, mais c'est quand même un bon client... Donc restons en là, si je veux garder un espoir qu'il vienne se fournir chez moi...

"Tu mériterais 100 fois pire que ça. Si t'avais pas autant de fric, tu serais déjà dans la rue, mort depuis longtemps. Seul ton fric te permet de ne pas devenir trop un déchet ambulant. Contrairement à ce que tu crois, j'ai assez vécu pour savoir ce dont je dois me méfier. Donc les leçons de morale, si ça t'étais venu à l'esprit, tu les gardes pour ton petit esprit embrumé."

Le laisser là comme une merde. Voilà la seule chose... "Lucide" que je peux faire. Si je reste là, je vais pas pouvoir me retenir de le taper, encore et encore. Pour lui, comme pour ma santé mentale, il valait mieux que je sorte, que j'oublie ce que Frederic Host, le plus tox des toxicos, vient de me faire. Sortons de ces foutues chiottes, et allons en cours, pour une fois.