Un discours si éclairant. Tout ce qu’il disait… ça résonnait en moi, ça prenait tout son sens ça… éclairait ma vie et ses zones d’ombres. Mes parents avaient eu tort depuis le début. Dieu ne nous avait jamais guidés ou protégés. Par contre, Gordon, lui, il se battait pour rendre le monde meilleur. Nous avions étudié l’un de ses discours en cours aujourd’hui et ses mots me transperçaient. C’était comme s’il s’adressait à moi, qu’il me parlait en privé, qu’il connaissait mes peines, mes souffrances et mes inquiétudes et qu’il y répondait, qu’il me prenait la main, me regardait droit dans les yeux pour me dire « ils paieront Jade, n’aie plus peur, je suis là maintenant, et tout ira bien, tu verras ». Sauf qu’il s’exprimait bien mieux. Moi je faisais pâle figure à côté. Cet homme m’avait sauvée. Sa politique, son école, menée par Weins… Le chaos qu’était ma vie avait trouvé sa lumière et son ordre. J’étais enfin à ma place, entourée et aimée dans cette académie. Et réentendre aujourd’hui ses mots m’avait allégé l’esprit. Et celui-ci avait vagabondé. J’allais être la meilleure, sortir de l’Académie avec les meilleurs résultats pour intégrer la police ou le gouvernement si je pouvais avoir cette prétention. Mais je voulais l’aider. Ce serait si peu de chose, ma modeste contribution, face à tout ce qu’il avait fait pour le monde, mais si je pouvais être à ses ordres, ce serait un juste retour des choses. Alors oui, je m’étais imaginée chef de la Police, décorée par Gordon en personne, j’avais rêvé que j’étais son assistante… Cela était plus qu’un rêve, une chimère, mais j’avais trouvé ma voie, en dépit de mon passé, et seul lui pouvait me faire ce don.

J’avais le droit de rêver quand mon passé n’avait été que cauchemar et ça, c’était nouveau. Alors j’avais bu ces paroles, je m’en étais imprégnée. Et je n’ai pas vu le temps passer. Je n’avais donc pas la moindre envie de quitter la salle de cours quand ce fut pourtant l’heure, et je me sentis à la fois terriblement vide une fois dans le couloir, et encore sur un petit nuage. Je serai d’ailleurs bien allée courir pour profiter de cet état de grâce, mais le stade était réquisitionné pour un autre entrainement. Et puis je devais voir Rebecca, ma meilleure amie ici, quelqu’un avec qui la compréhension était innée, naturelle. Pas besoin de mots, nous nous entendions. Un même passé d’aveuglement avant de trouver enfin notre véritable famille. La première chose que je fis lorsque je la vis, fut de lui raconter tout ce que nous avions appris sur le discours de Gordon. C’était passionnant de discuter de cela avec elle, car elle comprenait, elle vibrait elle aussi, et son message n’était malheureusement pas compris par tous. Mais nous, nous l’entendions. Alors nous nous sommes retrouvées ainsi à marcher en refaisant le monde, en parlant des talents d’orateur de Gordon en nous demandant ce que nous pourrions faire pour l’aider, même indirectement, à notre faible niveau. Nous étions tellement portées, tellement enthousiasme qu’aucune de nous ne remarqua réellement que notre errance nous avait menées au parc de verre. Et j’ignore encore quel miracle me fit décrocher un instant de notre conversation, mais mes yeux se portèrent sur une silhouette que je connaissais bien.

Enfin connaitre était un vaste mot. En tant que Platine hyper populaire, je me devais de connaitre tout le monde, mais il y a connaitre et connaitre. Disons plutôt que c’était une silhouette que j’avais pas mal observée ces derniers temps. D’après mes sources, il s’agissait d’une dénommée Nina, une fille inoffensive mais qui ne semblait pas encore entrée dans la lumière de Gordon, et elle avait dû vivre pas mal de trucs pas très drôles ces derniers temps. Et surtout, elle était rageuse ; pour l’avoir été, je savais les reconnaitre, ces âmes habitées par un mal être féroce qui vous pousse à vous autodétruire s’il ne sort pas. Toute cette colère, ce sentiment d’abandon… j’avais cru les surmonter avec la drogue. Sauf que cela m’avait rendue encore plus seule et plus perdue que jamais. J’avais emmagasiné un stock considérable de douleur et de perdition quand j’ai été envoyée ici. Ici, à l’académie. Et tout avait changé à ce moment-là. Je n’avais jamais été seule, jamais jugée. Au contraire : toujours écoutée, toujours entourée, toujours rassurée. J’avais été comme vidée de cette colère et de mes peurs, et je voulais que les autres connaissent cette chance. Voilà pourquoi j’accueillais les nouveaux à bras ouverts. Voilà pourquoi j’encourageais toutes les nouvelles recrues du club. Rebecca le comprenait, mieux que quiconque.

Alors forcément, voir cette fille, cette âme en peine, débordant de colère, là dans ce parc… Je ne pouvais pas la laisser seule. Je ne savais pas précisément ce qui lui était arrivé, mais je voulais qu’elle sache qu’elle n’était pas seule ici et qu’elle pouvait compter sur nous et nos protecteurs. Je fis alors un signe de tête à Rebecca pour attirer son attention sur Nina. Mission délicate, car la sortir d’une discussion sur Gordon relevait du miracle. Mais je savais aussi qu’elle n’était pas du genre à abandonner les autres. Parler avec elle me faisait du bien. Elle comprenait mieux que quiconque les mensonges dont on nous avait abreuvées par le passé avant que l’on comprenne la vérité. Donc non, nous ne pouvions pas la laisser seule, nous savions mieux que quiconque à quel point cela était difficile. Je bifurquai dans la direction de la jeune fille, dans cet étrange endroit scintillant de mille feux.  Quand j’avais vu cet endroit pour la première fois, je m’étais dit que c’était comme ma vie. Un chaos sans nom, un vrai carnage… Et en même temps … quand la lumière se reflète. De la colère naissait la plus grande beauté. Nous étions ce parc : des diamants en mille morceaux sublimés par l’amour et la présence de nos professeurs et de nos guides.

« Laisse-moi deviner. T’as envie de casser la figure la figure à quelqu’un et t’as certainement pas envie qu’on vienne te pomper l’air, crois-moi, j’ai connu ça. Mais désolée, ce n’est pas notre genre de laisser quelqu’un qui semble être brisé comme ce parc avant qu’on ne le travaille. Ne garde pas tout pour toi, alors profites-en. On est seules ici. Crie, hurle. Ça sert à rien de tout garder pour toi. »

Je jetai un œil à Rebecca. C’était la première étape ça, accepter de lâcher prise. Accepter de faire tomber les barrières, de déverser la colère. Après on était épuisés, mais aussi plus lucide, après on pourrait parler. Et même si elle nous tombait dessus, on saurait la canaliser. Ou Rebecca saurait.

« Nina, ça va ton nez ? »
« J'ai encore un peu mal mais ça ira... »
« Je compatis... Tu es tellement courageuse ! »
« Ho non ce n'est rien... Excuses-moi mais il faut que j'y aille. »

Nine s'éloigna à reculons, un sourire sur les lèvres tout en faisant un signe de la main pour répondre à l'individu de sexe masculin et particulièrement insupportable qui la collait depuis des semaines. Mais qu'est-ce qu'il avait ce putain d'enfoiré, hein ? Pourquoi il n'arrêtait pas de la coller ? Il ne pouvait pas la laisser tranquille ou il fallait qu'elle lui enfonce son genou entre les jambes pour qu'il comprenne qu'elle ne le supportait pas ?! Déjà qu'avant la fusillade, il n'arrêtait pas de la saouler mais là, depuis qu'elle s'était prit un putain de coup dans la tronche, il était encore plus collant ! Elle ne se rappelait même plus de son nom, dis donc... Brad ? Broddy ? Bernard ? Oh qu'importe, de toute façon ce n'était qu'un con ! A cause de ce pauvre crétin, Nine s'était limite fait engueuler par l'autre débile de Rebecca J'aimeGordonplusquemoncerveauçatombebienj'enaipas ! Cette saleté de Platine avait débarqué avec la bouche en cœur pour lui faire remarquer que Brandon, ha oui Brandon... qu'il meurt dans d’atroces souffrances, était très sympa mais qu'il fallait accueillir les gens. Ho bah ça pour les accueillir, Nine les avait accueilli ! Elle l'avait même fait avec le sourire alors qu'elle avait juste envie de les dépecer et de noyer Rebecca dans leurs sang ! A cause de ce crétin de Brandon, elle s'était fait taper sur les doigts. Elle ! On lui avait tapé sur les doigts et elle n'avait même pas pu frapper en retour ! Raaaaah ! Bon Dieu qu'elle le haïssait ce crétin ! Et puis depuis la fusillade, il n'arrêtait pas de la surveiller, comme si Nine avait besoin de la sécurité plus que minable d'un grand dadais incapable de ne pas se pisser dessus pendant une fusillade ! Il voulait la protéger, hein ? Misérable crétin. Il était où lorsque Nine s'était fait péter le nez ? Hein ?! Il était où ?! Ho bah affalé par terre, se pissant dessus en gémissant qu'il voulait voir sa mère. Sa mère. En se pissant dessus. Et c'était ça qui voulait protéger Nine ? Bin voyons... Nine était habituée des massacres, elle avait grandit dans le sang et elle crèverait en commettant un fratricide. Parfaitement. Alors comment est-ce que ce bon Brandon pourrait l'aider, hein ? Si ce n'est en crevant de manière tellement ridicule qu'au moins Nine en rigolerait ?! Elle avait beau tout essayer, Brandon ne s'éloignait pas d'elle et continuait à la regarder avec ses yeux globuleux et répugnants. Répugnant. Il était répugnant et sans intérêt ! Comment pouvait-il ne serait-ce qu'imaginer qu'il avait la moindre chance avec Nine ? L'amour ? Nine ne connaissait pas ça. Elle ne jurait que par la haine et ajouter un nouveau mot à son dictionnaire personnel, très restreint, ça ne l'intéressait pas du tout. Pas-du-tout ! Et encore moins avec Brandon-l'inutile !

Dès qu'elle fut hors de porté des étudiants, le sourire de Nine changea de sens et son aura se transforma en quelque chose approchant plus de l'envie de meurtre que de la gentillesse de Nina. Depuis qu'elle s'était fait péter le nez, Nine avait de plus en plus de mal à garder son calme et à continuer à jouer le jeu de la gentille Nina. Nine avait de plus en plus de mal à continuer à sourire, à rire, à poser des questions stupides pour garder cette apparence de meuf débile et pas consciente de l'être. Elle n'arrivait plus à garder son calme en cours, elle devait sans cesse retenir un flot d'injure qui ne demandait à sortir. C'était dur. Très dur. Nine n'aurait jamais pensé que garder sa couverture serait quelque chose d'aussi dur. Au début ça avait été très simple mais clairement, se faire péter le nez avait découpé sa patience. On avait osé touché à son précieux nez alors que personne d'autre que sa mère n'avait osé le faire. Nine avait déjà eu le nez brisé, plusieurs fois même. Forcément, se prendre un gourdin dans la tronche quand on a six ans, ça se solde généralement par un nez en miette. Elle avait réussit à le remettre en place, à courir à l'hôpital alors que sa mère était ailleurs. A chaque fois Nine avait réussi à se débrouiller toute seule et lorsqu'elle avait pendu sa mère, elle s'était fait la promesse qu'on ne toucherait plus jamais à son nez. C'était devenu son talon d'Achille mais elle l'avait tellement bien protégé qu'il n'avait jamais plus souffert. Jusqu'à la fusillade. Jusqu'à ce que ce putain de débile en noir le lui brise une nouvelle fois. Ça pouvait paraître complétement stupide de faire ainsi une fixette sur son nez mais Nine n'était plus saine d'esprit depuis très longtemps (l'avait-elle été un jour?) et son nez, ça avait été sa façon à elle de mettre le passé derrière elle et de poursuivre son destin (à savoir sa sœur.). Son nez, c'était la seule chose qui l'avait maintenu dans un état d'esprit à peu près stable mais depuis qu'il avait été pété une nouvelle fois, Nine n'arrivait plus à retrouver ses repères. De quel droit cet homme s'était-il mit entre son destin et elle ? Oh elle le ferait payer. Quoi qu'elle aurait du mal puisqu'il était déjà mort mais bon...

Nine tourna la tête, échappant ainsi à des pensées plus que morbides, pour se rendre compte que ses pas l'avaient menée au Parc de Verre. D'après ce qu'on lui avait raconté, ce parc avait été pendant longtemps recouvert de débris de verre plus dangereux qu'esthétiques et Gordon avait décidé d'ériger là un parc entièrement fait grâce au recyclage. Les anciens bouts de verre avaient été coulés dans du béton d'une belle couleur, les bancs étaient fait de la même matière et les fontaines rayonnaient au soleil. Le parc était vraiment beau et tous ces bouts de verre de différentes couleurs scintillaient au soleil, jetant de belles tâches sur les troncs, là où les rayons les traversaient. Le parc était magnifique et le fait qu'il soit entièrement fait en matière anciennement dangereuse, car coupante et infectante, et qu'aujourd'hui tout soit propre et sans risque, aurait peut-être dû réveiller quelque chose chez Nine. Mais non. La seule réflexion que Nine se fit en voyant le parc c'était que c'était sans intérêt. Comme tout ce qui l'entourait et comme tout ce qui ne concernait pas sa sœur, objet de sa haine et de sa survie. Elle était tant tournée vers les malédictions diverses qu'elle n'entendit pas les deux Platines, pourtant repérables à des kilomètres tant leur débilité traversait les nuages, s'approcher d'elle. La voix de l'une d'entre elle la fit sursauter et Nine se tourna, reprenant immédiatement le masque de Nina, la gentille débile.

« Laisse-moi deviner. T’as envie de casser la figure la figure à quelqu’un et t’as certainement pas envie qu’on vienne te pomper l’air, crois-moi, j’ai connu ça. Mais désolée, ce n’est pas notre genre de laisser quelqu’un qui semble être brisé comme ce parc avant qu’on ne le travaille. Ne garde pas tout pour toi, alors profites-en. On est seules ici. Crie, hurle. Ça sert à rien de tout garder pour toi. »

Nine faillit perdre sa mâchoire inférieure en entendant la Platine dire ça. Elle ne la connaissait pas, cette nana. C'était qui ?! Les yeux de Nine furent attirés par la deuxième Platine et elle dû faire appel à tout son sang-froid et son contrôle pour ne pas se jeter à la gorge de Rebecca. Bon Dieu de merde, mais elle était pire que Brandon celle-là !

« Je... Ce n'est pas mon genre de faire ça... »

Nine prit un petit air gêné et enchaîna avec les yeux baissés au sol, signe d'une grande perdition de l'âme et d'une tentative de fuite contrôlée.

« C'est juste que... je... je n'arrive pas à penser à autre chose que ce qui s'est passé. La fusillade reste dans mon esprit et je ne peux pas m'empêcher d'en vouloir à ces individus. Ils ont... »

Vite, trouver quelque chose !

« Ils ont gâché le jour des portes-ouvertes ! Le jour où on devait voir Gordon et ils l'ont mit en danger ! Je suis tellement énervée contre eux ! »

Intérieurement, Nine resta choquée par ce qu'elle venait de dire. Sérieusement ? Elle n'avait rien trouvé de mieux ? Bordel de merde, les Platines allaient s'en donner à cœur joie avec une déclaration d'amour à Gordon comme ça... Abruti de débile de connard de cerveau de merde !

« Mais en même temps, je me sens coupable d'être si énervée contre eux... Ils avaient sûrement une bonne raison pour s'en prendre à l'académie ? Mais je ne vois pas laquelle... Je ne vois pas pour quelle raison on pourrait tuer autant de gens... »

Oh que si, elle voyait très bien pour quelle raison : elle en avait deux magnifiques juste en face d'elle, tiens... Mais si intérieurement, elle s'imaginait déjà étriper et faire cuire les deux gourdasses, extérieurement, Nine maintint son rôle à la perfection. Il était hors de question que les deux Platines se doutent de quoi que ce soit. Personne ne réussirait à la percer à jouer. Personne. Enfin pour ça, il faudrait qu'elle évite Hunter Stanton sinon toutes ces années de recherche et d'infiltration n'auraient servies à rien.

La haine est une chose très difficile à maîtriser, encore plus qu'un taureau en furie pour certain et il s'avère que cette même entité est toutefois très facile à semer. Il suffit de quelques mots, de petits bruits simples mais pourtant meurtriers pour provoquer un accès de rage chez une personne ou même plusieurs à la fois. Néanmoins, ce n'était pas que des mots vulgaires et brutaux qui ont volé lors d'une certaine journée porte ouverte mais des balles de plomb qui ont fauchés des âmes par le pur hasard des âmes sanguinaires vêtues de chair puis de vêtements noirs. Pas besoin d'être là, quoique ça aide, pour se rendre compte que les meurtriers ont tués aléatoirement, bref, de vrais terroristes qui tuent seulement pour faire le plus de dégâts possibles et faire régner la peur. Mais Rebecca n'a pas peur. Dû moins, elle n'a plus peur. Pas sûre que ça mémoire se souvienne de cet évènement comme une histoire où elle a fait preuve d'un courage exemplaire mais aujourd'hui, alors qu'elle est bien loin des armes, Rebecca ne manque pas un instant de se compter chanceuse et tenter de se forger un courage supérieur. Oh non, la Platine ne tombera pas dans la témérité, elle sait faire le tri. Déjà, elle s'imagine toutes sortes de scénario plus horrible les uns que les autres dont elle est la victime dans son imagination, pour se préparer mentalement à peut-être devoir affronter de pareils horreurs dans sa vie. Ça peut sembler un peu excessif, mais vaut mieux prévenir que guérir et la jeune fille ne pourrait pas supporter une fois de plus d'être prise au dépourvue sans savoir quoi faire. Les accidents avec Cookie, la fusillade, toutes ces choses, il faut être préparé pour pouvoir surmonter les dangers et prendre les meilleures solutions. C'est ce qui la mène au Parc des verres en particulier. Quoi de mieux pour pouvoir réfléchir à la peur humaine et aux moyens de contrer les forces maléfiques du Monde que cet endroit autrefois couvert de déchets aussi coupants que des lames de rasoirs ? Maintenant, tout a été sécurisé par le bon gouvernement et transformer en vrai oeuvre d'art qui a parfaitement sa place parmi les végétaux. Par contre, ça n'a pas toujours été le cas et qu'est-ce qui serait arrivé si personne n'aurait été là pour intervenir ? Cet endroit serait resté un danger public pour quiconque passerait. Tant de choses qui poussent à la réflexion, un vrai paradis de philosophie (en accord avec les principaux idéaux du grand et puissant Gordon, bien entendu, il ne faudrait tout de même pas tomber dans l'hérésie).

C'est un lieu ardent comme le courage. C'est une autre raison qui a poussé inévitablement la Platine à l'exploration de ce petit monde. Ce minuscule univers est lumineux aussi, ça ne fait aucun doute que cela l'est. L'attention de Rebecca est éparpillée un peu partout, on pourrait la comparer à celle d'un oiseau de nuit se retrouvant dans une fête foraine débordante de lumières plus colorés les uns que les autres. Cependant, il suffit qu'un signe de la tête pour que toutes ses pensées se recentrent en un seul et même objectif. Le radar platine de bonnes actions s'est braqué sur sa prochaine victime... Nina ! La Platine a déjà discuté avec elle, dû moins, un tout petit peu, rien de bien méchant. Enfin, si méchant pour la pauvre Nina un peu trop hypersensible, en particulier à la critique et ce qui concerne les histoires amoureuses. C'est là un grand euphémisme dans ce contexte et proche du ridicule lorsqu'on connaît la vérité, néanmoins, personne ne la connaît vraiment ce qui a transformé les rapports entre Rebecca et Nina assez comiques si on est un adepte de l'humour noir. Outre ce léger détail, la Platine aime bien la Zinc. Comme si les deux jeunes demoiselles possédaient le même cerveau, Miss. Dawson comprends très bien d'où veut en venir sa compagne, Jade. Elle s'en veut de ne pas l'avoir remarqué plus tôt et n'hésite pas à prendre en compte dans ses pensées l'intelligence de la championne d'athlétisme. Après tout, pas besoin de mots avec cette fille, pense Rebecca, il suffit seulement d'un coup d'oeil pour qu'on puisse s'entendre sur ce qu'il convient de faire. Et dans ce cas, en voyant l'air abattu de la pauvre Nina, elle ne peut qu'acquiescer une intervention. Après tout, la haine est une chose vicieuse qui faut à tout prix éradiquer, une personne à la fois. Elles s'approchent de Nina mais Rebecca laisse Jade commencer la danse, elle a confiance en ses capacités à bien aborder le problème.

C'était parfait. Elle ne le pense pas parce qu'elle est une platine avec tout ce qui a de plus admirable (enfin, si cela en a pour beaucoup dans son jugement, venant d'un Plomb elle aurait tout de suite affirmé que ce serait pitoyable). Elle prend le temps de bien écouter ce que Nina a à dire, plutôt heureuse, d'une certaine manière, qu'elle n'a pas à insulter elle et Jade pour son propre bien. Un sourire se dessine sur le visage de la Platine, elle aime ce qu'elle entend.

« C'est normal d'être déçue... Enfin ce n'est pas que de la déception je le conçois, mauvais choix de mots, parlons plutôt de tristesse en ce qui concerne la journée des portes ouvertes. Oui, ils ont tout gâchés mais pas que ça, des vies et des familles aussi. C'est tout à fait normal d'être en colère contre eux, qui ne le serait pas ? Il n'y avait aucune excuse pour venir à l'académie et tirer sur les gens mais il y en a très certainement pour leur en vouloir, ça c'est sûr. Tu n'as pas à être coupable de t'énerver contre ces gens, au contraire, ce n'est pas toi la coupable dans toute cette histoire, après tout, ce n'est pas toi qui a tiré sur les gens et encore moins sur les tireurs eux-mêmes, quoique je ne doute pas que tu es eu envie de t'en prendre à eux à un moment donné et sache que c'est parfaitement compréhensible... »

La seule excuse valable pour tuer quelqu'un c'est s'ils représentent un danger imminent pour la Nation en son ensemble et qu'il n'offre aucune chance de rédemption. C'est ce que pense Rebecca mais elle sait très bien que ça ne se dit pas, enfin pas aux Zincs en tout cas. C'est le genre de pensée qu'on garde pour soi-même, malgré sa certitude inébranlable que certaines personnes n'ont plus rien à faire sur terre.

« Mais tu sais, la première chose à faire, comme a dit Jade, c'est d'extérioriser sa colère. Celle que tu as en toi a pris domicile parce que des gens t'ont fait mal et t'ont blessé. Il faut que tu puisses libérer cette agressivité, ce n'est pas bien de garder tout à l'intérieur. Évidemment, les moyens de se libérer de ses pulsions divergent selon les individus puisque nous sommes tous différents. Toi Nina, as-tu des moyens précis pour t'échapper de la colère constante ? Si tu veux, Jade et moi on peut te donner un coup de mains en ce qui concerne les différentes façons de faire fuir la frustration. »

Tant qu'elle frappe un sac rempli d'idiots, ça ne dérange pas. Bien qu'il soit préférable selon la très grande et prestigieuse morale qu'elle s'en prenne à des choses plutôt matérielles qu'humaines. Rebecca privilégie cela mais pour une fois que les imbéciles pourraient servir à quelque chose. Par contre, le discours de la Platine ne finit pas là. En effet, la Zinc a fait l'erreur de se jeter soi-même sur l'échafaud d'exécution en prononçant Gordon il n'y a pas si longtemps, ce qui active un grand nombre de neurones chez la jeune fille à un point où ça la démange de devoir patienter pour s'exprimer à propos du Président.

« Et pour ce qui est du Président... Nous comprenons plus que bien ton désarroi face à la tournure des évènements. Non seulement il n'est pas venu, nous privant de son magnifique discours qu'il avait préparé, mais il a en plus couru un grand danger. Il aurait pu mourir à cause de ces terroristes. C'est une très grande chance qu'il s'en soit sorti, comme nous tous d'ailleurs. Ce retrait de sa part n'est que partie remise puisque la Nation est plus forte que ces meurtriers et que si on veut vraiment se défendre contre eux, c'est en restant debout et ne pas se laisser abattre. C'est pour cela qu'il est important que tu ne dois pas te laisser corrompre par ce qui s'est passé. Sois forte Nina. »

Si j’avais bien compris quelque chose c’était que nous arrivions tous à l’Académie avec un passé. Et celui-ci se révélait plus ou moins sombre et torturé selon les uns et les autres. Peu connaissaient ce par quoi j’étais passé avant d’arriver au sommet de la hiérarchie sociale, et probablement que tous auraient détesté la Jade Thomas que j’étais trois ans plus tôt. J’aurais certainement haï tout le monde puisque je n’étais pas capable d’aimer car des mensonges et des opposants au gouvernement m’avaient arraché mon cœur avant qu’on ne me le rende une fois ici. Depuis j’étais heureuse. Mon passé était derrière moi. Mais pour d’autres, les fantômes demeuraient présents, parce que la violence avait pénétré la frontière de notre Eden. En écoutant cette Nina, je compris. Elle faisait référence à ce qui s’était passé quelques temps plus tôt. Cette fusillade. Ça me retournait l’estomac. Qui pour oser s’en prendre à une école ? Qui pour briser des vies alors que Gordon voulait instaurer la paix. Ça me dégoûtait… tellement. Et la voir, comme ça, timide, petit oiseau blessé fixant le sol. Ça me faisait mal. Mal qu’on brise ainsi la dignité d’une jeune fille qui se laisser ronger par le chagrin. Pas son genre de laisser la colère s’exprimer… mais il le fallait. Quand Stanton avait percé mon silence, j’avais tout déversé. Haine, cri, coups de folies… son bureau avait tout vu, tout connu. Accepter de laisser les démons partir, c’était la première étape de la guérison. Néanmoins, je ne laissais nullement transparaitre ma désapprobation mais me contentais de lui sourire, doucement, sans exagération. Elle n’était pas bien et je ne voulais pas qu’elle s’illusionne et s’imagine que je me réjouissais de son mal être. Mais je me voulais… apaisante ?

Je secouais la tête quand elle mentionna les portes ouvertes gâchées. Oui, quelle déception ! Cette école était une aubaine, elle nous apprenait la vie et les vraies valeurs, et ce sentiment de communion, d’appartenir à quelque chose de grand, de plus grand que nous, avait été bousillées. Moi j’étais dans une autre aile quand c’était arrivé, mais je comprenais sa frustration : ne pas voir Gordon, notre bienfaiteur… il y a avait de quoi être en colère. Dire que j’aurais pu le rencontrer… Non, que nous aurions tous pu le rencontrer, lui qui était à l’origine de ce monde en paix, et de cette école qui m’avait sauvée.

« Il y a de quoi, mais les laisser te mettre dans cet état c’est les laisser gagner. Et ils ne le méritent absolument pas. Nous sommes beaucoup plus forts qu’eux. Et je suis persuadée que nous aurons l’occasion de rencontrer Gordon dans de meilleures conditions. »

J’étais bien déterminée à ce que plus jamais une telle chose ne se reproduise ; on nous avait atteints en notre sein, mais nous étions forts. Nous avions la foi, la force, l’amour de nos gouvernants et de nos professeurs pour nous. J’affichais un visage résolu et ferme, pour qu’elle entende qu’elle n’était pas seule et que je refusais de me laisser envahir par la peur à cause d’irresponsables. Par contre je balayai d’un geste de la main sa dernière hypothèse. Une bonne excuse pour s’en prendre à l’école ?? Non, c’était un geste inexcusable et franchement, même s’il y avait eu un procès, je n’aurais jamais voulu entendre leurs fausses excuses. Il n’y avait pas à comprendre et encore moins à excuser. C’était un crime, commis par des criminels. D’accord, j’avais moi aussi commis des choses… injustes et violentes. Moi aussi j’avais été une criminelle qu’on avait écoutée et à qui on avait pardonnée… mais ce n’était pas pareil. Peut-être faisais-je preuve de mauvaise foi… ou alors ça me touchait trop intimement. C’était à ma maison, à mon berceau qu’ils s’en étaient pris. Ils avaient menacé mon présent et mon futur, l’endroit où j’avais enfin eu le droit de rêver et d’espérer.

« Tu sembles être une très bonne personne Nina. Peut-être trop gentille. Bien sûr qu’il faut savoir aimer et pardonner, c’est ce que Gordon nous apprend. Mais parfois, il faut être capable de sévérité. Pour avoir commis des erreurs, les laisser faire ce n’est pas leur rendre service. Il faut parfois taper du poing pour qu’on comprenne, crois-moi. »

J’avais rajouté cela presque inutilement car en réalité, j’avais bu les paroles de Rebecca. Elle s’exprimait si bien, elle était si juste dans ses appréciations. J’enviais son talent d’oratrice. Elle était si ferme et en même temps si douce… Brillante, elle était vraiment brillante et je donnerais cher pour être aussi douée qu’elle. J’avais beau être une excellente élève, je n’étais qu’un puceron analphabète à côté d’elle. Elle parlait si bien. J’en étais envoûtée. Avec une telle voix et de telles paroles si pleines de sagesse, Nina ne pourrait que se sentir mieux. Comme une idiote, j’hochais la tête quand elle affirma à Nina que nous serions là et l’aiderons pour qu’elle se purge de sa colère. Que pouvais-je ajouter, elle avait tout dit ! Mon cœur se serra quand elle évoqua Gordon et je sentis une pointe de colère et de fierté s’emparer de moi et je me redressais à la mention de la nation.

« Rebecca a raison. C’était une mise à l’épreuve et nous en sommes sortis plus forts. Nous étions un peu présomptueux, à penser que le monde était bon. Nous avions cru être dans une bulle, en oubliant la souffrance et l’aveuglement de certains. On s’est un peu trop replié sur nous-même et finalement, cette « attaque » nous a fait comprendre qu’il faut qu’on communique plus, qu’on répande la véritable idée de Gordon. Je veux dire, certains peuvent mal interpréter les choses et ne pas voir tout le bien qu’il nous dispense chaque jour. Il faut en parler, il faut répandre ses paroles. Moi je ne les avais pas comprises avant d’arriver, parce qu’on ne me les avait jamais expliquées. »

Il fallait répandre sa pensée, l’expliquer, c’était primordial ! Et cette attaque en était la preuve, nous devions convaincre et ne laisser personne de côté. Mais cela était notre mission sur le long terme. A court terme, notre priorité devait être Nina. Elle semblait en bonne voit pour comprendre l’amour de notre dirigeant, bientôt elle serait heureuse si elle avait de bons guides qui ne l’abandonnaient pas. Alors je tendis le bras vers elle et posai ma main sur la sienne, avant de reprendre en lui souriant.

« Mais je vois qu’ils t’ont fait du mal à toi. Tant que tu seras en colère, tu ne seras pas heureuse. Tu n’as pas à accepter ce qu’il s’est passé, mais tu dois transformer ce que tu ressens. C’est un poids à l’heure actuelle, fais en sorte que cela te pousse. Maintenant tu as vu qui sont ceux de ton côté. La violence est à l’extérieur et nous allons lutter contre. Par contre, tu peux choisir d’être heureuse, en sécurité, avec des gens qui ne te laisseront pas tomber et avec qui tu partageras de réelles valeurs. Alors ne te laisse pas abattre. Et essaye. Ne laisse pas la peur et la douleur te ronger, crois-moi, ils n’en valent pas la peine. On peut même aller au stade, tu frapperas dans des balles s’il le faut. Fais sortir la violence hors de toi et de Weins, tu as vu ce que cela donne quand elle perce nos défenses… »

Bon dieu de bon dieu... Dans quelle merde s'était-elle encore fourrée ? Pourquoi est-ce qu'elle n'avait pas pu s'empêcher de la ramener au lieu de prendre la fuite de façon lâche et ridicule en prétextant une folle envie de tirer à l'arc ? Elle aurait dû réfléchir avant d'ouvrir la bouche pour sortir cette atroce réflexion sur Gordon. Mais qu'est-ce qui lui était passé par la tête, sérieusement ?! Jusqu'à maintenant Nine avait toujours réussi à éviter les Platines et à éviter leurs discours moralisateurs. Elle avait réussi à se faire une petite réputation de gentille Zinc toute mignonne et elle avait même réussi à frôler sa connasse de sœur sans l'égorger avec les dents. Elle avait fait des efforts, elle avait sourit alors qu'elle n'avait envie de rien et elle s'était forcée à déblatérer des âneries sur Gordon pour éloigner des Plombs un peu trop ennuyants. Elle avait déjà été confrontée à l'autre gourdasse de Spencer et si James n'était pas venu la sauver, nul doute que la rouge-débile se serait retrouvée à avaler sa langue par les narines. La confrontation remontait à un moment déjà mais Nine n'avait pas oublié. Elle n'oublierait jamais. Cette espèce de sale rat s'était permis de lui faire des réflexions sur sa superbe couverture, Nina-la-débile, et surtout elle s'était permise de la prendre de haut et ça, Nine ne passerait jamais à côté. Spencer avait rejoint la liste noire de Nine, à ne pas confondre avec la liste rouge qui était remplie à rabord depuis sa naissance. La liste noire ne contenait que quelques personnes que Nine ne laisserait jamais vivre tranquilles et qui crèveraient avant qu'elles n'aient eut le temps de dire « oups ». On n'affrontait pas Nine Werthem sans en affronter les conséquences. Bon, d'accord, les abrutis qui l'accostaient n'étaient pas censés savoir qu'ils parlaient à Nine et ils ne pouvaient pas non plus s'imaginer que Nina n'était qu'une couverture stupide faite pour éloigner les soupçons mais même s'ils ne le savaient pas, ils auraient dû le sentir ! Quoique... techniquement, s'ils ne le sentaient pas, c'était que Nina était efficace dans son rôle de débile mais. Bref. L'être humain n'était qu'une masse de crétins sans espoir d'intelligence et puis voilà tout.

Nine hochait la tête quand il le fallait et prenait un air intéressé et conquis mais elle n'écoutait même pas ce que les deux idiotes lui racontaient. Ça ne l'intéressait pas. Elles ne l'intéressaient pas. Nine n'en avait rien à foutre de Gordon et savoir qu'il était bon ou mauvais, elle s'en fichait comme de sa première claque. La politique, Nine s'en fichait royalement. Après tout, que ce soit Gordon ou un autre abruti au pouvoir, ça ne changeait rien pour elle puisque H. restait et resterait son unique objectif. Elle avait atterrit dans cette école pour s'approcher de sa sœur et pour pouvoir l'espionner, lui faire peur et finalement la torturer avant de la tuer. Elle avait, de ce fait, un emploi-du-temps très chargé et les deux gourdasses fanatiques d'en face n'avaient pas pris rendez-vous...

« Toi Nina, as-tu des moyens précis pour t'échapper de la colère constante ? Si tu veux, Jade et moi on peut te donner un coup de mains en ce qui concerne les différentes façons de faire fuir la frustration. »

Nine regarda Rebecca avec un peu plus d'attention : ne venait-elle pas de dire que Nine pouvait extérioriser sa colère sur Jade et elle ? Oh merci mon Dieu ! Ni une ni deux, Nine se mit à dépecer Rebecca et à arracher les ongles de Jade un par un. Mentalement, évidemment... Quelle sale petite peste cette Rebecca pour oser faire des propositions aussi indécentes à Nine sans être capable de l'assumer après ! Elle lui proposait de passer sa colère sur elle sans pour autant tendre la joue... Tsss...

« Échapper à la colère ? Eh bien... Je crois que le tir-à-l'arc m'aide beaucoup. Ça me permet de ne me concentrer que sur la cible et donc de laisser mes soucis s'envoler ailleurs... »

Sur ce point là au moins, elle ne mentait pas. Le tir-à-l'arc l’apaisait et ça lui permettait par la même occasion, de s'entrainer à viser juste, au millimètre près. Nine avait fait sensation en débarquant au club de tir-à-l'arc car elle savait déjà tirer à l'arc et vu qu'elle s'imaginait la tête de H. sur chaque cible, elle ne ratait jamais son coup. Les anciens lui avaient presque immédiatement proposé de participer aux prochaines compétitions et Nine avait accepté. La brune était peut-être aveuglée par sa sœur mais ça ne l'empêchait pas d'avoir envie de prouver sa supériorité aux autres... Après tout Nine était un être humain. Ou du moins ce qu'il en restait après des années de mauvais traitement et de folie non-soignée...
Nine réussit à garder un sourire timide lorsqu'elle entendit Jade dire qu'elle était sans doute trop gentille et, summum, qu'elle pardonnait peut-être trop facilement. Nine ne connaissait pas le pardon, ça ne faisait pas partit de son vocabulaire et, pour elle, la seule finalité à l'affront était la mort. Le pardon ? C'était pour les autres, pas pour elle. Et gentille ? Oh Nina l'était, sans aucun doute, mais Nine, elle, n'oubliait rien et faisait toujours en sorte de faire payer l'intéresser. Tout en restant suffisamment discrète pour qu'on ne la remarque pas. Jusqu'à aujourd'hui ça avait plutôt bien fonctionné puisque Stanton ne l'avait pas appelée dans son bureau. Mais il était grand temps qu'elle se reprenne, elle ne pouvait pas continuer à prendre des risques comme ça ! Elle avait un objectif à atteindre et elle devait y arriver, coûte que coûte !

« Vous êtes vraiment gentilles, toutes les deux... Vous ne me connaissez pas et pourtant vous venez me réconforter alors que je vais mal. Merci, vraiment... »

Nine leur offrit un petit sourire sous-entendant que leurs Platineries avaient fonctionné puis elle reprit la parole :

« Je vais aller tirer à l'arc tout à l'heure, comme ça j'arrêterais de m’autodétruire, ne vous inquiétez pas. Vos paroles m'ont vraiment aidée à me remettre sur le droit chemin et vous avez raison, nous reverrons Gordon et ce jour-là, il n'y aura personne pour nous empêcher de le remercier. Weins m'a beaucoup aidée mais c'est grâce à vous deux si je réussi à faire le deuil de la fusillade et que je réussi à regarder devant moi sans trembler. Merci beaucoup. Vraiment. Vous êtes vraiment très généreuses pour avoir pris le temps de me parler et de me rassurer. Tout le monde n'aurait pas été capable de le faire. La dernière fois que j'allais mal, Spencer, je ne sais pas si vous la connaissez, c'est une Plomb, m'a mise mal à l'aise. Elle a essayé de me faire dire que Gordon était quelqu'un de mauvais et elle m'a traitée d'idiote et de mouton. J'ai essayé de lui ouvrir les yeux mais elle a été vraiment blessante avec moi... Heureusement, James Miller est venu m'aider et il l'a emmenée en retenue mais... depuis ce jour, je n'osais plus trop me confier à qui que ce soit et je gardais à l'intérieur de moi toute la haine et la tristesse que j'accumulais. La fusillade a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase mais vous êtes arrivées à temps pour me sauver de la noyade. Je ne vous remercierais jamais assez ! Spencer n'arrête pas de me persécuter et de me faire des vacheries pour me forcer à penser comme elle. Elle est prête à tout pour que je rejoigne ses rangs mais je ne penserais jamais comme elle. Jamais ! Je ne suis pas très forte et j'aurais sûrement besoin d'aide mais je vais être courageuse et je vais me battre pour qu'elle arrête de me harceler comme ça. Je sais que si je le fais, Gordon sera fier de moi. Et vous aussi... »

Nine avait réussit à faire couler quelques larmes en parlant de Spencer, pour montrer à quel point elle avait été choquée. L'histoire datait mais Nine était plus qu'heureuse de la remettre sur le tapis. Jade et Rebecca avaient l'air d'être des vautours et Nine était sûre et certaine que les deux filles se jetteraient sur cette sale Plomb qui avait raconté des mensonges à la pauvre petite Nina. Et si Spencer niait la chose ? Allons, personne ne croirait une Plomb ! Et si elle s'en prenait à Nine ? Eh bien ça ne ferait qu'appuyer la déclaration de Nine. Spencer n'avait plus approché Nine depuis l'altercation dans la cafétéria mais la Zinc était plus qu'heureuse de lui lâcher deux chiens enragés sur le dos, à cette grande gueule. Elle regretterait toute sa vie d'avoir emmerdé Nine Werthem...

« Je... Je ne voudrais pas vous embêter mais puisque vous êtes d'excellent conseil est-ce que... vous pourriez m'aider ? » Nine pensa à quelque chose de précis et ses joues devinrent rouge, comme si elle avait honte d'elle ou qu'elle était gênée « Depuis quelques temps, il y a un garçon qui n'arrête pas de me faire des avances. Il n'est pas méchant mais je ne sais pas comment lui dire que je ne suis pas intéressée... J'ai peur de le blesser et comme c'est un ami, je ne voudrais pas qu'il me laisse tomber... Je l'aime beaucoup mais... je ne veux pas sortir avec lui et je ne sais pas comment le lui faire comprendre sans le blesser... »

Et hop un petit regard tristounet par dessus ça : Nine était décidément née pour être actrice. Dommage que son seul but dans la vie soit aussi peu moral...

Rebecca, gentille ? Peut-être, tout est relatif. Après tout, le véritable bienfaiteur ô combien magnanime est nulle autre que le grand Michael Gordon. Comment peut-on s'estimer bon lorsqu'on n'est rien auprès d'un être tel que lui ? Évidemment, il faut relativiser les choses mais ce n'est pas un compliment qui va droit au coeur de la Platine. Surtout en sachant quel genre d'horreur elle peut penser lorsqu'elle est en colère ou ce qu'elle peut faire, comme avec ces idiots au restaurant. Elle avait créé une sacrée pagaille cette journée-là. Son comportement n'était pas digne d'une citoyenne comme elle, quoiqu'elle ne nie pas que ces garçons aient bien mérités leur leçon et qu'il faillait impévativement se défendre. Toutefois, elle ne considère pas pour autant que ce fût approprié. Surtout le coup de grâce de cette bataille, elle juge ça comme étant un peu extrême lorsqu'elle observe les évènements avec un peu plus de recul. Bref, le terme gentil est libre d'interprétation. Cependant, elle ressents tout de même un peu de fierté. Elle a aidé quelqu'un dans le besoin en plus de faire son devoir de platine soucieuse du bien-être de ses camarades. Et Jade aussi ! Que dire d'elle ? Elle est tout à fait fabuleuse ! Il ne serait pas étonnant qu'elles partagent le même cerveau... Non. Correction, le même super cerveau pro-gouvernemental !

« C’est tout naturel. » Réplique Rebecca en esquissant un léger sourire.

La suite est une parade de confidences, de mots qui s'emboîtent pour former des phrases tellement douces et merveilleuses pour la Platine qu'elle est. C'est comparable à une entraînante mélodie qui l'a subjugue. Les plus fortes utopiques pensées de la brunette concernant l'État ainsi que l'avenir de cette... future Platine ? Elle en a tout l'air en tout cas mais bon, il ne faut rien précipiter non plus. Cette sage demoiselle, cette pauvre petite persécutée par la méchanceté évidente des Plombs mais par chance rescapé à temps, est encore perdue et un peu confuse. Il faut du temps, des jours, des mois et souvent des années pour que certains comprennent que la lumineuse lueur de Gordon les attendait depuis toujours pour éclairer leur chemin vers ce qu'il y a de mieux. À l'intérieur des réflexions les plus profondes de la Platine, c'est la fête. La mince opportunité de voir une nouvelle illuminée est suffisante pour qu'elle soit sur un petit nuage, toutes ces déclarations ont l'effet d'une bombe de joie pure. Pourtant... Cela semble trop beau. Dawson n'est pas du genre à se méfier lorsqu'on lui propose de rejoindre un paradis terrestre où la perfection règne en maître, sinon elle n'aurait pas intégré les rangs du grand Gordon. Ce n'est pas ça, seulement... Elle a discuté avec tellement de Plombs cyniques, de Zincs peu convaincus et d'imbéciles qu'un étrange sentiment s'empare d'elle lorsqu'elle découvre enfin quelqu'un d'aussi pleinement ouvert. On dirait que Nina a dit exactement ce qu'elle voulait entendre... Cependant, cette sage impression s'estompe peu à peu. La paranoïa n'est pas un bon signe de santé mentale et il y a déjà suffisamment de traître au sein de la grande maison américaine. Il serait dommage de suspecter les simples innocents de choses pas nettes. La fusillade laisse derrière elle de la méfiance mais si on ne peut plus compter sur nos vrais patriotes, sur qui pouvons-nous le faire ?

« C’est très touchant que tu te confies à nous de la sorte. Ce n’est pas tout le monde qui a le courage de s’exprimer comme tu le fais, pourtant, c’est une chose essentielle à faire pour bien vivre en société. Enfermer ses émotions, c’est comme se mettre soi-même en cage. Et en ce qui concerne Spencer... »

Rebecca fronce les sourcils à la seule appellation de son prénom.

« Weins prend en charge certains délinquants récidivistes, comme elle. Les plus dissidents finissent chez les Plombs, c'est pour ça qu'il ne faut pas les fréquenter. Ils sont encore à leur stade de délinquance, à l'étape où ils ne veulent que tout renverser et nuire le plus possible seulement parce qu'ils sentent en être capable, ce qui est tout à fait faux bien entendu. Cela est égoïste de leur part mais que veux-tu, ce sont les Plombs. Spencer est surement le meilleur exemple pour représenter ces gens en général. Elle est vulgaire, immature, toxicomane et j'en passe. Les Plombs aiment qu'on entre dans leur délire, qu'on les apprécie ou qu'on les condamne. Peut-être que Spencer a vu en toi quelqu'un qu'elle pouvait facilement enrôler d'une certaine manière. Elle se trompe. Heureusement, tu es plus forte que ça, plus forte qu'elle et ses conneries, ce qui est tout à ton honneur. Ensuite, si elle continue malgré tes sages avertissements, c'est surement parce qu'elle a envie de rendre la vie d'une autre insupportable parce que la sienne est tout à fait misérable. Néanmoins, tu n'as pas à la prendre en pitié, elle ne s'aide pas et cela paraît avec flagrance. Puis, ça me fait mal de lui donner ce genre de crédit mais elle n'est pas tout à fait une Plomb ordinaire. Disons simplement qu'il existe en ce monde de mauvaises personnes par nature. De ce que j'ai vu et ce que tu m'as raconté, elle correspond parfaitement. C'est paradoxal de dire cela mais j'espère me tromper sur son compte. Par contre, rien ne le présage. Tu n'as pas à te sentir blessé par ces propos, elle n'a rien que tu puisses envier et de son côté elle n'a rien qu'elle puisse te reprocher... D'accord ? »

D'un air interrogatif, elle se tourne vers Jade. Si l'histoire se déroulait au sein d'un dessin animé, un grand point d'interrogation apparaîtrait au-dessus de la tête de Rebecca.

« Je pense qu'une retenue alternative sera nécessaire. Jade, te rappelles-tu de ce CD... ? Tu sais, celui que Charlie nous avait donné... Le vieil album qui date du début du siècle avec cette fille... »

Suspens.

« Ah oui je m'en souviens ! Tal ! Ouais, celle-là. As-tu conservé le disque ? Je pense qu'après une écoute intégrale de l'album en faisant des copies, Spencer y repensera à deux fois avant de jouer les méchantes. »

La brunette ricane. La musique n'est aucunement subversive, bourre très bien les crânes et est idéal pour faire pleurer le plus grand des cyniques. Bref, c'est l'arme parfaite contre les Plombs ! Il y a-t-il une activité plus exaltante que de cracher sur les Plombs et de comploter des sales coups avec Jade ? Mis à part coller des affiches pro-Gordon, ça reste le summum. Sinon, faire l'amour à Cookie ? Ah non, mais ça c'est une autre histoire... La Platine reprend le sourire et se retourne à nouveau vers la Zinc.

« James, Jade et moi-même et tous les autres Platines sont là pour t'aider. Si tu as encore des problèmes avec Spencer ou les Plombs, tu n'as qu'à nous tenir au courant et on fera quelques interventions, question de ramener ces gens à l'ordre. L'académie Weins s'occupe de tout ! »

L'idée de maintenir l'ordre provoque de légers frissons d'excitation à la Platine. Il ne faut pas chercher à comprendre Rebecca Dawson, à moins de vouloir farcir son cerveau de mille et une platineries.

« Je suis certaine que Gordon serait déjà extrêmement fier de toi s'il te voyait en ce moment. »

Des larmes ont coulé sur les joues de la petite Nina. La Platine a espoir que ceux-ci se sécheront au son des divines paroles gouvernementales... Ce sont des sottises, en fait !? C'est Nina, c'est assuré que la Vérité la réconfortera ! Saint-Gordon veille sur elle désormais ! Ce n'est peut-être pas une Platine, toutefois, entrer dans la grâce de ceux-ci peut s'avérer être la clé pour ouvrir de nombreuses portes, dont celle de la bénite voie gordonienne ! Ensuite, les histoires de garçon à gogo viennent au menu de l'instant pour les trois jeunes filles. Étrangement, Dawson a rarement eu ce type de conversation depuis longtemps. On se demande pourquoi... Elle hoche la tête en signe d'approbation, pour répondre à sa précédente question. Bien sûr que Rebecca va venir en aide à la mignonne Nina, quelle question !

« Brandon je suppose ? Je m'excuse de le dévoiler aussi ouvertement devant Jade, qui n'était peut-être pas au courant de cette histoire et que ça semble te gêner... Toutefois, je pense que ça va l'aider à t'aider. »

Rebecca se rappelle de Brandon, le prétendant de la douce (sadique ?) Nina. Il était tout près de la Zinc avant la fusillade.

« Comment lui en vouloir ? Une personne aussi charmante que toi doit conquérir bien des coeurs. »

Ou en arracher, au choix.

« D'abord, je te conseille de ne pas lui mentir. Ne sort pas avec lui si tu n'en as pas l'envie. Donner de faux espoirs, c'est cruel et ça le mettra en rogne ensuite. Je pense que tu devrais lui dire gentiment, tout bêtement. Tu as surement déjà connaissance de ce conseil mais je ne m'y connais pas réellement en ce qui concerne les hommes et ce n'est pas un secret je crois. »

Planter une fourchette à l'un et écrire Gordon, armé d'un couteau, au visage de l'autre... C'est ça, une connaissance approfondie de la psychologie masculine...

« Je pense que mon amie ici présente saura mieux te renseigner... »

Elle regarde Jade avec un léger sourire. Rebecca a toujours pensé que sa compagne était celle qui avait le plus d'admirateur au masculin. Dawson ne la considère pas comme étant une dévergondée, au contraire ! Jade est seulement très attirante, belle et charmante, voilà tout.

Des gens étaient blessés. Vraiment profondément. Du sang avait été versé, des vies sacrifiées, par des êtres rongés par la haine et la rage, par l’intolérance et la fureur. Et si les dégâts matériels commençaient déjà à s’estomper, les mémoires, elles n’oublieraient pas. Le souvenir demeurerait toujours présent, et les blessures les plus invisibles seraient aussi les plus longues à cicatriser. Nina en était un parfait exemple. Elle avait été touchée dans sa chair et aussi dans son âme, cela se voyait. Elle était perdue, en colère. La haine, brûlante, brutale, envahissante, je l’avais connue et je savais à quel point elle pouvait s’avérer destructrice. Nina ne devait pas sombrer et laisser la vague déferler sur elle comme je l’avais fait presque cinq ans plus tôt. Je me refusais de la laisser se débattre seule avec ses démons car nous n’étions jamais assez fort, abandonnés de tous. L’avantage pour Nina, c’est qu’elle avait encore un catalyseur, quelque chose pour se souvenir de qui elle était et se vider de sa colère.

« C’est bien d’avoir le tir-à-l’arc. Je sais que la course m’aide énormément aussi. Quand ça ne va pas ou que je suis en colère, je vais courir pour faire le vide. Mais on sait bien que parfois, ça ne suffit pas. Parfois ça nous ronge, ça nous brûle et on se détruit. On en veut pas qu’il t’arrive ça, donc surtout, tu ne dois pas hésiter à venir nous en parler, d’accord. On ne va pas te tourner le dos. »

J’eus pour elle un regard bienveillant. On m’avait tourné le dos, abandonnée, et cela avait précipité ma chute. Certes, cela avait aussi été ma chance, la raison pour laquelle j’avais intégré l’Académie, mais tout de même. Je craignais de surcroit que sa bonté l’empêche d’ériger les barrières nécessaires à sa survie. Bien évidemment, elle était ici à la maison, elle était entourée d’êtres qui, comme Rebecca et moi, ne voudraient que son bien. Mais la colère était nécessaire à condition d’être dosée. Afin de ne pas pardonner trop facilement à des êtres qui en profiteraient pour vous trahir. Afin de ne pas être aveugle sur la fourberie de certains. Je posai une main sur son épaule quand elle nous remercia, ne trouvant rien à lui répondre. Cela me semblait tellement normal, tellement naturel. Quelqu’un avait besoin d’aide, nous devions répondre présent, c’était ce qui faisait de nous des êtres humains. C’était cela la famille. Et les Platines en étaient une. Et contrairement à cette étrange légende obscure, nous n’étions pas renfermées sur nous-mêmes. Accueillir Nina en notre sein serait une véritable source de réjouissance. Et même si elle demeurait Zinc, nous ne la laisserions pas tomber.

Elle semblait comprendre, saisir ce que nous voulions lui dire. L’espoir, enfin, un peu d’espoir venait d’entrer dans son cœur et ses pensées. J’étais heureuse d’y avoir contribué. Et tellement en colère de savoir qu’il y avait des Plombs qui œuvraient encore pour tout détruire. Mais vraiment ! Ils n’avaient tiré aucune leçon de ce qui s’était passé ? Et cette Spencer, là… Je ne la connaissais que de nom mais il faudrait que je me renseigne sur elle. Une Plomb qui se permettait de dire du mal de Gordon, de faire du mal à une élève et en plus de vouloir en entrainer d’autres dans sa déchéance. Cela me dégoutait, me révulsait. Heureusement que James était intervenu. On pouvait toujours compter sur lui. Il faudrait que je voie avec lui et les autres Platines s’il n’y avait pas quelque chose à faire pour empêcher la prospection de certains esprits dissidents. Je jetai déjà un regard à Rebecca. Il fallait absolument qu’on fasse quelque chose, qu’on les punisse. Certes pas méchamment, je refusais de m’abaisser à leur niveau. Mais qu’on leur fasse comprendre que nous n’accepterions pas qu’ils fassent du mal aux autres et qu’ils méprisent à ce point ceux qui œuvraient dans notre intérêt.

« Oui, nous serions fières, mais l’important c’est que tu sois fière de toi. Vraiment. Je connais mal cette Spencer, mais c’est bien de pouvoir mettre des noms sur ceux qui veulent détruire tout ce qu’on tente de construire et qui s’amusent à faire du mal aux gens. SI elle recommence, parles-en à James, Reb, ou moi, d’accord ? »

Sa larme me serra le cœur. Jamais je ne laisserai des êtres forger un esprit destructeur de rébellion au sein de notre école. Je serai mille fois plus vigilante à présent. Alors que mon esprit s’échappait déjà vers les hautes sphères pour trouver le meilleur moyen de repérer les traitres et les mauvaises herbes afin de mieux les neutraliser, la voix de Rebecca me ramena sur terre. Elle avait l’air de bien connaitre Spencer et le portrait qu’elle en brossait ne me plut pas du tout. En plus… vulgaire, immature, toxicomane… je l’avais été. Et je maudissais cette part de moi. Si je pouvais la tuer et l’enterrer, voilà longtemps que cela aurait été fait. Mais Rebecca paraissait avoir une autre idée derrière la tête. Une retenue alternative ? Qu’entendait-elle par là ? Le CD ? Quel… ? Oh mais oui !

« Ah, oui, ce truc infernal ! Même qu’on a dû chercher les paroles et que même avec la traduction ça ne voulait rien dire… »

Mais quel était ce nom ? Tel ? Tam ? Pam ? Ah oui, Tal ! Une horreur. Un très vieil album en français, immonde. Il n’y avait vraiment que New-York et l’Amérique pour faire des merveilles. Et… est-ce que je suivais bien son merveilleux cerveau ? Elle pensait vraiment venger Nina en forçant Spencer à écouter cette horreur ? En réalité, c’était plutôt malin. On ne s’abaisserait pas à la violence et cela lui permettrait de comprendre qu’on était au courant et qu’on ne laisserait plus passer une telle attitude.

« Je l’ai encore et je pense que tu as raison. Je pense même que… Spencer ne serait pas la seule à mériter une piqûre de rappel. Il serait bon de rappeler à certain que le toi qu’ils ont au-dessus de la tête, la nourriture dans leur ventre et les vêtements sur leurs dos, ils ne le doivent qu’à cet homme qu’il dénigre. »

Ils avaient tendance à l’oublier, qu’ils mordaient la main qui les nourrissait. C’était un peu facile ça. Il faudrait les rappeler à l’ordre… Et je ne doutais guère que Rebecca m’aiderait. Alors que mon cerveau élaborait déjà quelques plans que ma comparse complèterait avec talent, une supplique de Nina me ramena au temps présent. Et quelle rougeur sur ses joues ! Pourquoi rougir ? Oh… un garçon. J’aurais dû me douter de la rougeur de la femme pudique. Elle était décidemment gentille et douce. Elle ne voulait pas faire de mal et j’admirais ces gens-là. Brandon ? Oh… Brandon en pinçait pour Nina ? Après tout, cela se comprenait, Nina était jolie, et douce apparemment. Rebecca fut de nouveau de bon conseil. Sa parole était d’or ! Quoi ? Moi ? Pourquoi serais-je plus à même d’aider Nina à éconduire son prétendant ? Certes Reb n’était pas intéressée par les hommes, mais de nous deux, c’était elle qui vivait une vraie histoire. Peut-être que c’était pour cela, parce que moi je ne vivais pas d’histoires… Bon ceci dit, avec Victorian qui me faisait du gringue pour intégrer notre famille Platine, je commençais effectivement à avoir un peu d’expérience pour repousser élégamment les hommes.

« Rebecca a raison, il ne faut pas lui laisser de faux espoirs. »

Bon, d’accord, ce n’était pas du tout cette doctrine que j’appliquais à mes échanges avec Victorian mais ce n’était pas pareil. Je savais bien qu’il ne me tournait autour que pour une chose bien précise et non pour mes beaux yeux. Donc si je le faisais un peu tourner en bourrique, c’était de bonne guerre.

« Dis-lui simplement que tu es touchée de l’intérêt qu’il te porte mais que tu ne partages pas ses sentiments. Ne rentre pas dans les détails et surtout ne lui sors pas de formules comme « je te considère comme un ami ou un petit frère ». Ça fait plus de mal qu’autre chose. Donc explique-lui que tu es touchée de ses sentiments, mais que tu ne les ressens pas. Il s’est déjà déclaré ? Il n’a pas été… trop pressant envers toi ? »

Parce que parfois, ils faisaient cela, ils n’entendaient pas qu’un non voulait dire non. Et là, il allait de soi que j’irai mettre les points sur les i. ça lui ferait du bien à ce zinc de se rappeler sa place grâce à une Platine.

« Je pense qu’il faut que tu lui parles seule, mais il est évident qu’on ne va pas te laisser, si tu te sens rassurée qu’on soit là, je pourrais t’accompagner. Tu as peur qu’il soit blessé ou qu’il te rejette ? Econduit, il mettra peut-être un peu de distance. C’est dur de maintenir une amitié quand les sentiments ne sont pas sur un pied d’égalité. Donc j’insiste, parle-lui seule sauf si tu en as peur, ou que tu te sentirais mieux avec nous. Il faut te ménager, penser un peu à toi après ce qu’il s’est passé. Pareil pour le tir à l’arc. Tu as envie d’y aller, c’est une très bonne chose, mais si tu ne veux pas être seule, il suffit de le dire. Veux-tu marcher un peu ? Ou parler de choses plus heureuses, ça te fera du bien. »

Et des choses heureuses, il devait bien en avoir. Un championnat de tir ? De la famille ? Une telle solitude et tristesse ici, à l’académie, je ne pouvais le concevoir.

« C’est bien d’avoir le tir-à-l’arc. Je sais que la course m’aide énormément aussi. Quand ça ne va pas ou que je suis en colère, je vais courir pour faire le vide. Mais on sait bien que parfois, ça ne suffit pas. Parfois ça nous ronge, ça nous brûle et on se détruit. On en veut pas qu’il t’arrive ça, donc surtout, tu ne dois pas hésiter à venir nous en parler, d’accord. On ne va pas te tourner le dos. »

Nine retint un froncement de sourcils en entendant Jade parler. Tiens donc... elles n'étaient peut-être pas si différentes que ça ? Le tir-à-l’arc détendait Nine et effectivement, lorsqu'elle avait envie de tuer sa sœur de façon trop évidente, elle se défoulait en tirant sur une cible. La sensation de l'arc qui se tend, de la corde qui lâche et de la flèche qui se plante en plein centre remplissait Nine d'une sérénité qu’elle n'aurait jamais pensé trouver autrement qu'en arrachant le cœur de H.. Elle n'aurait jamais pensé qu'une Platine du genre de Jade puisse avoir les mêmes sensations qu'elle... Intéressant, dis donc... Peut-être que Jade n'était pas aussi inintéressante que ça ? Nine se demanda pendant un cours instant si Jade tuait elle-aussi de petits animaux lorsqu'elle avait des envies de meurtre qu'elle ne pouvait pas satisfaire de peur d'être découverte. Et puis Nine se rappela que Jade était une Platine et qu'elle vomissait des papillons : elle ne connaissait sûrement pas le meurtre et l’addiction qu'il créait. Elle ne pouvait pas comprendre le joie que procurait les yeux vides d'un cadavre ou le sang rouge coulant hors de la bouche du torturé. Non, Jade Thomas était une Platine et elle ne comprendrait sûrement jamais ce que ressentirait Nine lorsqu'elle tuerait sa sœur. Dommage, Nine aurait adoré partager cette sensation avec quelqu'un d'autre qu'elle-même...

« C’est très touchant que tu te confies à nous de la sorte. Ce n’est pas tout le monde qui a le courage de s’exprimer comme tu le fais, pourtant, c’est une chose essentielle à faire pour bien vivre en société. Enfermer ses émotions, c’est comme se mettre soi-même en cage. Et en ce qui concerne Spencer... »

Nine hocha la tête en reniflant et écouta Rebecca blablater sur les Plombs. La Zinc n'en avait rien à faire de ces castes et des histoires de politique mais il est vrai qu'elle ne supportait pas les Plombs. Ils avaient une espèce d'arrogance ou de pitié dans le regard qu'elle en supportait pas. Elle ne supportait pas qu'on la sous-estime ou qu'on la qualifie d'idiote sous prétexte qu'elle ne suivait pas le même chemin qu'eux. Nine, ennemie de l'intolérance ? Peut-être bien, mais seulement à sens unique dans ce cas ! Les Plombs n'avaient pas le droit de se sentir supérieurs aux autres étudiants car ils ne l'étaient pas ! Ils n'étaient jamais qu'un ramassis de crétins incapables de regarder en face d'eux et surtout incapables de se remettre en question ! A force de trop s'écouter parler, ils avaient fini par croire aux conneries qu'ils débitaient pour se donner un genre. Les Plombs n'étaient que des idiots qui se sentaient vivants et importants lorsqu'ils rabaissaient ou harcelaient les autres. Ils n'avaient pas le droit de se sentir autrement que minables et inutiles ! Les Zincs et les Platines étaient largement supérieurs à ce ramassis de minables et ils n'avaient aucune raison de supporter les railleries du groupe dominé ! Il faudrait éradiquer ce groupe de sous-merdes et montrer au monde entier qu'à héberger des idiots pareils, on finissait par se mettre en danger !
Nine secoua la tête, comme pour évacuer une pensée trop tenace. Mais que venait-elle de penser ? Depuis quand haïssait-elle quelqu'un d'autre que H. ? Depuis qu'elle était à l'Académie, Nine avait l'impression de perdre son objectif de vue et d'en trouver un autre à la place et ça ne lui plaisait pas du tout ! Elle voulait buter H., pas les Plombs ! Quoique si elle pouvait faire une pierre deux coups, elle ne serait pas contre... Néanmoins, cette facilité à perdre son objectif principal de vue embêtait Nine et elle se demandait bien d'où tout ce merdier pouvait venir. Il est vrai que les cours étaient ennuyants et qu'on rabâchait généralement toujours la même chose mais ce n'était pas une raison pour rejoindre les idées des Platines ! L'Académie Weins l'avait accueillie sans poser de question et lui avait offert un logement et de la nourriture et il était donc normal que Nine fasse quelques efforts pour remercier l'académie de... non mais attendez... normal... Depuis quand Nine était-elle normale ? Depuis quand la morale, le respect et tout le merdier allant avec la concernait ? Comment se faisait-il qu'elle ne capte que maintenant qu'elle était en train de s'embourber dans un chemin qui ne l'intéressait pas ?! Il était sérieusement temps de se reprendre en main ou elle allait finir comme l'autre débile de Dawson et ça c'était absolument hors de question ! Plutôt mourir que de devenir une Rebecca-numéro-2 !

« Ah oui je m'en souviens ! Tal ! Ouais, celle-là. As-tu conservé le disque ? Je pense qu'après une écoute intégrale de l'album en faisant des copies, Spencer y repensera à deux fois avant de jouer les méchantes. »

Eh ? De quoi est-ce qu'elle parlait ? Et l'autre, la Jade, de répliquer que même Spencer ne pourrait pas résister à la chose. Boarf, sûrement une blague de Platine... Nine laissa donc les deux acolytes ricaner de leurs conneries et une fois qu'elles eurent fini de s'amuser pour rien, elles écoutèrent la Zinc parler amour. Nine parler d'amour. Ha que la chose était amusante ! S'il y avait bien une personne sur cette planète qui ne rêvait pas d'amour, n'espérait pas rencontrer le prince charmant, même secrètement, ou qui ne comprenait même pas comment on l'écrivait, ce mot amour, c'était bien Nine. Elle écouta donc les Platines en mimant un air intéressé alors qu'elle n'en avait rien à faire. Elle écouta Jade lui dire qu'il fallait qu'elle soit délicate avec l'autre débile de Brandon et elle se força à prendre note du conseil : si elle ne voulait pas qu'on se doute de sa véritable identité, elle avait intérêt à suivre les conseils de la Platine. Elle irait donc voir Brandon pour lui dire qu'il ne l'intéressait pas et qu'il pouvait crever dans les plus brefs délais. Bon évidement elle tournerait ça de façon plus humainement convenable mais le garçon comprendrait rapidement qu'il pouvait crever pour sortir avec elle. Elle avait déjà assez de mal à garder son caractère fictif en public alors si en plus elle devait le conserver en privé avec l'autre débile de Brandon, les petits animaux n'allaient plus suffire à la satisfaire ! Et puis elle n'avait pas envie de s'encombrer avec ce détritus !

« Merci pour vos conseils, je les appliquerai avec attention ! »

Nine hocha la tête et tenta un petit sourire timide avant de prendre la fuite :

« Merci pour ta proposition Jade mais je crois que je vais plutôt aller me vider la tête au club de tir-à-l’arc et ensuite j'irais voir Brandon pour mettre les choses au clair. Ça fait trop longtemps que ça dure et il est temps que je reprenne ma vie en main ! »

Nine sourit aux deux Platines et, juste avant de se mettre en marche, dit :

« Heureusement qu'il y a des personnes comme vous ! Merci pour tout ! »

Et Nine disparut du champs de vision des deux Platines. Prochain objectif ? Exterminer le plus de cible et tuer des petits animaux si elle en sentait le besoin. Parler avec ces deux idiotes lui avait retourné le ventre et il fallait qu'elle passe ses nerfs sur quelque chose à défaut de quelqu'un. Saleté de Platines.

Jade explique bien. Dû moins, Rebecca suppose qu'elle sait de quoi elle parle, parce que tous comme Nine ne comprends rien à l'amour, la brunette n'a jamais été douée avec les garçons au sujet de l'Amour avec un grand A. Bien sûr, dans ce cas présent, la Platine pense surement être la seule à se demander : « Un mec ? Comment ça fonctionne au juste ? ». Mais non, elle n'est pas la seule. Puis, elle écoute attentivement Jade. Le problème c'est que quelques heures plus tard, elle aura probablement déjà oubliée ces précieux conseils. Ou pas. Théoriquement, Thomas discute d'amour alors qu'aucune fille ici présente saura prête à prendre en compte ses avis ou l'écouter sincèrement. Bref, c'est le vide. Pauvre petite. Ce n'est pas de la faute à Dawson non plus, même avec les filles, elle n'est pas douée. Cookie est déjà suffisamment imprévisible et difficile à suivre parfois, elle ne va pas se faire exploser la cervelle a essayé de comprendre l'ensemble de la gentes féminine sur un sujet si sensible, chose qui a rendu fou plus d'un garçon. Néanmoins, Rebecca n'est pas impolie pour autant, elle écoute sa compagne Platine...

Les conseils semblent avoir été pertinents et Nina avait l'air ravi de les recevoir. Rebecca prend en note de demander à Jade lorsqu'une situation délicate se présente à elle. Si c'est bon pour la Zinc, ça devrait fonctionner pour elle. Ou peut-être pas, en tout cas cette conversation est terminée. Plus de Brandon ou autre. Youhou ! Pas qu'elle n'apprécie pas Brandon, mais les garçons, ce n'est pas sa tasse de thé. Bref, Nina part, joyeuse et prête à affronter ses problèmes. C'est un joli spectacle à voir, surtout pour une Platine. Voir une académicienne suivre tranquillement la bonne voie et d'en être heureuse en plus, il n'y a pas dénouement plus merveilleux pour un adepte de Gordon. Elle sourit à la Zinc en lui disant au revoir de la main. Elle s'en va au loin. Sa bonne action de la journée est faite.
« Que c'est agréable de venir en aide aux gens, ne trouves-tu pas ? » Dit-elle d'une voix légère et joyeuse. « Cependant, nous avons d'autres projets en réserve, non ? » Rebecca se lève du banc, la posture droite et la tête haute. « Allez, la journée n'est pas terminée et il reste tant de choses à faire ! » Toujours fine prête à partir à une aventure bien « platinesque » celle-là... Aujourd'hui, il fait beau dehors, les oiseaux chantent, les gens rient. Tout est si harmonieux. La Platine prend note que, s'il existait un paradis créer par Gordon lui-même, (elle espère intérieurement que ce paradis existe) des jardins de la sorte soient plantés un peu partout. Ironiquement, un lieu d'une telle paix abrite une âme chaotique, celle de la dangereuse Nine Werthem. Un chaos silencieux et bien caché, que les deux jeunes filles n'ont pas sues voir. En même temps, il est plus prudent de fermer les yeux dans ce cas précis...