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J'irai cracher sur vos tombes - Terminé
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MessageSujet: J'irai cracher sur vos tombes - Terminé J'irai cracher sur vos tombes - Terminé Icon_minitime1Mar 5 Nov - 22:51

Un peu de silence, un peu d´air, juste un temps d´arrêt sans lumière
Rien que la nuit pour envelopper un goût amer
Je ne vois que du noir, je ne vois que de l´effroi
Je crois qu´il se fait tard, je ne suis plus sûr de moi
Je sais très bien que rien ne changera


" I need a hotstuff baby to save me, I need a hotstuff baby tonight. I need a hotstuff, baby to save meeee "

Noyée sous un jet d'eau brûlante, Luka esquisse un sourire intime à l'écho des hurlements que brame Jack dans la pièce leur faisant office de cuisine, juste en dessous des sanitaires de l'ancienne entreprise. La capacité de cet homme à faire preuve de légéreté dans les moments les plus graves est à la fois admirable, et tout à fait désarmante. Après une friction rapide, la jeune femme sort de la cabine aussi vite qu'elle y est entrée, la cascade de ses cheveux détrempés ruisselant tout le long de son menu corps. Elle n'aimait déjà pas s'attarder sous la douche, depuis qu'elle a entendu Manek se faire emmener pendant l'une d'elles mais maintenant, c'est à peine si elle prend le temps d'enlever tout le shampoing. Il lui arrive d'entendre des hurlements imaginaires, dans les moments de fatigue les plus intenses.

Elle se frictionne avec une serviette de fortune, saute dans un jean et passe une chemise noire en vitesse. C'est ce qu'elle aura trouvé de mieux pour marier tenue de circonstances et boulot ingrat. En redescendant vers les étages inférieurs, une délicieuse odeur de café chaud lui fait monter le sourire aux lèvres et c'est fringante, affairée à essorer sa tignasse, qu'elle pénètre le petit garde manger, cherchant d'un oeil brillant l'origine de cette douce flagrance, à laquelle elle parvient à peine à croire.

" Tu en as ramené ?
- Ah, Luka... Contentée par six minutes de douche et un peu de café soluble. Tu es vraiment la femme parfaite. "

Ils échangent un rire bref, et mademoiselle s'installe derrière une petite table pour se faire servir le doux brevage. Prenant son temps, elle observe son rituel des meilleurs jours et saisit la tasse entre ses paumes pour humer les vapeurs qui s'en échappent avec délice. Il faut dire qu'à trois heures dix huit du matin, un peu d'énergie liquide est la bienvenue, surtout vu le programme qui les attend. Ensommeillés, ses yeux observent Jack qui s'affaire à lui sortir des fruits en conserve et quelques biscottes, puis sur des choses moins mobiles, pour enfin échouer sur la carcasse métallique d'un revolver posé dans le coin d'une étagère. Dans une grimace désapprobatrice, Luka baisse le regard sur son assiette.

" On va faire une cérémonie funèbre dans les égouts, tu crois que le flingue est bien nécessaire ?
- On est jamais trop prudent.
- Tu parles... L'attachement que tu portes à ce truc est parfaitement irrationnel.
- Dit celle qui ne peut pas regarder une arme sans avoir un haut le coeur. "

Accusant une oeillade noire, Jack sort de la pièce éviter une dispute interminable, un haussement d'épaules pour toute excuse, laissant Luka soupirer seule de mécontentement. Après quelques secondes, elle entend le jet de douche résonner à nouveau et mâchonne sa biscotte avec toute la ferveur des contrariés, histoire de ne pas penser à cette doucâtre inquiétude lui prenant le corps, derrière son apparente colère.

Qui m´avait promis le respect?
Qui m´a vendu un monde sans peine?
Qui m´a tant répété "Pas de violence, plus de haine"?
Cette douce petite voix qui disait "Ne t´en fais pas"
Comme une douce petite voix qui pensait, pensait pour moi
Qui m´a tant répété "Ne bouge pas"

Ils s'attendaient à ce qu'une chose pareille leur arrive un jour et ils s'attendaient à ce que plus rien ne soit jamais pareil après. Mais peut être pas à ce point là. Peut être pas à en venir à remettre en question tout ce qu'ils avaient entrepris jusque là, ou encore à devoir couvrir les silences par des plaisanteries badines. Ils en ont vu d'autres. Ils en ont vu, des morts. Ils en ont vu, du sang. Ils en ont vu, de l'injustice, à vous faire perdre toute foi en l'humanité. Mais jamais, jamais, ils ne s'étaient senti eux-même coupables de meurtre et d'injustice. Jamais leur cause ne leur avait paru aussi vide de sens, jamais ils n'en étaient venus à se penser aussi mauvais que les bourreaux condamnés par leurs inépuisables discours.
Depuis ce fameux massacre, les cartons s'emballent, lentement, autour de leurs cadavres. Jack ne quitte plus son flingue, et Luka n'ose plus rien lui dire. Que valent les discours pacifiques quand on a soi-même convaincu des gens, de jeunes gens, de travailler à notre cause pour mourir ensuite dans une tuerie ? Oui, ils étaient conscients des risques. Mais non, elle n'a pas l'impression de les avoir assez protégés. Et plus que leur foi en l'humanité, c'est la confiance en leur propre cause qui manque cruellement, désormais, à Luka et Jack. Etouffée dans les silences et les plaisanteries badines. Et le temps qu'elle ne passe pas à se flageller, la jeune femme le prend à faire un nouveau deuil de sa propre existence. Le QG doit être déserté. Elle ne sait même pas où elle va pouvoir aller. Le Temps semble effilocher, une à une, toutes les portes qu'elle pouvait avoir.

Il a si peur, il est tapi dans le noir, il tremble comme une feuille
J´ai lu dans son regard tout à la fois la terreur
La fuite et puis le deuil
Celui qu´on méprise pour ce qu´il n´est pas
Comment, comment s´en remettre, mon cœur?


Jack lavé, ils enfilent tous les deux de grosses parkas pour contrer le froid nocturne puis, chacun un sac contenant quelques affaires sur l'épaule et une pelle dans la main, se glissent hors du quartier général pour traverser une ruelle déserte. Laissant l'homme prendre les devants, Luka surveille les alentours pendant qu'il soulève une épaisse plaque d'égout et s'y engoufre, la réceptionnant une fois en bas. Elle entend un bruit d'eau stagnante quand ses bottes touchent le sol, et le son de la plaque refermée, scellant leur parcourt. L'odeur y est suffocante et l'obscurité extrême, mais c'est seulement après quelques mètres d'avancée à tâtons qu'ils s'autorisent tous deux à allumer leurs lampes. De là, ils s'enfoncent à l'intérieur des épaisses canalisations, dans un chemin qu'ils connaissent l'un et l'autre par coeur. Après d'interminables minutes, dont le silence est uniquement brisé par le son de leurs pas sur l'eau que leurs pieds foulent, ils atteignent une nouvelle plaque. Jack se hisse à l'extérieur et l'aide à s'extirper sans trop de mal. Entrée refermée, ils lèvent tous les deux les yeux sur les contours d'une église.

" Tu me rappelles pourquoi tu as tenu à une cérémonie religieuse, alors que tu n'es même pas catholique ?
- Hélène l'était. Et tu l'es aussi.
- Qu'est ce que ça a à voir avec moi ?
- Tout, Jack. Allez, dépêchons-nous " elle ajoute après un regard à son adresse. " Ezéchiel se lève dans deux heures et je ne veux pas lui infliger ça. "

Ils franchissement prudemment la distance les séparant du parvis de l'église et s'engouffrent dans l'ouverture laissée là pour leur permettre d'accéder à l'intérieur. Traversant le bâtiment par le centre, trop concentrés à leur future tâche pour s'arrêter encore sur son symbolisme,  ils arrivent à une deuxième porte, menant à un épais escalier en pierre.

" On a mis le corps ici en attendant. " marmonne Jack, sans attendre de réponse. Tous deux descendent les marches scabreuses une à une et s'emparent du cadavre sans trop vouloir songer à ce qu'ils font, pour le remonter et poursuivre leur route avec lui.

Ressortant par là où ils sont entrés, ils contournent le bâtiment pour s'engouffrer dans le petit cimetière qui en borde la façade arrière, le corps dans les bras. Même morte, Hélène reste terriblement légère. Elle ne pesait que trente six kilos, le jour de son décès, amaigrie par le cancer, malgré ses tentatives pour retrouver un peu d'appétit. Trop douloureux, disait-elle. Les jambes enveloppée dans un drap de fortune calées contre sa hanche, Luka repense à tous ces substituts de dîner, aux plaisanteries lancées sur leurs poids respectifs, de cet art qu'ils ont tous appris de dédramatiser la mort. La tête ailleurs, elle avale le chemin sans mot dire et s'arrête enfin au milieu des tombes. Là, ils repèrent un interstice plus épais que les autres entre deux et concluent à l'emplacement désigné pour le corps. Alors ils le déposent tendrement, enfilent une paire de gants en cuir et empoignent leurs pelles de deux mains bien décidées. Il est quatre heures quand Luka et Jack commencent à creuser la fosse.

A six heures et demie, le soleil n'est toujours pas levé. Ils peuvent entendre quelques bruits depuis l'intérieur de l'église. Luka pince les lèvres, enfonçant sa pelle dans la terre humide avec d'avantage d'ardeur, malgré ses muscles ankylosés par le froid et l'effort. Ils ont presque terminé, mais la pluie neigeuse de ces derniers jours a rendu le sol sensiblement plus lourd et la tâche est herculéenne. La jeune femme ne sent plus son corps, plus rien sinon les morceaux de terre que plaquent les gouttes de sueur sur son visage. Chaque fois qu'elle s'arrête, il lui semble que ses mains gêlent pour mieux cuire  à nouveau ensuite. Après quelques minutes encore, quand l'oeuvre leur semble correcte, elle se hisse douloureusement, avec l'aide de Jack, hors du trou pour admirer leur travail. Ce n'est pas un travail d'artiste, mais ça devra bien suffire. Saisissant le corps dans ses bras, elle le fait descendre vers son compagnon pour qu'il le dépose dans la tombe puis l'aide à sortir. Tous deux s'effondrent presque instantanément ensuite, assis sur les bords de la fosse, dans un soupir de soulagement.

Le crépitement d'une pierre puis le grésillement de quelques feuilles sèches allumées par une flamme crépite dans l'air. Fermant les yeux, Luka expire les vapeurs âcres du canabis dans l'air et laisse la substance entamer de faire son office dans les rigoles de son cortex. l'une des dernières volontés d'Hélène, honorée sans la moindre sensation de contrainte. Le THC faisant partie des moyens qu'elle avait pour se donner faim, ils ont tous trois écumé quantité d'herbe joyeuse dans la petite pièce qui faisait office de chambre à la mourante, et une dernier élan d'humour à conduit la défunte à exiger qu'on vienne allumer un joint sur sa scépulture. " Heureusement que tu n'es pas végétarienne " a marmonné Jack. " J'ai horreur du tofu. " Quant à savoir à quel moment de sa vie il peut bien avoir eu l'occasion de goûter du tofu, ma foi...

La petite douceur passe d'une main à l'autre, dans un silence qui commence à se faire plus endeuillé que les précédents. Du coin de l'oeil, Luka voit le visage de Jack entamer de s'assombrir et elle acquiesce son initiative, en son for intérieur, de le faire venir ici pour qu'il y dépose ses peines. Ou, au moins, qu'il commence à la regarder avec d'avantage d'indulgence.

" Tu te souviens la première fois qu'on a eu un blessé grave ? "murmure t'il après un temps, les yeux rivés sur le corps. " Tu as manqué de t'évanouir.
- Tu ne faisais pas le fier non plus, gros malin. " Emma, c'est normal que ça saigne aussi fort  ? T'es sûre, hein ? Vraiment ? Non parce que c'est pas la peine de le soigner si c'est pour qu'il pisse le sang encore plus qu'avant. " " Un rire, bref, silencieux et mutuel. Puis un silence, à nouveau. Hésitante, Luka ajoute enfin, du bout des lèvres. " Tu crois qu'on va s'en sortir ?
- Non. " Il inspire et expire l'épaisse fumée, pour lui passer la main, dans un léger sourire. " Mais d'ici là, on aura bien bossé. " crache t'il dans les vapeurs. " Bonjour, mon père. "

Surprise, Luka se relève, époussetant son jean du bout de la paume, arc réflexe inutile quand on voit les monceaux de terre enfoncés jusque dans ses cheveux, pour le saluer d'un sourire calme, ne démordant pas de sa paisibilité malgré ses propres doutes, quelque peu attendrie de revoir un visage si familier, après des semaines à se terrer dans sa chambre. Et puis, elle ne sait pas très bien comment ils auraient fait sans lui. Avant, c'était facile, il suffisait de retourner le corps des éventuels et malheureux défunts à leur famille, pour qu'elle se charge de l'enterrement. Mais Hélène n'avait pas de famille. Et quand bien même, il aurait été inenvisageable de faire un tel trajet en l'état actuel des choses.

" On ne vous en propose pas ? " ajoute Jack dans un sourire espiègle, désignant le joint d'un signe de tête.

Fini le silence, un peu d´air, juste un temps de mise en lumière
Pour que la nuit ne cache plus ce goût amer
À chaque mot une phrase, pour chaque phrase un vers
Je ne me tairai plus, je ne laisserai plus faire
Oubliée la petite voix délétère

* Debout sur le zinc

Clandestins
Ezéchiel Stone
Ezéchiel Stone
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AVATAR : Paul Bettany

DC : Caleb Reed

DISPONIBILITÉ RP :
  • Disponible


COMMENTAIRES : La marche des vertueux est semée d’obstacles qui sont les entreprises égoïstes que fait sans fin, surgir l’œuvre du malin. Béni soit-il l’homme de bonne volonté qui, au nom de la charité se fait le berger des faibles qu’il guide dans la vallée d’ombre de la mort et des larmes, car il est le gardien de son frère et la providence des enfants égarés. J’abattrai alors le bras d’une terrible colère, d’une vengeance furieuse et effrayante sur les hordes impies qui pourchassent et réduisent à néant les brebis de Dieu. Et tu connaîtras pourquoi mon nom est l’éternel quand sur toi, s’abattra la vengeance du Tout-Puissant !

Ézéchiel 25, verset 10.
MESSAGES : 45

Date d'inscription : 03/09/2013


MessageSujet: Re: J'irai cracher sur vos tombes - Terminé J'irai cracher sur vos tombes - Terminé Icon_minitime1Mer 6 Nov - 0:47

J'irai cracher sur vos tombes - Terminé Tumblr_munvlhrVFm1so97qzo1_500


Baby i've been here before
I've seen this room and i've walked this floor
I used to live alone before i knew you
I've seen your flag on the marble arch
But love is not a victory march
It's a cold and it's a broken hallelujah

Ézéchiel considéra le joint de Jack d'un air amusé, et refusa poliment. Il en avait fini avec les drogues depuis longtemps, depuis qu'il avait failli devenir un légume dans cet hôpital psychiatrique sordide, et il ne tenait pas à prendre le moindre risque. Il savait pertinemment les ravages que cela pouvait causer à un esprit sain, et il était loin d'atteindre ces critères. Il dévisagea rapidement Luka et Jack, et les salua respectueusement. Ils étaient crottés de la tête aux pieds, exténués par l'effort fourni, mais c'était bel et bien leurs cœurs qui supportaient le plus lourd fardeau. Encore un enterrement, un ami ou un parent qui partait pour un monde qui ne pouvait être que meilleur, au fond, tant il était difficile de faire pire que cette ville immonde. Cette fois ci, il s'agissait d’Hélène, dont le seul péché avait été d'avoir contracté une terrible affliction qui l'avait peu à peu rongé jusqu'à l'os. Personne d'autre que leur petit groupe ne s'était vraiment soucié d'elle, et elle avait fini par faire partie de la famille au cours des longs mois pendant lesquels elle dépérissait, faute de soins adéquats. Le prêtre l'avait vu se faner inexorablement, mais sans jamais baisser les bras, elle gardait toujours le sourire et la tête haute, et si son corps se mourrait, on pouvait apercevoir dans son regard toute la vitalité de son esprit. Elle taquinait parfois le prêtre en lui disant que si Dieu lui refusait l'entrée au paradis, elle serait bientôt assez mince pour passer à travers les barreaux. Que l’Éternel leur vienne en aide à tous si une femme aussi remarquable qu’Hélène ne trouvait pas sa place la haut, car alors aucun d'entre eux n'avait d'espoir d'y parvenir.

Il s'arracha à sa macabre contemplation et prépara son office. Il aspergea d'eau bénite le corps de la défunte, et entama la récitation d'un psaume, habituellement utilisé pour accompagner le cercueil au cimetière. Il avait toujours trouvé les paroles du "In paradisum" réconfortante, et tous ici présents avaient besoin d'un peu d'optimisme. Il entonna l'air en essayant de donner un peu de chaleur à sa voix. "Que les Anges te conduisent au paradis, que les martyrs t'accueillent à ton arrivée, et t'introduisent dans la Jérusalem du ciel. Que les Anges, en chœur, te reçoivent, et que tu jouisses du repos éternel avec celui qui fut jadis le pauvre Lazare.". Il poursuivit avec d'autres absoutes afin d'accompagner l'âme d'Hélène vers un repos mérité, et sentit qu'un peu de tristesse s'était évaporé en son sein. Il ne pouvait pas en dire autant de Jack et Luka. Les dernières semaines avaient été atroces à tout point de vue, et lui même avait l'impression qu'ils n'avaient passé leur temps qu'à pleurer les disparus, en attendant leur tour. De voir ainsi gésir la frêle Hélène était comme un coup de massue supplémentaire, un nouveau poids sur leurs âmes malmenées. S'il avait la certitude que la défunte était maintenant en paix, il lui incombait aussi de prendre soin des vivants, et c'était de loin une tâche plus ardue que de pleurer les morts. Il posa délicatement sa Bible à l'abri des salissures, et vint se tenir entre Jack et Luka, il leur prit chacun la main et ils observèrent une minute de silence. Il avait volontairement écourté sa prière des habituels sermons, car ces deux là n'en avaient pas besoin. Ils étaient quotidiennement confrontés à la cruauté des hommes, à leur bassesse, mais continuaient vaillamment à lutter pour changer les choses. Ils avaient répandu le bien autour d'eux, et comme tous les bienfaiteurs de l'humanité, n'avaient reçu en retour que toujours plus d'épreuves, d'obstacles et de problèmes. Certains jours, Ézéchiel se demandait pourquoi les bonnes âmes ne recevaient que des coups, quand les vauriens s'accaparaient toutes les récompenses. A croire qu'il était plus facile et rentable de faire le mal que d'aider son prochain. Si le crime ne paie pas, pourquoi alors y a t'il autant de criminels ?. Ces deux là ne devaient pas être loin de penser la même chose en ce moment, et il tenta, avec ses maigres moyens, de leur remonter le moral.

"Le plus dur, c'est toujours pour ceux qui restent. On pourrait croire qu'après tant de décès, de cérémonies et de larmes versées, l'on s'habitue, et pourtant non. On est toujours humains  tant que les yeux restent secs mais le cœur tendre, n'oubliez jamais ça. Il est aussi facile de se demander si la personne au fond du trou n'est pas plus heureuse comme ça. D'un certain point de vue, oui, là où elle est, elle est plus heureuse, ça ne veut pas dire qu'elle n'aurait pas préféré rester en notre compagnie. Elle s'est battue courageusement, tout comme vous deux, dans un combat inégal contre une autre forme de mal, qui elle aussi ronge patiemment les âmes. Mais ça ne veut pas dire que l'on aie perdu d'avance, il y a toujours de l'espoir, toujours. Je pense que c'est ça, la vraie force de la Bible, son vrai message : il ne faut jamais arrêter de croire, toujours avancer. C'est ce qui nous a, individuellement, permis de survivre, mais c'est ce qui nous donne notre force quand nous sommes ensemble, réunis. C'est notre unité qui alimente notre détermination à changer les choses, et donner à ce monde une chance de ressembler un jour au Paradis. Et on n'est pas près de chômer, c'est moi qui vous l'dit". Il avait volontairement mimé l'un de ces forts accents campagnards qu'il avait entendu dans certaines de ses anciennes affectations du mid-west profond, pour cette dernière phrase, il espérait ainsi leur arracher un sourire. En ces circonstances déprimantes, un petit sourire était leur bien le plus inestimable, et la promesse de continuer à croire...

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MessageSujet: Re: J'irai cracher sur vos tombes - Terminé J'irai cracher sur vos tombes - Terminé Icon_minitime1Mer 6 Nov - 13:43

Aux heures de bleu, brûlez cheveux d'ange
J'irai nager de toutes mes enclumes,
Mange là ta plume pour ce qu'on y change
Toutes les histoires
C'est une histoire, elle finit mal
Et je me sens pas mieux.

La mort. Une délivrance. Une fatalité. Une honte. Une défaite. Un jeu de cartes. Un danger. Un stimulus. Une raison. Raison de vivre. De partir. Une finalité. Un commencement. Une aventure. Une déception. Une faiblesse. Une folie. Inconcevable. Envisageable. Une solitude. Un partage. Actif. Passif. Mourir ou se laisser mourir. Un combat. Pour. Contre. Une obsession. Un rejet. Déni. Colère. Marchandage. Dépression. Acceptation.
Quel stade, les enfants ?
La mort. Une évidence avant tout.
Et s'il vous arrive de vous sentir mort, c'est que vous êtes assez vivant pour en avoir l'occasion. A l'évidence.


Dans sa tombe, le corps de Cendrillon repose et laisse les psaumes meurtrir encore, pour quelques minutes, la tranquillité de son repos. L'oraison funèbre assassine un temps le silence macabre de cette silhouette gisante. Le trépas de la nuit laisse place à la lueur joliment cadavérique d'une journée hivernale. Le chant vivace des bêtes diurnes remplace celui, mortel, des oiseaux de proie ayant chassé toute la soirée durant. Au loin, une chouette hulule la fin de sa traque, signant le décès de quelque imprudente proie. Dans ce cimetière exempt de tout lampadaire, la lumière de plus en plus paresseuse tranche à peine les ténèbres omniprésents, sales et meurtriers. Et l'ombre gracieuse du cadavre s'étire lentement, sur le jour qui se lève. Dans ce paysage mort, dans cette apparente trépanation, les vivants vivent. Les vivants pleurent. Rien de la perpétuelle obscurité sociale ne pourra cacher, leur gâcher ces quelques larmes. Et lorsque la prière s'achève, laissant place aux mains qui se serrent, on peut voir sur leur visage l'ombre d'une émotion, la preuve ténue qu'une mort omniprésente ne pourrait ce matin les empêcher d'exister. Les gouttes d'eau salées courent, vivaces, sur les joues crayeuses de Luka, pour enfin chuter, s'écraser sur le col de son manteau, se mêler à la terre qui accueillera bientôt le cadavre. Flosh flosh flosh aurait on pu entendre en y prêtant oreille, un bruit plus vivant que le piaillement des oiseaux dans le jour qui se lève.
Une morte et trois suicidés sociaux. Un cadavre et trois émotions vivaces.


Écoutant les propos du prêtre, les profanes encore d'avantage que les prières, Luka largue dans un soupir le poids qui lui serrait le coeur et relève les yeux vers lui, dans un sourire intime. Un visage familier est un maigre réconfort. Mais l'ironie d'une telle situation veut que le dérisoire devienne inestimable et comme elle n'exige pas plus que six minutes de douche ou un café soluble, elle ne demandait pas d'avantage pour en éprouver quelque menue satisfaction. C'est étonnant, cette faculté que l'homme peut avoir de s'habituer à toute chose, pourvu qu'il n'ait pas plus de choix. Ersatz d'évolutionnisme, Darwinisme primaire voulant que loin des plus forts, ce sont les mieux adaptés qui survivent. Il y a dix ans, Luka vivait dans les strass et la gloire, couverte d'acclamations et de richesse pour avoir seulement honoré un journal académique par quelques photographies dont elle ne saisissait pas la propagande. Plus tard, elle n'osait même plus rêver à des aliments frais. Aujourd'hui, elle n'en éprouve absolument pas le besoin, tout comme elle n'attendait pas plus de confort que sa vieille parka et une main pour serrer la sienne. C'est tout à fait pathétique. Tendrement pathétique.

A défaut d'avoir le moindre pouvoir sur les événements, ce discours lui réchauffe un peu le ventre. Il sera bien temps de laisser le pragmatisme contredire la belle solidarité qui s'y dessine et elle a déjà prévu de s'entretenir avec les deux hommes sur l'éventualité de tout arrêter pour ne pas causer d'avantage de morts. En attendant, la lueur d'unicité dessinée dans les propos lui fait du bien. Ces derniers temps, il n'a plus été question que de peur et de tristesse, découragement et cas de conscience. Un peu de fantaisie idéaliste est la bienvenue, à tel point qu'elle ne tente pas de le contredire. Elle n'ose pas lui dire que, outre chaque individu à part entière, c'est la collectivité qui s'essouffle sur l'évidence de son échec. Et les questions qu'elle se pose ne sont plus tant défaitistes, que réalistes.
Plus tard, les questions.

En revanche, dans son autre paume, elle sent la main de Jack se serrer à l'extrême. En levant les yeux vers lui, elle aperçoit le trismus vibrant de sa gorge, les tremblements contractés de sa mâchoire, le regard fixe de ses prunelles assombries par la rage. Prenant le parti de rompre là leur inertie silencieuse, elle désintègre la ronde des mains serrées et s'accroupit sur l'un des deux sacs, pour en sortir les affaires et les déposer délicatement sur le corps. Une couverture usée jusqu'à la corde, la fin d'un sachet d'herbe et quelques bijoux fabriqués pour occuper l'attente de la mort. Encore une seconde pour glisser un mot silencieux et Luka se redresse, récupérant sa pelle au passage. Jack imite le dernier geste, tous deux entament de recouvrir le corps. Mais après quelques maigres allers retours, l'outil du jeune homme fend l'air pour s'écraser sur une pierre tombale. Dans un silence de mort, il retire le revolver accroché à sa ceinture et le jette sur le tas de terre. Tournant les talons, il avale d'un pas rapide la distance qui le sépare de l'église. Du coin de l'oeil, Luka le voit s'épousseter avec force pour disparaître à l'intérieur. Dans un soupir, elle secoue la tête et reprend sa tâche, le laissant à son propre cheminement.

" Il faut l'excuser, ces derniers jours particulièrement difficiles pour lui. Ces hommes travaillaient avec lui et il se sent responsable. " souffle t'elle du bout des lèvres, tâchant de ne pas penser à la douleur ankylosée de ses muscles. " Et puis, après ça, ce qu'on fait semble lui assez dérisoire. Je peux le comprendre"


Tant que je te tiens, danser tout en rond
Quand c'est qu'on va dire à la balle au bon ?
C'est con les magiciens, ça vous donne l'espoir
Et nous laisse l'amer
Pourquoi ne pas tomber par terre
Si nous n'irons pas loin ?


Toute à ses pensées, elle laisse le travail manuel les étirer, pour mieux les évacuer. Outre la souffrance évidente de son corps d'avantage monté à poser devant les objectifs qu'à creuser la terre, ces gestes lui font du bien. Elle retrouve les raisons premières pour lesquelles elle avait commencer tout ça, cette envie de rendre aux gens la dignité des choses les plus simples, à défaut de se prétendre assez puissante pour changer véritablement les choses. Finalement, c'est ce qui la met affreusement en colère, de se savoir en danger pour des choses aussi futiles que le respect somme toute relatif de la dignité humaine. De ne pas savoir de quel crime ou potentiel danger on l'accuse, quand ses fautes se limitent à encourager les gens à ne pas baisser les bras, et leur procurer des soins essentiels. C'est vrai, ils aiment tous se considérer eux-mêmes comme les pirates de la société, porteurs de la voix du peuple face à l'oppresseur. Mais dans les faits, quelques photos engagées, des pansements et des prières n'ont jamais justifié le massacre à l'aube duquel ils se trouvent. Les pensées à la dérive, Luka échoue finalement sur l'une d'elles, aléatoirement, les yeux rivés sur la pelle qui se lève et se rabaisse. C'est naturellement qu'elle la formule après en avoir trouvé la conclusion, du bout des lèvres, trop heureuse de retrouver l'un de ses plus proches confidents, pour lui refuser l'accès à ses doutes.

" J'ai haï Dieu, à une époque. Ma mère est catholique. " Ou était, d'ailleurs. Ca va faire plus de dix ans qu'elle ne l'a pas revue." Et quand j'étais gamine, il y avait un crucifix au dessus de la télé, dans le salon. Chaque fois que mon père désertait, elle passait des heures à prier pour qu'il revienne, puis des heures à remercier Dieu quand il revenait. Et le jour où il n'est pas revenu, elle a arrêté de prier, et s'est mise aux antidépresseurs. Elle a recommencé quelques années plus tard, quand un nouvel homme est arrivé dans le foyer. Plus de prières et moins d'antidépresseurs. Et pendant tout ce temps qu'elle passait à regarder sa croix, elle ne me regardait pas. Elle n'a pas vu que je perdais mon père et, pire, elle n'a pas vu que mon beau père prenait ces horribles clichés de moi. Alors je me suis mise à haïr cette fichue croix, de me voler l'attention de ma mère. Je l'ai décrochée plusieurs fois, j'ai même essayé de la brûler. Et puis, en grandissant, je me suis rendue compte que ce n'était pas la faute de Dieu, si ma mère l'utilisait comme un antidépresseur, et que ça aurait tout aussi bien pu être un totem ou un bocal à anchois, ça aurait été pareil. "


" Si Joseph d'Arimathie était pas trop con, le Graal, c'est un bocal à anchois. "


Elle ne sait pas s'il est convenable de parler ainsi à un prêtre. Sans doute pas. Mais Ezéchiel est un ami bien au delà de cette fonction, quoiqu'il la vive pleinement, avec cette fois-ci une volonté, une bonne foi, qu'ils lui envient tous. Elle a passé plus d'heures à lui parler en quelques mois que la plupart des autres en plusieurs années. Cette foi dans laquelle elle se retrouve, quand bien même elle ne prend pas les mêmes aspects pour l'un et pour l'autre, tournant parfois vers une déraison absolue, une conviction proche de la folie, tout un ensemble qui les a rapprochés, immédiatement. Elle connaît la fragilité de son moral, à due proportion que sa volonté est forte. Ils se sont apprivoisés l'un l'autre, un peu, et le prêtre est devenu un soutien dont elle ne saurait plus se passer. Plus encore qu'elle aime à se croire capable de l'apaiser, elle a besoin de lui pour la pousser vers l'avant. Sans lui, elle n'aurait peut être pas déjà abandonné, mais ne pas le faire aurait été, dans tous les cas, autrement plus difficile.

" Ce n'est pas la faute de Dieu, de la Loi ou de la Société si les hommes en font des prétextes à leur égoïsme. Ce n'est pas leur faute si l'Homme essuie les crampons de sa mauvaise foi sur leur visage. Je n'y pense pas souvent, ce n'est pas mon rôle de déterminer si Dieu existe ou pas, si la Loi humaine est bonne ou si la Société agonise. J'ai soigné des criminels au même titre que des enfants, je les ai laissés sortir et j'ai assumé l'idée que mes bandages allaient leur servir à tuer à nouveau sur ma conscience, parce que le seul moyen de sortir de tout ça, c'était de respecter la déontologie. Je soignerais un activiste du gouvernement si j'y étais contrainte. " Luka suspend son geste, un instant." Mais quand j'y pense... " la pelle se lève et s'abaisse ridiculement, ses iris suivant toujours la course de ses mouvements. " Je me dis que Dieu ferait aussi bien de ne pas exister, ou d'avoir déserté cette ville. Parce que s'il existe, et qu'il la regarde, il doit être entrain de saigner à blanc sur la mauvaise foi des Hommes. "


Dans une heure de trop, redis-moi ce poème,
Et le même, sans mot, le plus joli « je t'aime »
Redis-moi que c'est beau où tu t'emmènes
Et jure-moi que c'est même
Encore plus haut


Abandonnant son oeuvre plus durablement, elle relève les yeux vers lui, esquissant un nouveau sourire malgré ses propos défaitistes.

" Hélène l'a probablement déjà fait mais je tiens à te remercier pour ça. " et d'ajouter, jouant du coude sur sa hanche pour imiter l'accent tantôt singé.. " Et... crénom de nom, je suis contente de te voir ! "

Un rire, bref.
Et le travail reprend.

Inch' Hallelujah,
Ayé sous les ongles
Et si tu veux de moi,
Touche-moi, qu'on se confonde
Hello m'alikoum Aye, petite sœur!
Je te pleus par cœur
Par cœur


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Ezéchiel Stone
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COMMENTAIRES : La marche des vertueux est semée d’obstacles qui sont les entreprises égoïstes que fait sans fin, surgir l’œuvre du malin. Béni soit-il l’homme de bonne volonté qui, au nom de la charité se fait le berger des faibles qu’il guide dans la vallée d’ombre de la mort et des larmes, car il est le gardien de son frère et la providence des enfants égarés. J’abattrai alors le bras d’une terrible colère, d’une vengeance furieuse et effrayante sur les hordes impies qui pourchassent et réduisent à néant les brebis de Dieu. Et tu connaîtras pourquoi mon nom est l’éternel quand sur toi, s’abattra la vengeance du Tout-Puissant !

Ézéchiel 25, verset 10.
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MessageSujet: Re: J'irai cracher sur vos tombes - Terminé J'irai cracher sur vos tombes - Terminé Icon_minitime1Jeu 7 Nov - 21:03

Ézéchiel écouta attentivement, comme toujours, les paroles de Luka, tandis qu'ils rebouchaient la tombe d'Hélène. Il avait toujours apprécié la franchise et l’honnêteté de la jeune femme, des qualités rares au possible en ce bas monde. Elle se livrait avec un naturel admirable, autour de la tombe d'une amie, quand tant d'autres biaisaient et se recroquevillaient à l'intérieur de l'intimité du confessionnal, et le faisait avec aisance et tranquillité. En se mettant à nu, elle parvenait à vous désarmer, c'était là sa vrai force de conviction, de caractère, l'incarnation vibrante de la paix, le triomphe du pacifisme dans la renonciation. Elle l'ignorait certainement, mais elle faisait preuve de piété à sa manière, même si elle pensait n'avoir jamais eu la foi, ou plutôt n'avoir jamais cru vraiment. Et pourtant, elle croyait à un idéal de fraternité, elle faisait preuve de tolérance et d'abnégation. Étrange chose en effet que ceux qui s'affirmaient les moins dévots fussent en réalité les plus pieux, encore un paradoxe de plus sur lequel méditer. Quand ils eurent terminé leur ouvrage, il s'assit au bord de la tombe, exténué, des volutes de vapeur s'exfiltraient de sa peau aux endroits qu'il avait laissé nus, exposés à la fraîcheur de l'endroit. On l'aurait cru nimbé de brouillard, pâle spectre de celui qu'il était jadis, à la frontière entre deux mondes. En attente de passer dans l'autre aussi, ils étaient tous plus ou moins en sursis ces temps ci. Il invita Luka à se poser afin de faire une pause. Jack avait disparu depuis une bonne demi heure, et il n'y avait rien à gagner à se presser, ils le retrouveraient bien assez tôt. Le prêtre brisa finalement le silence, et c'est d'une voix douce et claire qu'il se confia :

"J'ai moi aussi une confession à te faire, je n'ai pas toujours cru en Dieu, spécialement quand j'étais prêtre". Il nota avec amusement l'étonnement sur le visage de Luka, personne ne savait qu'il n'était plus vraiment un prêtre aux yeux de l'Eglise, même s'il ne l'entendait pas de cette façon. "Oui, on m'a "déchargé" de mes obligations quand on m'a interné. Je suis même surpris qu'ils ne m'aient pas excommunié ou exorcisé avant. C'est comme ça quand on ne sait pas comment prendre en charge les "déviants", on les cache. Tous les monastères ne construisaient pas un mur pour se protéger du monde extérieur, ou s'en exclure, c'est selon, mais aussi parfois pour les motifs inverses. Je n'ai pas choisi de devenir aumônier dans l'armée, j'ai fait partie du contingent des volontaires désignés, comme on aimait à se foutre de nous. Mon père était un fervent Baptiste, il pensait que de m'engager dans l'armée me forgerait le caractère et ferait de moi un homme. Comme je n'avais pas mon mot à dire, je me suis retrouvé à faire mes classes, mais j'étais catalogué "objecteur de conscience". On m'a collé à l’aumônerie parce que c'était un gâchis que de donner un beau fusil à un faiblard qui le jetait systématiquement au sol. J'ai donc endossé les habits de la foi pour continuer à bouffer et me faire passer à tabac moins souvent."

Some folks are born to wave the flag,
Ooh, they're red, white and blue.
And when the band plays "Hail to the chief",
Ooh, they point the cannon at you, Lord,

Ézéchiel prit une longue inspiration avant de poursuivre son récit. Il n'était jamais agréable pour lui d'évoquer son passé, mais il savait que Luka ne le jugerai pas, elle l'avait déjà accepté tel qu'il était, et il lui devait au moins de s'ouvrir à elle autant qu'elle se confiait à lui, dans une confiance mutuelle. Il reprit tranquillement :

"Puis vint le temps de partir au front. A cette époque, mais tu le sais surement déjà, l'armée envoyait des contingents entiers sécuriser les régions sensibles, là où les USA jouissaient d’intérêts privilégiés dans l'exploitation des matières premières. J'ai donc suivi mon régiment au combat, et tu ne croirais jamais ce que j'y ai vu. J'ai accompagné les ultimes instants de centaines d'hommes et de femmes, de toutes les couleurs, de toutes les confessions, qui parlaient des langues incompréhensibles. J'ai réalisé pour la première fois que la mort elle même revêtait pour l'occasion un caractère égalitaire, dans la paix qu'elle accordait. La souffrance, c'était une autre histoire. J'ai vu des hommes achever leurs camarades condamnés et laisser agoniser des heures entières leurs ennemis. Je l'ai cherché, Dieu, pendant ces quinze ans de boucherie, et même après. Mais plus le temps passait, plus j'avais du mal à imaginer qu'il puisse cautionner toute cette horreur. Alors je me suis désespérément raccroché à lui, comme un gamin qui supplie son père d'arrêter de battre sa mère, et qui croit qu'en s'accrochant de toute ses forces à sa jambe, il lui fera baisser les yeux sur lui."

Yes I'm stuck in the middle with you,
And I'm wondering what it is I should do,
It's so hard to keep this smile from my face,
Losing control, yeah, I'm all over the place


Ézéchiel écrasa une larme qui roulait sur sa joue couturée, et chassa ce souvenir amer. Après tant d'années, il ne pensait pas que l'évocation de son enfance lui laisserait un arrière goût aussi pénible. Il renifla tristement et enfouit ses sombres réminiscences dans un recoin de son esprit, et poursuivit :

"Que veux tu ? J'étais perdu à cette époque, je vivais chaque jour en attendant d'y passer, et un beau matin, on m'a appris que c'était fini, qu'on me renvoyait au pays. J'aurai du être heureux, mais il était trop tard pour me réjouir. Quand on a cru pendant quinze longues années de carnage qu'on allait fatalement y rester, on s'habitue à l'idée, et on est déçu quand, en fin de compte, on réalise que ça n'arrivera pas. C'est là que j'ai commencé à partir en vrille, comme ta mère, un drôle de ballet entre les cachets et la croix. J'ai failli y rester, et je ne dois mon salut qu'au rejet des deux conjointement. C'est quand je me suis trouvé dépouillé de tout, mon ministère, ma pseudo-vocation, ma place dans l'armée ou dans une camisole, ma foi, mes croyances personnelles et mes idéaux, c'est quand la vie m'a le plus écorché que j'ai trouvé la meilleure raison d'exister. Peu importe les armes ou les ressources dont on dispose, l'important c'est de se battre pour ce que l'on croit juste. C'est ce que m'a enseigné une amie, même si elle est parfois tenté de baisser les bras."

You see I've been through the desert on a horse with no name,
It felt good to be out of the rain.
In the desert you can remember your name,
'Cause there ain't no one for to give you no pain.

Le prêtre sourit chaleureusement, se confier à Luka lui avait procuré un sentiment de joie qu'il n'avait pas ressenti depuis longtemps. La confession s'était faite confidence, la honte de partager ses secrets les plus sombres s'était mué en communion de sentiments, mais il lui fallait encore une fois ouvrir son âme à la jeune femme, afin que ne subsiste plus de mystère entre eux :

"Aujourd'hui, je ne suis plus officiellement un prêtre, et pourtant ma foi n'a jamais été aussi forte. Un vieux proverbe de la Bible dit "l'habit d'un homme indique ce qu'il fait, sa démarche proclame ce qu'il est". Aujourd'hui, je suis un être humain, et j'aide mon prochain, je le fais avec mes armes propres. Tout comme toi Luka. Peut être que Dieu a abandonné cette ville, sans doute que non, dans tous les cas, ça ne veut pas dire que nous devions agir de même. Nous jouissons du même libre arbitre qu'il a donné à tous les hommes pour faire le choix du bien ou du mal, et nous avons choisi de répandre la bonté. Quand je te vois, je me dis qu'il n'est pas si grave de n'avoir jamais trouvé Dieu, puisque j'ai fini par rencontrer un de ses anges..."

The wise man said just find your place
In the eye of the storm
Seek the roses along the way
Just beware of the thorns

Here I am
Will you send me an angel
Here I am
In the land of the morning star

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MessageSujet: Re: J'irai cracher sur vos tombes - Terminé J'irai cracher sur vos tombes - Terminé Icon_minitime1Mer 13 Nov - 11:03

Suddenly something has happened to me
As I was having my cup of tea
Suddenly I was feeling depressed
I was utterly and totally stressed
Do you know you made me cry
Do you know you made me die


Le cimetière prend des allures d'alcôve, de confessionnal. Dans un soupir endolori, Luka replie sa carcasse grinçante pour s'asseoir aux côtés du prêtre, ses menues jambes enfouie dans le cercle de ses bras pour éviter que le froid épousant ses quelques gouttes de sueur ne la transperce. Essoufflée, elle laisse le calme reprendre son autorité sur ses muscles et roule machinalement une cigarette fine, qu'elle colle entre ses lèvres, l'embrasement lui brûlant ses alvéoles grandes ouvertes à la première injection. Les volutes aigres doux se mêlent aux vapeurs fumantes de leurs silhouettes échauffées, elle les regarde s'élever, quand Ezéchiel retient son attention sur ses propres aveux, l'obligeant à tourner un regard éberlué vers lui. Voilà une chose qu'elle ignorait. A vrai dire, elle ignorait même qu'on pouvait être destitué de ce genre de fonction. Sa connaissance en matière de religion est terriblement pauvre, pour une société telle que celle-là.

Inquiétée par ces révélations, elle prend malgré tout le parti de ne pas l'interrompre. Et son angoisse quelque peu courroucée se meut en une oreille attentive, absolument absorbée. Peu à peu, les choses qui n'avaient été autrefois qu'évoquées se délient dans la brume matinale, autour de la tombe d'Hélène, offrant une dernière fois sa chambre de convalescence à la jeune femme, autrefois le lieu idéal pour des recueillements de ce genre. A entendre le prêtre, Luka en a le coeur serré, elle ne tarde pas à oublier complètement sa cigarette, dont le bout s'éteint finalement, emporté par le fraîcheur de l'aube. Elle ignorait qu'Ezéchiel avait passé de si longues épreuves, ou qu'il avait été à ce point traumatisé. Elle le savait sujet au traumatisme, bien sûr, mais n'en connaissait pas tellement les tenants et aboutissants. Ce n'est pas le genre de chose qu'on balance entre la poire et le fromage, après tout. Se mordant la lèvre, elle glisse un regard vers lui, morveuse tout à coup de s'être plainte de quelques morts. Rien ne doit être minimisé, bien sûr, mais elle a vécu ces derniers jours comme des épreuves dont elle n'était pas sûre de se relever, quand d'autres ont fait la guerre dans les pires conditions qui soient. Ezéchiel, Jack, la plupart des hommes engagés dans son mouvement ont au moins vécu la révolution de quatre vingt dix, sinon les champs de bataille, raison pour laquelle il leur est tellement difficile de concevoir que d'autres frères sont tombés, dans un cadre de sérénité relative. Et Luka ne peut être que désolée pour eux, tout comme elle éprouve une tristesse arbitraire et égoïste pour ce récit qui lui est conté. Elle le voit pleurer et se pince les lèvres, le laissant aller au bout de son discours.

Une conclusion lui arrachant un sourire quelque peu incrédule. Il serait malvenu, et certainement quelque peu égocentrique de le contredire, quoiqu'elle n'en pense pas un mot. Alors Luka enroule seulement son bras autour de celui d'Ezéchiel et dépose sa joue sur son épaule, le serrant contre elle dans un silence pensif. Quelques minutes s'égrainent encore sur les confessions, sur la cigarette éteinte et leurs corps qui ne fument plus, la sérénité du cimetière troublée par quelques piaillements au loin. Toute à ses réflexions, elle fronce les sourcils et murmure enfin, du bout des lèvres, la seule et unique chose qu'elle n'a encore jamais admise à voix haute.

" J'ai peur de ne pas avoir les moyens de nos ambitions. " Un silence, encore. Cette partie là de son intimité est autrement plus difficile que les autres. Quel meneur digne de ce nom peut avoir des doutes sur ses propres actions ? Qui peut être décemment crédible en remettant à ce point en question, depuis si longtemps, le bien fondé de ce qu'il a lui même engagé ? La gorge serrée, elle tire sur sa gorge pour déglutir un goût pénible et reprend, les yeux baissés sur ses genoux, comme une enfant honteuse. " Avec tout ce qui est arrivé et tout ce qui va arriver... Il faudra faire des choix difficiles et je n'ai pas envie d'être celle qui les fera. Jack, toi et les autres, vous avez vu et fait beaucoup plus que je ne me sentirais jamais capable de faire. Je ne me sens pas comme un ange, comme un bras armé de la révolution ni même comme un combattant. Je me sens comme une petite fille perdue qui n'a jamais rien vraiment eu à faire de difficile et qui ne sait plus quel pied elle doit avancer en premier parce que, pour la première fois de sa vie, la réponse n'est pas évidente. " Elle soupire, secoue la tête, s'arrache un rire jaune, bref. "' Je suis un leurre, Ezéchiel. Et j'ai peur que quelqu'un finisse par s'en rendre compte. "


And the thing that gets to me
Is you'll never really see
And the thing that freaks me out
Is I'll always be in doubt


Cet aveu là n'appelle pas tellement de réponse, ni de contradiction. Elle avait seulement besoin de le dire. Et tout ça n'est peut être que le reflet de son épuisement. En tout cas, c'est une occasion de se rendre compte à quel point elle épuisée, physiquement parlant. Elle a déposé la chose qui la tenait véritablement éveillée depuis ces quelques jours, égocentrique et sans gloire. Ce n'est pas la mort des autres, ce n'est pas l'enterrement d'Hélène, l'état de Jack ni même celui de ses troupes, c'est sa propre lâcheté qui la ronge. Parce que la rumeur des massacres se poursuit bien au delà du gouvernement, qu'on murmure des atrocités perpétrées par les plus grands criminels, dans son propre quartier. Que l'un de ces criminels est un homme qu'elle a aimé, un peu, malgré tout, des derniers restes d'amour qu'elle avait encore en réserve après toutes ces années de livraison à sa cause. Et qu'elle commence à avoir même honte de toute la tendresse que cet homme là a pu lui inspirer. Dans un dernier soupir, Luka ferme les yeux, lâchant avec une certaine légèreté contre l'épaule du prêtre.

" Hélène est quand même une fichue veinarde. " Et elle s'endort sur place. Net.


(...)


Quand elle reprend conscience, émergeant d'un sommeil bien trop lourd pour que le moindre rêve y ait sa place, une lueur vive et blanche atténuée par quelques vitraux lui fait plisser les yeux à peine les a t'elle entrouvert. Après quelques secondes d’accommodation, elle sent le bois dur d'un des bancs de l'église sous son dos, la chaleur relative de l'endroit contre son visage sensibilisé par l'air extérieur. Une première tentative pour se relever lui arrache un grognement de douleur, le corps à ce point courbaturé qu'elle en découvre des muscles dont elle ne soupçonnait pas l'existence. Elle réessaye, plus lentement, parvient enfin à se mettre assise et jette un oeil à sa montre. Elle a pratiquement dormi trois heures. En levant les yeux autour d'elle, elle aperçoit Jack et Ezéchiel qui tendent un sac de médicaments à une femme d'un certain âge, pour maintenir sa fonction rénale. De loin, elle lui sourit et lui adresse un léger signe de la main quand elle l'aperçoit, puis s'enjoint à rejoindre les deux hommes quand elle est enfin partie. Un coup d'oeil dans le sac éventré sur l'un des bancs, elle voit encore quelques boîtes de médicaments s'étaler au fond, attendant que leur propriétaire vienne ou ne vienne pas les chercher. Dans une inspiration longue, elle se frotte le visage, et marmonne derrière ses paumes étalées.

" On va désintégrer le QG. "

Un peu de repos suffit au guerrier pour retrouver quelque énergie manquante, après tout. Elle se sent vaguement moins désespérée, maintenant qu'elle a dormi. Et de toute façon, ces trois dernières heures étaient le maximum qu'elle pouvait encore se permettre pour ignorer les faits. Il est temps de s'avouer les mesures dont ils sont déjà tous intimement conscient de la nécessité.

" Dans les jours à venir, le plus tôt possible. De toute façon, pour l'instant, les médecins sont surveillés en permanence, il est impossible pour Emma de venir faire ses consultations, et sans parler de nos fournisseurs, dont les stocks sont inspectés à la loupe. Il faut se rendre à l'évidence, la traque a déjà commencé, et nous sommes le prochain gibier. Aucune de nos aides ne doit être compromise dans le processus, tout contact avec elles est formellement interdit. On portera le matériel de premiers soins dans nos planques du centre ville et on communiquera les adresses où les trouver. Il faut passer des messages radio, plus que jamais, pour dire aux gens de ne pas perdre patience, et disparaître. " sans dissimuler son angoisse, elle lève un regard vers les deux hommes, attend l'ombre d'une approbation avant de poursuivre. " L'argent que Jonathan a bien voulu nous laisser est en sécurité, il y a environ cinquante mille dollars, qui nous serviront à créer un nouveau quartier général, quand le gouvernement aura échoué à nous empêcher de le faire. "


So take my hands and come with me
We will change reality
So take my hands and we will pray
They won't take you away
They will never make me cry, no
They will never make me die


" Si quoique ce soit devait arriver à l'un ou plusieurs d'entre nous, les autres n'ont pas le droit de s'arrêter pour autant. La pire chose qu'on puisse faire, c'est abandonner, ou encore se renier. On le doit aux familles, on le doit à ceux qui ont confiance et on se le doit à nous-mêmes. Parce que si nous tombons tous, il faudra des gens qui ont encore assez confiance pour prendre notre relais. L'important, ce n'est pas notre survie, c'est la survie de ce qu'on a commencé. Qu'ils nous tuent les uns après les autres, qu'ils aient seulement la bêtise de nous massacrer, et nous mourrons en martyrs pour la pérennité de la cause. Tout ce qui compte, maintenant, c'est de renforcer plus que jamais la conviction collective. Et s'ils font l'erreur de s'en prendre à nous, de mettre un visage sur l'agresseur invisible, d'autres y verront d'autant plus de raisons de se battre. On était bien conscient que la mort ou la capture pouvaient être des éventualités quand on a commencé. Il est temps de finir de s'y résoudre, et d'employer des mesures non pas pour combattre l'évidence, mais pour la rendre dérisoire. L'erreur que peut faire le gouvernement de croire qu'il suffit de supprimer des individus pour étouffer la rumeur est ce sur quoi on s'est toujours appuyé. Il n'y a, finalement, plus qu'à sublimer le concept. Et faire le serment de poursuivre tant que le dernier homme est encore de ce monde. "


It is a lovely thing that we have
It is a lovely thing that we
It is a lovely thing, the animal
The animal instinct

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MessageSujet: Re: J'irai cracher sur vos tombes - Terminé J'irai cracher sur vos tombes - Terminé Icon_minitime1Mar 19 Nov - 23:51

Les choses reprenaient leur cours habituel, du moins dans leur microcosme. Ils s'étaient ouverts, confiés, écoutés, avaient mêlé les larmes aux sourires, et avaient refermé la parenthèse du souvenir. C'était toujours ainsi lorsque plusieurs êtres sensibles étaient réunis pour honorer l'un des leurs, les cœurs s'ouvraient comme des fleurs après la pluie, pour retrouver un peu de chaleur et de réconfort. Partager des émotions faisait partie du processus de deuil, une façon un peu biaisée de se dire qu'on était toujours là, malgré les parcours cahoteux, les vicissitudes de la vie, personne ne croyait vraiment qu'il était préférable d'échanger sa place avec le défunt, sauf à l'aimer éperdument, mais un tel sens du sacrifice était rare en ces temps troublés. Ézéchiel comprenait fort bien les sentiments de Luka, ses doutes, ses appréhensions, ses peurs. Car il s'agissait bien de peur, c'était ce qui rongeait l'âme de la jeune femme en ce moment, insidieusement tapie au fond de son cœur, elle couvait comme un feu glacial, attendant de s'alimenter de ses angoisses pour prendre le dessus et la faire plier. Elle craignait plus pour ses amis que pour son existence propre, elle était confuse quand aux perspectives qui s'ouvraient à elle en tant que leader, figure emblématique, résistante, être humain tout simplement, elle appréhendait le moment où elle serait dépassée par les événements et submergée par les conséquences de ses décisions. Elle ne savait pas qu'il n'y avait rien de plus normal à ça, personne n'était vraiment préparé à mener un combat, quel qu'il soit, il le savait par expérience, même les vétérans se faisaient avoir à l'occasion. Elle entretenait des doutes -légitimes- mais ne savait pas que c'était là la marque des bons officiers, des meneurs chevronnés, un moyen aussi d'éviter les écueils. On disait aussi que le doute était l'ennemi de la foi, mais une foi aveugle en ses propres convictions ou ses capacités menait aussi surement le croyant à sa perte qu'à celle de son entourage. L'équilibre s'acquérait dans la confiance, et le prêtre ferait tout ce qui était en son pouvoir pour que la jeune femme n'en manque jamais. Perdu dans ses réflexions personnelles, il ne remarqua qu'au bout de quelques minutes qu'elle s'était endormie, et il la prit délicatement dans ses bras pour la déposer en haut, sur un banc.

Quelques heures passèrent quand elle émergea de son sommeil, qu'il espérait réparateur. Jack et lui avaient discuté, un peu plus sobrement quand même, tandis qu'ils distribuaient médicaments et conseils aux habitants qui venaient, toujours plus nombreux, demander de l'aide. Ils accomplissaient chaque jour ce qui aurait du être du ressort de l'état, de la collectivité, prendre soins de ses membres et en particulier des plus démunis. C'était devenu leur lot quotidien, et on les traquait pour ça, on les incriminait pour avoir décidé de prendre les choses en main parce que personne d'autre ne voulait le faire. Jusqu'ici, ils avaient tenu bon mais les autorités se rapprochaient de plus en plus, comme des requins affamés qui leur tournaient autour, rétrécissant inexorablement leurs rotations jusqu'à porter l'estocade. L'hallali était proche, tous le sentaient, mais ils avaient encore des cartes à jouer, Ézéchiel croyait un miracle toujours possible, quitte à le provoquer. En tout cas, c'était ce qui transparaissait des paroles de Luka, elle avait trouvé un regain de motivation et exposait maintenant son plan. Lequel n'était pas sans une certaine ingéniosité, il fallait le reconnaître. Quand la poigne gigantesque du gouvernement allait se resserrer sur votre gorge, mieux valait se disperser pour rendre ses tentatives caduques. Faire le mort, se planquer quelque temps, il l'avait déjà fait pour échapper à la faucheuse, il avait passé deux jours dans un charnier à attendre, immobile, affamé, environné de corps en putréfaction, guettant une occasion de ramper hors de la fosse commune pour regagner son campement, ou juste foutre le camp de là et sauver ses miches. Il savait que des patrouilles venaient régulièrement empêcher que les dépouilles ne soient récupérées, que des tireurs de précision étaient planqués dans la zone en permanence. Il aurait suffit d'arroser le tout d'essence et d'être débarrassés, mais les hommes aimaient jouer au chat et à la souris, et comme souvent en période de guerre, leur cruauté n'avait de limite que leur imagination. Il déglutit péniblement et chassa ce souvenir macabre de ses pensées, il devait rester concentré sur les options qui se présentaient à eux afin de tirer le meilleur parti de la situation dans laquelle ils étaient empêtrés. Il attendit que Luka ait exposé les grandes lignes avant de prendre la parole :

C'est carrément jouable pour le coup. S'ils nous croient seulement dispersés, nos poursuivants éclateront leurs forces pour nous traquer, et on sera toujours à 1 contre 20. Sils nous croient morts, en revanche, ils battront le rappel de la meute et ne laisseront que quelques hommes pour s'assurer de leur succès, ce qui améliorerait grandement notre marge de manœuvre. Il ne faudra mettre que quelques personnes dans la confidence, pour continuer la distribution de médicaments, compartimenter nos ressources pour éviter que la chute d'une cellule n'entraîne celle du mouvement entier. Ce sera difficile à organiser, à synchroniser surtout mais c'est la meilleure option qu'il nous reste pour le moment. On peut toujours se servir de l'église pour tenir des réunions ou faire passer des messages, il y a assez de pages dans les missels pour y glisser des coordonnées de rendez vous ou quelques mots griffonnés. Je suis sur que le seigneur n'y verra pas d'inconvénient. Il sourit amicalement en levant les yeux au ciel, pourvu qu'il ait raison sur ce coup là. Pour ce qui est du nouveau QG, on peut toujours, provisoirement, s'installer sur les docks. Depuis la chute du commerce maritime, on a un port qui croule sous l'encombrement, il y a presque une ville parallèle qu'on pourrait créer juste en aménageant les containers qui s'empilent sur les quais. Et je ne parle même pas, en plus de la discrétion, du dédale que ça représente, on aurait largement le temps d'évacuer en cas de descente des flics. Il laissa aux deux autres le temps de se représenter la chose, ça sonnait plutôt bien dans son esprit et pour le moment, ils avaient besoin de confronter leurs idées, autant pour pallier à l'urgence de la situation que pour chasser le cafard et la morosité qui les envahissait. Ils avaient tous besoin de croire, de se raccrocher à quelque chose, et des projets concrets impliquaient qu'on préparait le futur. Chose que n'envisageaient plus les désespérés, et ils refusaient de faire partie du lot. Il poursuivit sur une mise en garde, priant de tout son être pour qu'elle soit inutile, mais avec les jeunes, on ne pouvait être sur de rien. Et par pitié, ne parlez plus de martyres, n'imaginez pas finir comme tel, je vous en conjure. J'en ai vu, de ces gens qui croyaient que leurs souffrances transcenderaient leur cause, et croyez moi, ils se plantaient. La vraie force du Christ réside dans l'esprit de sacrifice, la notion d'exemplarité telle qu'on la concevait à une époque passée de plus de 21 siècles. J'en retiens le sens profond de l'abnégation comme la morale d'une fable philosophique. Si j'étais plus pragmatique, je dirais que lui savait qu'il rejoindrait les cieux, peu importe la fin de l'histoire. Mais pour nous, ici bas, c'est différent. Quand on souffre, c'est un maigre réconfort de se dire que c'est pour la cause et croyez moi sur parole quand je vous dit que c'est d'un piètre secours, que ça n'impressionne pas les tortionnaires. Je suis d'accord, il faut poursuivre jusqu'au dernier homme, la dernière femme, mais ne prenez pas de risques inconsidérés. Le gouvernement tentera par tous les moyens de briser le mouvement en commençant par nous, ne serait ce que pour donner l'exemple et dissuader les autres. Si vous sentez que quelque chose pue, à n'importe quel moment, écoutez votre instinct et commencez à courir, le plus vite possible, cachez vous partout où vous le pouvez et ne regardez pas en arrière. Parce que chaque vie compte.

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MessageSujet: Re: J'irai cracher sur vos tombes - Terminé J'irai cracher sur vos tombes - Terminé Icon_minitime1Dim 24 Nov - 17:37




Green hills and enemies
These things they make us sentimental inside
Your words are gelignite
Or just another sentimental aside


Les considérations pragmatiques font oublier, pour un temps, les tortures métaphysiques de la vie et de la mort. C'est ce dont Luka a besoin, et c'est vraissemblablement le cas de tout le monde au sein de cette église. Chacun a les yeux rougis, le visage déconfit, et la mine cadavérique. Ils ont besoin de s'activer, dérouiller leurs esprits ankylosés autant que leurs muscles raidis par les dernières heures. Quand bien même rien de ce qui se dit n'est réjouissant, elle est soulagée d'en arriver là. Et elle ne revivrait l'état d'esprit de ces derniers jours pour rien au monde. Alors quitte à refroidir temporairement son émotivité habituelle, si c'est une entreprise saine, autant adopter le vocabulaire des hommes d'action, quand bien même elle est la moins pragmatique des trois lurons réunis là.

Ezéchiel enchaîne sur le même ton, recevant quelques acquiescements silencieux à sa première réflexion. Dans un rire bref, Jack s'autorise un peu de cette dérision dont il a le secret, signe qu'il commence à se sentir mieux lui même, dans le feu des plans qui se montent, même abstraits, même sur la comète, arrachant à Luka un léger sourire.

" Se faire passer pour morts, ça va quand même être chaud patate, mon petit père. C'est qu'on leur a déjà fait le coup un certain nombre de fois, aux gars d'en face. "

Entre Luka censée être morte avec son petit ami sur un trottoir, Peter soit disant trépassé dans un accident de voiture après son attentat à la bombe, Jack qui n'a jamais réellement existé et Ezéchiel qui n'existe pour plus grand monde dans cette ville, le plan est déjà usé jusqu'à la corde, ils ne seront sans doute pas dupes une cinquième fois. Mais il a raison, quand il dit qu'être discret ne suffira pas, et qu'il faut avoir disparu de la surface bientôt. L'idée des docks reçoit une entière approbation, elle est même excellente, et bien plus alléchante que celle consistant à se terrer dans les égoûts sans savoir quand ils pourront remonter. Le vivre comme le revivre, aucun n'a envie de ça. Et les entrepôts à l'abandon avaient déjà été suggérés pour le premier quartier général, il y a huit ans de cela, abandonnés à cause de sa réputation d'abriter des drogués, des SDF, quelques rares patrouilles de police un peu trop zélés par la dangerosité des lieux. Mais ce risque semble bien dérisoire, quand on le compare à une troupe d'élite débarquant pour les gazer au lacrymogène dans leur sommeil.

Seulement voilà, la discussion dérive à nouveau sur une mise en garde, aux allures beaucoup trop spirituelles à son goût. Déglutissant une salive quelque peu désapprobatrice, Luka glisse un regard vers Jack, dont le visage semble assimiler ce qu'il entend, sans vraiment l'approuver non plus. Jack a toujours eu le feu des hommes d'action, cette foi aveugle consistant à foncer tête baissée vers le danger. Il a changé pour elle, pour ne pas risquer de la mettre en danger, après la mort de Manek. Mais le naturel revient au galop une fois chassé et il n'entend pas toujours les choses de la manière décrite aujourd'hui, dans cette église. Luka le sait. Elle sait aussi que c'est la raison pour laquelle il caressait son revolver toute la journée durant, le regard dans le vague, après la fusillade. Pour s'obliger lui-même à rester immobile, quand la moindre fibre de son corps lui hurlait de courir à l'encontre des bourreaux. Et elle aurait préféré que le sujet ne soit pas ramené sur la table. Dans un soupir, elle répond donc, un peu plus sèchement qu'auparavant.

" On prépare une fuite, pas un combat, nous sommes tous d'accord sur ce point. Je crois seulement qu'il faut se préparer à perdre beaucoup, si tant est qu'on puisse être préparé à ça. On n'aura pas deux ans, deux mois ni même deux semaines pour faire notre deuil, cette fois. Quel que soit le deuil. "


So sweet to lose a friend
You leave the church and taste
The air in your lungs
Old lies and fireflies
Carve angels on your eyes
And all is undone


Quelque part au fond d'elle-même, Luka a envie de crier.
Elle meurt d'envie de hurler.

Et elle parle pour Jack, elle parle pour elle-même, mais elle parle aussi pour le prêtre. Si chacun doit puiser dans ses réserves de courage pour ne pas se laisser abattre, lui devra puiser dans ses réserves de conviction pour pardonner un retournement de situation qui pourrait ne pas lui plaire. Voir les anges devenir la proie de choses humaines, trop humaines, tels des retranchements désagréables de leur état d'esprit. Tout comme Luka doit s'attendre à ne pas pouvoir se permettre de pleurer ses morts comme elle a pleuré Manek et le pleure encore, Ezéchiel doit se préparer à la voir débarrassée de sa pureté. Car des émotions si pures ne survivraient pas à un véritable drame, et elle le sait. Et ils ne peuvent pas se permettre d'encaisser des traumatismes trop vifs. C'est pénible, certes.  Mais c'est pénible pour tout le monde.

Dans une inspiration, Luka chasse ses macabres pensées. Elle en retourne naturellement à d'avantage d'esprit pratique. Ce genre de situation appelle les tensions comme il incite au rapprochement des êtres, en un paradoxe triste mais immuable. Les esprits épuisés trouvent plus facilement l'heur de se confronter aux autres, et le but n'est pas de se faire déborder par de petites frictions. Ils n'ont pas de temps pour ça.

" La priorité revient à ceux que les captifs ont déjà croisé, et ils sont tous dans cette pièce. Au moins, Peter et Emma sont protégés de ce côté là. Mais on n'a pas la moindre idée du degré d'énervement qu'ont provoqué les aveux, et des enquêtes qui s'en sont suivies. Aller voir les familles avec maladie chronique pour le leur demander reviendrait à se jeter dans la gueule du loup. "

Il va falloir réagir vite. Plus elle y pense plus l'évidence est criante : ils ont déjà beaucoup trop traîné. Elle a vécu des jours entiers de torpeur à ne plus avoir envie de penser à ce qui allait se passer, à faire l'autruche pour ne pas réaliser l'ampleur des dégâts qu'ils avaient subi, mais l'urgence est là et elle lui serre le coeur. A mesure que les minutes passent, l'envie lui prend, irrépressible, de courir à toutes jambes. Toute cette histoire la pétrifie d'angoisse. Glissant la main dans sa poche pour s'ébrouer et chasser les parasites, elle en extrait son tabac et roule une cigarette rapide, pour conclure finalement, le regard baissé vers son oeuvre.

" Le dernier message radio stipulait qu'il ne fallait plus venir après midi. On attend jusque là et on retourne au QG commencer à emballer. Jack passera un message radio dans la nuit pour annoncer la suppression définitive du quartier général, et un nouveau quand on saura exactement où on est installé. Demain matin, on part aux docks. Je suis sûre que ce sera parfait. "

Elle esquisse un sourire à l'adresse du prêtre, excuse informulée, trêve nécessaire anticipée. Puis elle sort du bâtiment et se réfugie sur les marches pour allumer la petite chose, chassant résolument les perspectives consistant à devoir déménager dans un entrepôt. Elle ne change pas seulement de base, elle abandonne sa maison, son foyer depuis huit ans. Et elle préfère encore ne pas y songer. La fumée âcre aura le mérite de noyer le poisson, pour le quart d'heure.

Midi sonne. Quelques personnes sont venus récupérer leur traitement et s'encquérir des événements. Tous n'ont pas pu mais il ne peuvent plus se permettre d'attendre. C'est donc avec toute la bonne volonté dont ils sont encore capables que la troupe s'en retourne vers le quartier générale, empruntant les voies souterraines utilisées à l'aller. Les chaussures font flosh flosh dans la bouillasse vaseuse et le silence, elle respire le moins possible pour éviter que les odeurs nauséabondes alentours ne la contaminent trop. Aidée par les deux hommes, tous trois parviennent à s'extraire finalement des galeries pour regagner le quartier général et commencer le nettoyage par le rez de chaussée. Le matériel médical reste la priorité, car c'est presque tout ce qu'ils emméneront avec eux, la nécessité de laisser tout le reste apparaissant assez évidente, pour faire le moins de trajets possible. Peter passera récupérer ses appareils photos dans l'après midi, et ils pourront tous aller dormir en évitant soigneusement de penser au lendemain.

Après réflexion, Jack décide de monter passer directement le message radio et Luka s'engouffre avec Ezéchiel dans la réserve de médicaments. Elle retire enfin chaussure et parka informe, retrouvant non sans un certain soulagement la fluidité longiligne de ses menues formes. Arrachant du mur une liste de traitements adressée à des patients réguliers, la jeune femme la pose devant eux, sur une étagère basse, et ouvre un premier carton pour l'examiner.

" Ne prends que le strict minimum. Les kits de secours, les antibiotiques, les traitements longue durée et les médicaments rares. On oublie tout ce qui tient du confort, aspirines, anti inflammatoires, ou les médicaments réservés à des gens qui ne sont pas venus depuis longtemps. Même principe pour la nourriture et les produits d'hygiène... Pauvre Jack. " murmure t'elle après un temps, dans un sourire, en le regard plongé dans son tri " Lui qui avait fait des pieds et des mains pour me ramener du café... "


We're catching bullets in our teeth
Its hard to do but they're so sweet
And if they take a couple out
We try to work things out
We're catching bullets with our
Heads and hearts and all the darkest parts of us
It's strange to find such lights
In such endless night

Clandestins
Ezéchiel Stone
Ezéchiel Stone
Informations
AVATAR : Paul Bettany

DC : Caleb Reed

DISPONIBILITÉ RP :
  • Disponible


COMMENTAIRES : La marche des vertueux est semée d’obstacles qui sont les entreprises égoïstes que fait sans fin, surgir l’œuvre du malin. Béni soit-il l’homme de bonne volonté qui, au nom de la charité se fait le berger des faibles qu’il guide dans la vallée d’ombre de la mort et des larmes, car il est le gardien de son frère et la providence des enfants égarés. J’abattrai alors le bras d’une terrible colère, d’une vengeance furieuse et effrayante sur les hordes impies qui pourchassent et réduisent à néant les brebis de Dieu. Et tu connaîtras pourquoi mon nom est l’éternel quand sur toi, s’abattra la vengeance du Tout-Puissant !

Ézéchiel 25, verset 10.
MESSAGES : 45

Date d'inscription : 03/09/2013


MessageSujet: Re: J'irai cracher sur vos tombes - Terminé J'irai cracher sur vos tombes - Terminé Icon_minitime1Ven 29 Nov - 3:09

Spend all our lives
On what we believe in
Struggle day by day
But never retrieving
Taking our chances
And follow the footsteps
Ancestors will take us to this fight
At the time it was blistering snowing

Il avait été silencieux durant tout le trajet. Leur promenade dans les égouts avait été rythmée uniquement par les bruissements des créatures veules et velues qui se tapissaient, furtives, dans les ombres des tunnels, en quête d'une opportunité. Le martèlement de leurs pas dans la bouillasse immonde qui recouvrait tout en ces lieux se répercutait à l'infini dans les galeries sans fin. Le clapotis de myriades de gouttelettes semblait résonner partout et nulle part à la fois, achevant de le désorienter. Ézéchiel réfléchissait, il craignait que ses mises en garde n'aient été mal perçues par les deux jeunes gens. Lui cherchait seulement à les protéger contre les horreurs à venir, pas à rajouter quelques bribes de peur et alourdir leur fardeau, bien au contraire. Il avait tenté de rendre cette évidence plus tangible, ils allaient tôt ou tard se faire rattraper par le gouvernement et il fallait s'y préparer. La question n'était pas tellement de savoir qui tomberai sur l'autre le premier ou s'ils en réchapperaient, mais bel et bien comment ils réagiraient.  Et de quelle manière cette expérience les changerait. Jack plus que Luka entrevoyait l'issue de l'aventure, il semblait avide d'en découdre et agirai en conséquence, le prêtre l'aurait juré. Mais la jeune femme ?. Il n'aurait su le deviner, certaines personnes n'étaient tout simplement pas faites pour endurer ce genre de pression, elles finissaient par craquer et se changeaient en...autre chose. La nécessité de survivre forçait l'être humain dans ses ultimes retranchements, et vous faisait découvrir des facettes insoupçonnées de votre caractère que vous n'auriez jamais voulu connaître. Il l'avait vu de trop nombreuses fois chez les soldats qu'il avait côtoyé au cours des conflits, bien peu d'entre eux avaient su faire machine arrière. Quand les nouveaux débarquaient au front, il fallait souvent attendre quelques semaines pour voir s'éteindre l'étincelle de vie dans leurs yeux, le feu de la motivation qui anime tous les bleus. Après être passé par l'enfer, il ne restait plus de novices, ils étaient soit mort, soit différents. Des morts qui marchaient pour certains, des acharnés sanguinaires pour d'autres, le mal qui les rongeait arborait bien des aspects, mais ils avaient en commun d'être méconnaissables à leur retour, même pour leurs proches. Les corps pouvaient avoir changé, subi les altérations de la guerre, ils demeuraient physiquement identifiables, mais les esprits, eux, étaient restés là bas, remplacés par... Encore aujourd'hui, il ne pouvait le définir, ni l'expliquer. Les seules qui le pouvaient, c'était ces personnes entre elles, et elles n'avaient pas besoin de mots pour partager leur compréhension, juste un regard qui disait "je sais, j'y étais". Il espérait ne jamais croiser cette expression dans les yeux de Luka, il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour l'éviter, mais il ne pouvait pas on plus vivre à sa place. Il savait qu'il l'insulterait en agissant de la sorte, et il nourrissait trop de respect pour elle pour seulement y songer.

Never really know about
Where we were going
Time is coming now
To cross over
Here and now until
The curtain lowers

Il essaya de ne plus ruminer ces sombres pensées il allait avoir besoin de toute sa capacité d'attention car les heures qui allaient suivre seraient cruciales pour leur petit groupe. Ils avaient distribués les derniers colis peu avant midi, aux rares courageux ou désespérés qui s'étaient présentés, il n'y en aurait pas d'autre avant un bon moment sans doute. Il se demanda comment ces braves gens allaient se débrouiller désormais. Il leur restait encore le marché noir, mais il frémit à cette idée, à ce que ces hommes et femmes de peu de bien pourraient échanger contre ces fournitures indispensables. D'où la nécessite de garder la tête sur les épaules pour faire redémarrer l'opération au plus vite. Et ça commençait par le déménagement de leur QG, ce qui leur prendrait plusieurs heures en faisant vite. Ils se répartirent les tâches et emballèrent le matériel médical avec milles précautions, ils n'auraient jamais le luxe de le perdre ou de l'endommager, mais durent laisser derrière eux des fournitures qu'ils regretteraient un jour, ils n'avaient pas le choix. Tandis que Jack préparait un dernier message avant le silence radio, ils allèrent empaqueter des médicaments indispensables, et opérer un tri rapide en fonction des plus urgentes nécessités. Le prêtre n'aimait pas devoir hiérarchiser la souffrance et décider de qui avait la priorité, car tous les nécessiteux l'avaient tous, sans exception. Mais il ne pouvait pas porter toute la misère du monde sur ses épaules, ce n'était le fardeau de personne en particulier mais une charge qu'il fallait répartir équitablement afin d'en supporter le poids. Certains se passeraient de traitement pour alléger les douleurs d'autres, il en irait ainsi. Tandis qu'ils emballaient le strict indispensable, il réalisa pour la première fois qu'ils n'allaient pas tous abandonner le même bâtiment. Pour Jack, ce serait comme de quitter sa tour, là d'où partaient ses messages tous azimuts, le lieu d'où il semait au vent des graines d'espoir à travers les grésillements saturés de sa radio. Pour lui, ce serait comme de quitter l'oasis qui avait jailli pendant sa traversée du désert, lui prodiguant soin et réconfort, la source qui l'avait nourri et revigoré, le paisible asile où s'étaient recueillis son esprit et son âme. Pour Luka, c'était plus que cela, elle allait quitter son seul vrai foyer, sa maison, son havre personnel qu'elle avait si souvent tenu ouvert aux indigents. Elle allait s'aventurer dans l'inconnu sans possibilité de retour, et cette idée devait la terrifier. Elle n'abandonnait pas que le confort de quelques plaisirs terrestres, comme son café chéri, elle laissait de côté tout un pan de sa vie, sans certitude aucune que le sacrifice ne sera pas accompli en vain. Le temps de ces réflexions, ils eurent terminé leur besogne et commençaient à empiler les boîtes avec le reste du matériel. Quand ce fut fait, Ézéchiel tira de sa poche une vieille bible aux pages jaunies, aux coins racornis par l'usure. Le cuir de la couverture n'avait pas été épargné par la patine du temps et craquait sous les doigts. Il la tendit à Luka et lui demanda de la feuilleter. Sur les pages, dans les marges et entre les lignes s'étalaient des écritures manuscrites différentes, racontant des histoires brèves, parfois un seul mot avait suffit pour résumer une pensée, on y voyait aussi des dates, des dessins dont certains n'avaient absolument pas leur place en ces pages. Devant le regard interrogateur de la jeune femme, le prêtre sourit et expliqua

Slaying all the evil down below
Onwards we ride now
To what we know
Strong enough to stay
And carry on forever
Brace your soul
To fight whenever

"Avant de partir au front, le père qui m'a ordonné m'a offert sa bible, celle là même qu'il tenait de son mentor. Il m'expliqua que c'était comme une sorte de rituel, une passation de flambeau en quelque sorte, en moins cérémoniel. Il ne m'avait pas transmis que son savoir ou un objet représentatif de notre fonction, ni même la sagesse universelle du message, non, il m'avait transmis la continuité. Les soldats de jadis se faisaient aussi prêter cette bible par leur aumônier, certains pour tuer le temps, d'autres pour commencer à croire et bien des motifs encore. Quelques uns ont laissé un message, et les lecteurs suivant pris le relais. C'est parfois profond, parfois vulgaire, ou même déplacé par endroits, et parfois aussi beau que vrai. C'est le témoignage émouvant d'anonymes qui répondent à des inconnus à travers les époques. C'est la preuve que nous sommes tous connectés, même si nous ne sommes plus. Ce que nous faisons, qui nous sommes, tout ça perdure. Cette Bible ne me quitte jamais, partout où elle se trouve, je me sens chez moi, je m'y rattache et ses mots sont mon foyer. Tu devrais prendre quelque minutes pour faire tes adieux à ta maison, je vais finir ici, ne t'inquiète pas pour moi, ça ira. Emporte avec toi ce qui te semblera le plus approprié, car survivre ne suffit pas, il faut vivre. Prends un peu de cet univers auquel tu appartiens et qui t'appartient, quelque chose qui t'apportera un peu de réconfort."


Never know how far we travelled
We will have our stand
Across the deepest oceans
Gold is in our hands
Good things will come
For those who wait we can't deny
Still the battle raging and the fire burns inside

Il n'osa pas ajouter "un jour, ça pourrait te sauver la vie", mais il en était presque certain. Il prierait de tout son être pour se tromper.

Take you with me, we will fly across the sea
To the land of the sun where our journeys begun
All fear is gone, we sail until the dawn
Deepest fears will burn inside your mind
For the souls lost in endless time

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MessageSujet: Re: J'irai cracher sur vos tombes - Terminé J'irai cracher sur vos tombes - Terminé Icon_minitime1Sam 30 Nov - 17:25

You whisper prayers into the dark
Up to a god in whom you've never believed
You always do
You split the secret up six ways
But it won't make it any easier to see
And now
We don't remember



Ma femme vient d'accoucher. Je suis papa. Merci Seigneur.



Un carton après l'autre. C'est ainsi qu'il faut voir les choses, pour ne pas se laisser déborder. Des boîtes en carton empilées dans d'autres boîtes, telles de cyniques poupées russes, et le bruit sec d'un rouleau de scotch éventré pour les refermer une à une, en gestes méthodiques. On hiérarchise les maux de la terre et la teneur de notre défaite, en prenant soin de tenir le regard à notre tâche pour ne pas se risquer à en croiser un autre quand s'empilent, imbriquées les unes aux autres, toutes les preuves de notre échec. Luka met la morphine dans de jolis cartons et le spasfon dans de grossiers sacs poubelles. Les aigreurs d'estomac sont un caprice que ces messieurs dames ne pourront pas se permettre en temps de guerre. A qui viendra pour une fièvre passagère, il faudra expliquer que, très cher, ce n'est pas possible ça, on n'a rien pour vous. Qu'il faut un peu se rendre compte de la situation actuelle avant de se lancer dans des extravagances comme un invraisemblable mal de crâne. Qu'on a pas idée d'avoir le colon irritable par les temps qui courent, non mais sans blague. Et le scotch crie de protestation entre ses mouvements secs, en autant de soupirs désapprobateurs. Arrivés au bout, il y a presque autant de médicaments abandonnés que de rangés. Et son orgueil vibre avec les derniers morceaux d'adhésif, de rage et d'impuissance. Qu'on les menace de mort est de destruction est une chose mais qu'on ose toucher à son mouvement, qu'on la contraigne à ce genre de concession à l'égard de ses propres principes, elle ne l'accepte pas. Ce n'est pas souvent, que la colère la prend au point de lui donner des envies d'en découdre, autrement que par les mots. Mais être réduite à ça, cette vulgarisation de sa propre foi, jusque dans sa demeure, à laquelle on l'arrache par ailleurs sans vergogne, fait trembler son coeur de rage.

Parce que Luka Earhart est peut être une idéaliste, incapable de braquer un flingue ou encore moins de porter atteinte à quelqu'un. Mais s'il y a une chose à ne pas faire, c'est empêcher ses principes. Et le Gouvernement ne réaliste pas, à quel point il était imprudent de leur part de toucher à ça. Elle non plus, d'ailleurs.
Pas encore.
Je prierais pour que ce ne soit jamais le cas, si j'étais vous, messieurs.


J'ai vu un enfant jouer avec un chien dehors, aujourd'hui. Ca faisait des lustres qu'on avait pas vu d'enfant dans les parages. C'est effrayant. Beau mais effrayant. Comme les bombes qui éclatent au loin, dans le ciel. Parce qu'on a pas idée qu'un truc aussi terrible soit aussi joli à voir. Je sais pas ce qu'en pense Dieu, de la beauté des bombes dans le ciel et des enfants dans les champs de mine.



Tout à sa silencieuse colère, Luka jette un regard à l'objet apparu dans son champs de vision, par dessus les boîtes, entre les doigts du prêtre. Sa main, qui avait si brusquement refermé les derniers cartons, prend le temps de se faire délicate à nouveau pour s'en emparer, glissant un oeil interpellé à son adresse. Elle n'est vraiment pas d'humeur à prier, ou encore à se recueillir autour d'un énième élan de spiritualité mais se retient de le dire, par respect pour son ami. Même si, très sincèrement, elle préférerait qu'il se taise, maintenant. Qu'il la laisse se débarrasser des tourments métaphysiques de l'existence pour réussir à faire ce qu'il reste à faire. Que tout le monde se taise, maintenant. Et se contente de faire son travail. D'autant que, sans manquer de respect à Son égard, ce n'est pas Dieu qui pourra les sortir de ce pétrin là. Bon gré mal gré, elle s'empare de l'ouvrage vieilli et en feuillette quelques pages, écoutant d'une oreille les explications du prêtre. Un " oh " s'échappe de sa bouche en réponse à ces explications, venant quelque peu contredire ses hâtives, pessimistes conclusions. Rapidement, ses yeux lisent les lignes manuscrites imbriquées entre prières et psaumes et son coeur se serre légèrement, tant de par la lecture qu'à cause de ce qui lui parvient aux oreilles. Ca non plus, elle n'avait pas envie d'en parler. Il aurait fini par être temps d'y penser mais repousser l'échéance, quitte à commettre une irréparable erreur, lui convenait très bien jusque là. Sans main referme le livre quand un vertige lui prend soudainement le crâne, une boule malvenue déjà reformée dans sa gorge. Elle inspire l'air à plein poumons, espérant qu'un petit filet passe entre les mailles de sa trachée minuscule, et lui rend le livre, dans un acquiescement maladroit, un sourire pâle au coin des lèvres.
Non, elle n'a vraiment plus envie de s'épancher, maintenant.


Fred est mort. Alice aussi.
Ces enfoirés les ont descendus. Je le crèverai, putain.
Je les crèverai jusqu'au dernier
.



J'ai peur.

Si je traverse les ravins de la mort,
  je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi :
  ton bâton me guide et me rassure.
Si je traverse les ravins de la mort,
  je ne crains aucun mal,
////////////////////////////Je crois que je ne me souviens même plus comment on a commencé cette guerre, ou pourquoi.
Mais je ne me souviens pas non plus de ce que je faisais avant. C'est comme si j'avais juste été largué là, depuis toujours. Je sais plus comment faire autrement. Qu'est ce qu'il y a, après, au juste ?

car tu es avec moi : ////////////////////////////
  ton bâton me guide et me rassure. ////////////////////////////
Si je traverse les ravins de la mort,
////////////////////////////
////////////////////////////////////////////////////////////C'est quel jour ?
 
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi :
  ton bâton me guide et me rassure.
Si je traverse les ravins de la mort,
  je ne crains aucun mal,
car tu es ...


" N'oubliez pas les cuves et les produits de stérilisation quand vous vous attaquerez au bloc, c'est important. " souffle t'elle seulement, tournant les talons pour sortir. Ce à quoi elle ajoute, après un instant d'hésitation, avant de franchir le pas de la porte. " Merci. "


Luka avale donc les étages puis sa petite échelle en bois pour affronter la dernière épreuve avant la suivante, d'un pas réticent. Arrivée au milieu de sa chambre, elle serre légèrement les dents, et referme la petite trappe par laquelle elle est entrée d'un geste sec. Seule, son regard glisse sur les lignes immobiles de son existence, l'histoire silencieuse de ces huit dernières années. De la vieille machine à coudre posée sur une table entre les livres de brocante au tas de tissus plus ou moins brodé s'étalant de part et d'autres de la pièce, en passant par son matelas de fortune, glissé entre les poutres épaisses faisant office de comble, tout est là, ou presque. Elle a vécu, dans ce substitut de chambre. Elle y a pleuré, elle y a ri, connu des amants de fortune comme des nuits solitaires. Elle y a bu de la mauvaise liqueur et fumé des cigarettes en regardant les étoiles par la minuscule fenêtre de toit au dessus de sa couche. Elle s'y est autorisée à douter, à crier, à pester, à espérer. Tout ça pour finir dans un container en tôle, sans air ni fenêtre. A nouveau, la sensation d'être une petite fille arrivée là par hasard. C'est comme si les heures se mettaient tout à coup à courir beaucoup trop vite pour elle. Comme si elle s'épuisait à rattraper un instant inaccessible, hors de son temps, le seul capable de lui donner les clés pour comprendre ce qu'il lui arrive. Il est là, au loin, à courir à toutes jambes, l'instant. Il court, il court. Il lui échappe.

D'un pas lent, elle se dirige vers son matelas pour s'y asseoir. Machinalement, sa main s'empare d'une petite boîte en bois, restée depuis toujours à ses côtés, chaque nuit que Dieu fait. Elle en ouvre le vieux couvercle d'un geste précautionneux et en arrache quelques bibelots pour enfin extraire deux photos, une feuille et un appareil. Posant le dernier sur ses jambes, elle prend un instant pour contempler les photographies des deux hommes s'étant réellement arrêtés dans sa vie et s'empare enfin de la feuille, puis d'un stylo. C'est la fameuse lettre qu'elle a écrite après la mort de ses troupes, parce qu'elle avait besoin de hurler tous ces mots, et qu'il aurait été dangereux de les exprimer à voix haute. Poussés par un instinct étrange, ses doigts rédigent seulement une petite note en bas, dans l'esprit des soldats qui se faisaient une petite place entre les paroles bibliques. Après quoi elle enfonce les deux photos dans la poche de son jean, range le reste et se relève, la boîte puis sa machine à coudre sous le bras, deux objets dont elle ne se séparerait pas même sous la torture. Le reste sera reconstruit. Si Dieu le veut.



En bas, on emballe les dernières bricoles. Peter est arrivé avec une vieille fourgonnette, masqué pour ne pas risquer d'être dévoilé, car aucun n'est idiot au point de se croire à l'abri d'une étroite surveillance. L'ennemi est là, quelque part, il épie en attendant son heure, souffle glacial sur la chair de leurs nuques. Le photographe range son plus précieux matériel et délaisse ce qui pourra se racheter un jour, puis on règle les derniers détails, et Luka dépose enfin machine et boîte dans le coffre, par dessus tout le reste. Les deux hommes proposent d'aider au transport du matériel qui doit être acheminé à l'église et un léger silence s'installe dans les anciens dortoirs de l'hôpital. Dans un petit sourire, Luka s'approche d'Ezéchiel et ouvre les bras pour le serrer contre elle, lui souhaiter bonne chance. Il ne restera pas au quartier général, cette nuit. Elle refuse. Officiellement parce qu'un plus grand nombre est autant de chances d'avoir des captifs si jamais ils doivent s'enfuir. Officieusement parce que, s'il est d'avantage prêt au combat que n'importe lequel d'entre eux, il est aussi le moins préparé à une sanglante défaite. S'il en est un pour poursuivre jusqu'au dernier homme, c'est bien lui. Un seul qui, épargné du spectacle d'un éventuel massacre, trouvera la force de continuer envers et contre tout.  Elle ne le lui a pas dit, l'excuse du plan de fuite était trop belle, mais il doit s'en douter. Ezéchiel ne veut pas laisser Luka sombrer dans ses retranchements et Luka ne veut pas laisser Ezéchiel voir son cadavre. Elle ne peut pas.

Son étreinte se resserre sur une larme intime, perdue contre son épaule, disparue aussi vite qu'elle est née. Elle inspire et se détache, sans un mot. Le regarde une dernière fois pour imprimer son visage, en silence. Et dans son esprit, la petite note écrite en bas d'une lettre résonne, ordre inflexible, immuable commandement.



P.S : N'oublie pas.


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