« J'adore Noël vous savez ? »

Ce sont les mots d'Hope avant que nos quatre petites sauterelles entrent à l'intérieur du centre commercial. Une fine couche de neige squatte le sommet de son bonnet alors qu'elle laisse ses cheveux pendouillés sur son dos à l'air libre. Rien à faire de l'humidité : c'est Noël ! La Zinc agit telle une enfant survoltée : vous auriez dû la voir avant le départ ! Elle se gênait à peine pour mettre la pression aux trois autres pour qu'elle se dépêche, sous prétexte que des connards prendront tout ce qu'il y a d'intéressants avant elles si ce rythme de croisière continuait. Connaissant un peu le caractère de Dahlia, elle se disait bien que cet argument ferait son bout de chemin. Enfin, qu'en sait-elle ? De toute manière, elle s'en fiche : l'important, c'est qu'elles ont abouti à cette destination de joie, de consommation et symbole en puissance du capitalisme : le centre commercial !

Si sa soeur jumelle est présente, elle n'est évidemment pas la seule : Eloïse et Anastasia les rejoignent également. Depuis le temps, ces deux bestioles (comme Hope les nomme affectueusement dans sa tête) ne lui sont plus inconnues. Nourrit-elle une amitié particulière envers ces deux-là pour autant ? Non. La débilité d'Eloïse exaspère la Zinc (et pourtant elle devrait prendre exemple sur elle, parfois...), de même que les sensibilités délicato-faiblardes d'Ana. Les poèmes, c'est pour les tapettes ! Sachant où vont les perversions de White, Hope ne doute pas un instant que la poésie rende dégénérée. Ironiquement, si quelqu'un a un urgent besoin de culture et d'ouverture d'esprit, c'est bien notre petite gamine sanguinaire facilement impressionnable par n'importe quel truc inutile se trouvant au centre...

De bons souvenirs des fêtes, elle en a peu, à dire vrai. Les cadeaux ? Ça ne ressemblait en rien aux anciennes traditions occidentales, où on gavait les enfants de leurs plus matérialistes voeux. À ses cinq ans, elle a reçu une peluche déjà usée que son frère a malencontreusement quelques jours plus tard. Les garçons, de sacrés farceurs ! Bref : s'il n'y avait eu que des choses comme ça, ces Noëls n'auraient pas été si mal. Après tout, parfois son père adoptif était là et elle recevait quand même un petit quelque chose, puis, elle ne mourrait pas de faim. Bon, ce n'était pas la grosse dinde, mais ça restait tout de même relativement consistant. Seulement, la jalousie la peine de voir ceux qui passaient un meilleur Noël que le sien. À l'époque, elle aimait se venger en lançant des boules de neige, bien glacées à l'intérieur, à ses camarades.

Désormais, une chose est certaine : elle passera un merveilleux 24 décembre ! Elle possède un peu d'argent de poche, de l'académie bien sûr il ne faut pas déconner, et sa naïveté pathétique du moment lui bourre le crâne d'une idylle selon laquelle plein de gens voudront lui faire un cadeau, inévitablement ! L'évidence ! Elle veut y croire et comme c'est une fête de miracle, Hope se persuade elle-même qu'on lui souhaite le meilleur. Wellington prend la tête du groupe, pensant établir un certain leadership en prenant de l'avance, avant de se retourner vers les autres.

« Vous n'êtes pas contentes, les copines ? Il y a tant de choses à voir, ne perdons pas de temps ! Allez, Eloïse ! Je sais que t'es Plomb et qu'c'est plus fort que toi de ne jamais être satisfaite de rien mais c'est Noël ! »

Toujours agréable, compréhensive et aimable, gare à vous, Hope Wellington envahit la place !

Jingle bells, jingle bells, jingle all the way, voilà la chanson qui retentit dans les rues et les cœurs de la ville. Des flocons viennent parer les cheveux de Dahlia, qui se demande combien de temps cette musique prendra pour lui sortir de la tête, cette année. Pour ce qui est de la rose, c'est belle et bien une fleur arrachée à sa tige et non une réplique en plastique, qui est glissée entre ses mèches. Il faut dire que la demoiselle ne tolérerait ce genre de « bijoux » factice que si la sécheresse s'abattait sur terre et qu'il n'y avait plus une goutte d'eau pour faire pousser quoique ce soit à mettre dans sa chevelure. Et encore.
Pour ce qui est de la provenance de l'artifice, Rops l'a bien entendu chapardée dans une boutique de fleuriste, dont le vendeur n'était pas suffisamment attentif pour qu'on puisse considérer comme respectueux de ne pas lui voler quoi que ce soit. Et puis où pourrait-elle trouver des fleurs à part dans ce genre de commerce ? Néanmoins, la rose commence à manifester son mécontentement concernant la température extérieure, mais tant que les trois compagnonnes de la Zinc ne lui disent rien, la bonne ambiance sera conservée. D'autant plus que dans quelques minutes, ses pas se poseront sur le sol sans plus s'enfoncer dans la neige en produisant un bruit mat.

La chaleur du chauffage souffle enfin sur les joues de Dahlia tandis qu'elle franchit la porte, provocant une légère sensation du brûlure qui n'a rien de désagréable par le froid qu'il fait. Des petits picotements parcourent sa peau et ses mains, auparavant enfouies dans ses poches, sont à présent contre ses hanches. Tandis que Hope se met à parler, elle contemple le lieu. En effet, il y a plein de choses à voir, et ça, ça veut dire qu'il y a plein de choses à piquer. Dépenser l'argent de poche de l'Académie ? Très drôle ! Depuis qu'elle est arrivée, la demoiselle planque le moindre centime qu'on lui donne, et pour trouver sa cachette, il faudra chercher ailleurs que dans sa chambre. Après tout, elle sait bien que l'établissement où elle est scolarisée grouille de voleurs et de racaille, alors elle a prit ses précautions.. Hum.

« Ouais c'est assez grand ici, je sais pas si on va pouvoir faire tout le tour. Puis Ana on va trouver des choses qui vont te plaire, même si on trouvera pas le genre d'articles que tu préfères ici. » Dit-elle en voyant la mine légèrement dépitée de la Baudelairienne. Dahlia, elle, ne savait même pas qui était ce type, mais à force de traîner avec celle aux cheveux noirs, on finit par connaître un minimum le penchant de l'homme pour la dépression. De toute façon, la fille White s'en remettra, elle s'en remet toujours. Les guirlandes rouges et dorées renvoient des éclats de lumière magnifiques qui lui feront oublier sa peine ; il paraît que les américains ont toujours aimé sortir le grand jeu pour la fête de noël. « Bon, quelqu'un à une préférence concernant le premier magasin qu'on visite ? Oh et d'ailleurs puisqu'on est réunies toutes les quatre, c'est peut-être le moment de parler du projet qu'a Hope, non ? Je ne sais pas si vous êtes toutes au courant, mais bon, noël, c'est le meilleur moment pour décider des choses à venir. » La Fleur est pressée de mettre cette histoire en route, elle se dit que plus vite elle se ferait du fric et plus vite elle pourrait quitter l'Académie et mener la belle vie. La gamine supporte mal de devoir passer son temps à se retenir de piquer quoi que ce soit quand elle sort en ville, tout ça pour éviter d'être rétrogradée au rang de Plomb et perdre les quelques privilèges que lui offrent sa place de Zinc, et ce soir ne serait sans doute pas une exception.

Elle était effectivement maussade.

Noël lui rappelle le jour de l'an. La nouvelle année, c'est un chiffre de plus à mettre sur la vieillesse du décès de son Poussin. Quelque part, Eloïse chipote sur les petits détails pour se réconforter, en un sens, de son malheur. Pourquoi accorderait-elle la joie avec les autres ? Ils ont de vraies raisons d'être heureux, eux, si on exclut le temps des fêtes. Par exemple, ils n'ont pas vécu la mort de leur meilleur ami volatile et jaune ! Quelle injustice ! Ils se baladent, comme ça, insouciants et souriants, alors qu'elle porte ce souvenir douloureux qui ne la lâche pas d'une semelle.

À dire vrai, sans être d'une nature particulièrement égoïste, la Plomb ne pensait pas à dépenser son maigre montant pour quelqu'un. Cette mission morale, imposée par la bienfaisante académie, semblait aussi importante que devoir pointer le bout de son nez à l'extérieur, tenter d'attraper un flocon avec sa langue et tournoyer en fixant le ciel comme dans les films. Remarque, ça n'étonnerait personne qu'elle le fasse et ça reste toujours plus intéressant qu'un cours. À bien y penser, Eloïse se dit que l'idée est bonne. Elle s'extirpe de son trou, vêtue en conséquence du froid hivernal, et commence son numéro devant le pensionnat, y compris ses trois meilleures copines (à savoir sa demi-soeur, Anastasia, la Dame Fleur, Dahlia, et cette connasse de Hope). Elles attendaient qu'elle débarque pour faire du shopping et la voilà qui se tape un énième délire en direct. Inutile d'expliquer la perplexité de ces trois dernières à la vue de leur amie blonde en train de tourner sur elle-même comme si c'était un tic irrésistible, sans compter les réactions diverses des inconnus qui assistent à la scène. Finalement, elle s'arrête, se sentant beaucoup mieux tout d'un coup. Oh, sa mine boudeuse ne disparaît aucunement mais elle trouve l'énergie nécessaire à ne serait-ce que vouloir sortir. La journée s'annonce longue.

Le centre commercial n'émoustille pas Eloïse, au contraire de Hope, manifestement. Celle-ci en profite pour l'énerver et comme ultime réponse, Cohen murmure des insultes violentes à son égard en lui jetant un oeil mauvais. Cette fille ressemblait peut-être à Dame Fleur mais elle ne possède ni sa classe, ni son prestige et encore moins cet aspect, mystique dira-t-elle, qui la pousse à lui vouer un culte de la personnalité. À ses paroles, des étoiles apparaissent dans les yeux de la psychotique, admirative de... quelque chose. Elle l'admire, c'est tout. Elle ne porte aucune attention à sa demi-soeur un peu contrariée : elle s'en remettra, comme toujours...

Un projet ? Elle oublie immédiatement les cadeaux, les magasins, obnubilée par ce mystérieux projet que Dahlia évoque. De quoi parle-t-elle ? Qu'est-ce qui se passe ? Elle veut tout savoir ! Tout ! La plomb n'est pas loin de sautiller d'excitation et d'empressement.

« Un projet ? De quoi parlez-vous ? Je veux savoir ! Je veux participer ! Soyez sympas, dites-moi tout ! Allez... »

S'il y a une ressemblance indéniable entre la sadomasochiste et la psychotique, c'est la difficulté qu'elles ont à encaisser le rejet. Elles réussissent, certes, à penser au-delà mais non sans peines, larmes et des accords de harpe dans le cas de notre mauvaise dragueuse notoire. Si on lui refusait de lui dire toute la vérité, ou un mensonge qui l'arrange, on ne saurait prédire sa réaction et sachant de quel pied elle se lève ces derniers jours...

Hope ne voit pas d’un bon œil l’insistante d’Eloïse. La petite devrait se sentir chanceuse, même privilégiée, de côtoyer un groupe aussi sélect que son cercle d’amis. Évidemment, pendant ce temps, l’ironie des pensées de la demoiselle atteint un niveau record. Depuis quand Wellington déterminait qui était bien ou pas ? Ce privilège reste entre les mains de filles plus… normales ou intelligentes. Un regard hautain juge, de ses traits mauvais, Cohen. En tout cas, ce n’est pas elle qui en dira plus sur les plans à venir : inclure Dahlia dans ses combines, c’était déjà quelque chose bien qu’elle ne regrette rien. Pour ce qui est d’Anastasia, cela appartient carrément au domaine du comique : cette mignonne petite sadique connaitra enfin quelque chose d’un peu plus violent que ses parties de fouette-moi-le-derrière tristement solitaire. Eh oui, Hope est une connasse…

Avant qu'elle puisse cracher encore une petite dose de venin contre la Plomb pour ensuite décider très démocratiquement du premier magasin à visiter, les lumières du centre commercial s'éteignent sans préavis. L'absence de lumière s'abat si vite que durant quelques secondes, le brillant cerveau de notre demoiselle croyait avoir oublié d'ouvrir ses yeux après suite à un clignement. Eh bah non, rien de tel : une panne de courant se retrouve au menu du jour, ça ne prend guère de temps à la Zinc pour le constater. La musique fut interrompue par la même occasion, lui offrant une merveilleuse réflexion telle que : « Qui sont les connards de technicien qui gâchent mon Noël ? ». Parce que, bien sûr, ça ne viendrait même pas à l'esprit de la jeune femme qu'un autre puisse vivre une déception semblable à la sienne. C'est elle, Hope Wellington, elle et toujours elle. S'il fallait couper l'alimentation en électricité aux pauvres pour qu'elle vive des fêtes « acceptables », elle ne se gênerait surtout pas. On peut dire qu'il n'y a pas que l'eau qui soit glacée en hiver. Puis, un cri déchire le lourd silence.

Elle sent la détresse. Les narines du requin reniflent le sang frais des pauvres petites gens prises au dépourvu. Ses nerfs s’agitent. Un spasme d’excitation passe du bas du corps de la Zinc avant de venir la flatter agréablement les bras pour finir au cou. Elle pousse à son tour un petit cri aigu. Celui-ci n’a rien à voir avec la peur : c’est la démonstration de sa surprise mêlée à son début d’ivresse. Elle réussit à croiser le regard de sa jumelle. Leur présumé lien de jumelles leur permettaient-elles de s’aligner sur la même longueur d’onde et se retrouver au sein de cette obscurité ? Ou n’est-ce là que le fruit d’un pur hasard ? Quoiqu’il en soit, un large sourire invisible forme un rictus méritant de rester enfoui dans le noir. Hope attrape l’avant-bras de sa sœur. Elle s’y prend avec rudesse, comme à son habitude, mais sans vouloir exercer une contrainte plus que suffisante. Sa voix combine calme et une joie difficile à dissimuler.

« C’est notre chance. Laissons tomber les deux autres. Prenons tout ce qui nous plaît et dégageons en vitesse d’ici. »

Elle lâche son étreinte avant de tenir la main de sa jumelle. Une tendresse étrange la submerge. Elle aime bien Dahlia, finalement, même si elle n’hésitait pas à lui faire un de ces sales tours dernièrement. Après tout, ne partage-t-elle pas sa dite beauté ? Bon, elle était assurément un peu moins jolie, selon la délinquante, mais la base y est. J’aurais aimé avoir Dahlia comme sœur, pense-t-elle en se dirigeant à l’aveuglette vers un magasin de meuble. Une fois entrée, et ses pieds sentant le bois de plancher bon marché, leur union perdant sa synchronisation. Hope, en tout cas, espérait que son sac ne reste pas vide même s’il n’y avait rien de bien drôle dans des meubles. La chance, semble-t-il, frappe à nouveau alors qu’elle entend une gamine réclamée sa maman. Un sac en plastique assez blanc pour être discerné pendouillait entre ses petits bras. Rapace, elle saute sur l’occasion, arrache le sac et plante la petite au sol en lui donnant un solide coup de genou au ventre. L’opération durait en tout au maximum quatre secondes avant que la petite se mette à pleurnicher, par terre, en se tordant à cause de son mal de ventre. Elle s’éloigne de sa victime sur les bouts de pied, se faufilant de meubles en meubles en croyant dur comme fer qu’on ne l’attraperait jamais. Elle jubile. Pas le temps de vérifier le contenu. Probablement un jouet acheté par sa maman. Si elle a réussi à attraper son butin pour ensuite le cacher, c'est en pensant qu'elle était la meilleure que son front fit la rencontre avec une armoire. Les yeux de Hope s'accommodaient aisément de la noirceur grâce à ses longues nuits passées à arpenter les coins sombres de son petit ghetto. Cependant, ça ne la protège pas de son propre emportement et de son idiotie ordinaire. Pire encore : elle tombe à la renverse et atterrit maladroitement, comme la pachyderme qu'elle pouvait être, sur une chaise, provoquant un boucan certain toutefois plutôt banal lorsqu'on prend en compte les maladresses des autres clients de la grande boutique. En tout cas, Hope gardera quelques bleus. Étalée par terre, la Zinc se frotte la tête, douloureuse. Merde, pense la criminelle, est-ce que tout pourrait se passer comme prévu, pour changer ?