« Où est Jason ? »

Question stupide et inutile : le clown, la terreur du Quartier Sud, le fou, l'accro aux bombes et au sang était maintenant réduit à un rôle de concombre flétri. Si le Quartier Nord avait tremblé lorsque Calypso avait demandé à ce qu'on héberge le corps meurtri d'un des Grands de New-York, les choses avaient bien changées depuis... Les enfants n'avaient même plus peur de Jason Lecter.

Et dire qu'au moment du Grand Conseil d'Urgence, Calypso avait dû débattre pendant une journée entière. Elle avait dû mettre son nom en jeu, faire un vote de confiance, abattre ses arguments comme des cartes... elle avait pris des risques énormes pour faire accepter l'hébergement de Jason dans le Nord. Calypso avait dû pousser le personnel soignant à s'occuper du clown brisé et elle avait dû promettre de rester à proximité jusqu'au réveil. Et au moment du réveil, le Nord avait retenu son souffle. Pour rien.

Quelque chose avait cassé chez le clown, comme si un ressort s'était mis de travers. Les Nordiques cherchaient à comprendre mais personne n'osant vraiment parler avec Jason, les rumeurs allaient bon train : Jason était gâteux, il préparait un attentat, il faisait une allergie au gluten, il avait changé de cerveau avec celui d'un lama, il était devenu gentil, il avait pris quarante ans d'un coup... Pour Calypso, c'était évident : le clown déprimait. Et vu le personnage, il ne devait pas avoir l'habitude.

Précédée par le bruit de ses inséparables talons aiguilles, Calypso cherchait le fauteuil roulant dans lequel se morfondait l'ancienne terreur de New-York. La dépression et l'envie de tout foutre en l'air, elle connaissait : elle était passé par là un nombre incalculable de fois. Mais Jason n'avait sûrement jamais mis le petit doigt dans ce genre d'engrenage vicieux. Il ne devait même pas réaliser ce qui lui arrivait. Pour un peu, Calypso l'aurait plaint. Mais on ne plaignait pas quelqu'un comme Jason. Ça aurait été blasphématoire. Jason était un monstre et il se relèverait un jour, Calypso en était persuadée. Et pour préparer la renaissance, elle avait décidé de choisir un camps précis car tout fou qu'il était, Jason n'oubliait jamais. Et ça, Calypso avait bien l'intention de s'en servir.

« Ha tu es là. »

Comme s'il pouvait être ailleurs...

« On sort. Je t'ai pris une écharpe. »

Moins pour la température que pour garder un certain anonymat.

Si Calypso connaissait beaucoup de choses pour son âge, il y avait bien un élément particulier qu'elle connaissait mieux que personne dans son entourage : la dépression. A entendre ses talons claquer avec détermination, on pouvait facilement s'imaginer que la Reine du Nord ne connaissait pas la tristesse ou l'abandon ou même qu'elle obtenait tout ce qu'elle souhaitait sans avoir à prendre des décisions désagréables. On pouvait se laisser leurrer par son regard déterminé, par son sourire toujours présent ou par sa façon de se tenir droite comme si rien ne pouvait l'ébranler mais pour celles et ceux qui connaissaient Calypso de près, de sous la façade, la diversion ne durait pas longtemps. Malgré son statut de reine et de dirigeante du Quartier Nord, Calypso était humaine. Même plus humaine que beaucoup à New-York.

Pleurer en ayant l'impression de pouvoir remplir un océan avec ses larmes, hurler jusqu'à ce que les cordes vocales rendent les armes, frapper dans un sac de sable en attendant le moment où les muscles, trop épuisés, ne réagissent plus, manger jusqu'à vomir juste pour avoir la sensation, pendant une petite seconde, d'avoir réussi à combler le vide... tout ça, Calypso en avait l'habitude. Elle était tellement passée par l'étape « dépression », souvent arrivée avec ses amis « sentiment d'impuissance » et « culpabilité », d'ailleurs, qu'elle avait réussi à trouver des solutions pour s'en sortir. Depuis sa rencontre avec Andrew, Calypso n'avait cessé d'osciller entre dépression suicidaire et puissante envie de vivre. Son corps n'avait cessé d'hésiter entre tout laisser tomber ou puiser dans les dernières ressources et c'est justement cette dualité qui l'avait amené à être qui elle était aujourd'hui. Désormais, Calypso était capable d'entendre les signaux d'alarmes précédents une crise violente et elle avait plus d'un tour dans son sac pour affronter la dépression. Les défaites étaient régulières mais les moments sous dépression duraient de moins en moins longtemps et elle parvenait même, certaines fois, à ne pas en avoir du tout.

Quotidiennement, Calypso luttait pour ne pas céder à la facilité et donc tout laisser tomber. Elle aurait pu rendre les armes, décider de prendre sa retraite ou même quitter le pays et partir s'exiler en Suède mais à chaque fois, une petite voix en elle sifflait « pas encore » : Calypso avait un objectif à atteindre et tant qu'elle n'y serait pas parvenu, elle continuerait son chemin, quitte à vendre son âme au diable.

Des mois plus tôt, ça lui aurait écorché la langue que de l'avouer mais elle comprenait la situation de Jason. Le Grand de New-York, le Clown du Sud, le danger public, l'ennemi n°1... Il avait tenu la vie de tant de personnes entre ses doigts, il s'était assis au sommet de la ville et il avait laissé sa folie devenir réalité. Et désormais, il était bloqué dans un corps brisé et incapable de répondre. La folie tournait en rond sans pouvoir s'exprimer or pour Jason, tel que le voyait Calypso, la folie était plus vitale que le sang. Sans folie ? Pas de Jason. Alors le clown déprimait, encore et encore, ressassant sans aucun doute ses succès passés, sa vie « d'avant »...

Quelqu'un de plus sage et rationnel aurait sûrement laissé Jason dans cet état, ne serait-ce que parce que sans lui la ville était tranquille mais Calypso avait trop côtoyé Jason pour être qualifiée de rationnelle. A sa façon, Jason était nécessaire à l'équilibre de Calypso : en laissant libre court à sa folie, il permettait à Calypso de lâcher la bride à son imagination car pour lutter à armes égales avec le Clown, la Reine avait besoin de capacités cérébrales au maximum. Si elle était incapable d'égaler la folie de Jason lors de son âge d'or, elle avait néanmoins été la seule à prévoir à l'avance certaines attaques du Clown. Calypso ne se leurrait pas : si elle avait réussi plusieurs fois à prévoir les catastrophes ce n'était pas parce que son cerveau était divin mais plutôt car elle réussissait à prévoir certains pas de Jason. Certains, très peu même, mais cela lui avait toujours suffit à survivre et à permettre au Nord de rester intact. Prévoir un pas du Clown pouvait sauver la vie. En prévoir deux signifiait qu'il laissait une trace et donc qu'il y avait un piège en préparation. Avec Jason, Calypso avait toujours eu la sensation que la moindre de ses décisions pouvait déclencher la guerre comme la paix et c'était grisant. Sans Jason, il manquait quelque chose dans la vie de Calypso. Jason n'était pas seulement un adversaire à ne surtout pas quitter des yeux, c'était également une des rares personnes dont elle appréciait la compagnie. Et rien que pour ça, Calypso refusait de l'abandonner. Qu'allait devenir la Reine sans le Clown ?

« Là tout de suite ça me dit rien... Je suis pas très bon en matière de shopping tu sais ? »

La pitié était bien, selon Calypso, la dernière chose dont avait besoin Jason... mais la blonde avait du mal à rester de marbre face au désespoir du Clown. Il n'était plus drôle du tout, le Jason, et la Reine avait très envie de le prendre dans ses bras pour lui dire que tout finirait par s'arranger. Le mensonge était tentant....

« T'es pas obligée... »

Calypso avait un choix à prendre : ou elle se laissait attendrir et couvait Jason comme une poule avec son œuf, tout en sachant pertinemment que ça serait signer l'arrêt de mort de la Folie ; ou bien elle décidait d'agir comme avant afin d'assurer à Jason la certitude que tout n'avait pas changé.

« Ho bah ça... Je n'ai pas souvenir que tu ais déjà pu m'obliger à faire quoi que ce soit, Jason... »

La Reine avait fait son choix.

« Tu te doutes bien que je ne te fais pas sortir pour du shopping : si j'avais envie de perdre toute crédibilité, je te demanderai des conseils en maquillage mais, vois-tu, je tiens un minimum à ma réputation. »

Tout en posant l'écharpe autour du cou du Clown, Calypso laissa ses mains s'attarder un peu plus longtemps sur les épaules de Jason. C'était son signe à elle, sa façon de dire « je suis là » tout en évitant de tomber dans le mélodrame et la pitié. Calypso n'avait pas pitié de Jason, non. Tout rabougri qu'il était, elle continuait de ne voir comme il avait été et comme il serait bientôt, dès qu'il aurait fini de ressasser. Le légume prostré dans son fauteuil, ce n'était qu'un moment à passer.

« Je t'aurai bien laissé broyer du noir mais j'ai besoin de ton cerveau... ou plutôt... de l'araignée qui vit dans ton plafond. » Calypso se plaça face à Jason et se pencha vers lui : « Tu ne veux pas savoir pourquoi j'ai tellement envie qu'on sorte tous les deux ? »

Lorsque Jason posa la main de Calypso contre sa joue, la blonde faillit craquer pour se blottir contre lui. Qui aurait pu prévoir qu'un clown brisé pouvait faire aussi mal au cœur ? Fut un temps, elle aurait payé très cher pour voir un Jason unijambiste enfermé dans une cage mais maintenant qu'il se tenait devant elle, brisé, Calypso ne rêvait que d'une chose : entendre son rire grinçant. Ce fameux rire qui avait fait sa réputation et qui donnait des cauchemars à n'importe quel policier. Calypso aurait pu le reconnaître entre milles tant elle l'avait entendu de près, de trop près parfois mais désormais la seule chose qui résonnait entre ces murs, c'était les bâillements du molosse, fidèle compagnon du clown triste.

« Dis toujours, au pire tu me feras la conversation et ça me fera passer... le temps. »

Calypso s'apprêtait à répondre lorsque Jason s'activa d'un coup. Elle se dirigea alors vers le dos du fauteuil pour le pousser.

« Bordel mais ça pèse un âne mort, ce truc ! »

Calypso s'entretenait et faisait du sport mais pousser cette machine de guerre jusqu'au seuil de l'appartement lui semblait complètement monstrueux. Qui était l'abruti qui avait construit ça ? Elle aurait moins galéré à pousser un cadavre, merde !

« Ton copain hm... Den, Drake... Blair enfin, le grand nordique là il pouvait pas t'aider sur ce coup ? Je me demande hein, c'est pas comme si j'étais la première personne que tu venais voir en cas de question ou de... problème. »

Calypso réussit péniblement à garder un semblant de dignité en répondant, tout en poussant le fauteuil : « Le Suédois de deux mètres c'est Sven, pas Blair... Il est occupé en ville en ce moment et Taleh, le grand noir de deux mètres, il aide au réaménagement d'un immeuble un peu plus loin... Tiens c'est marrant quand même : je m'entoure que de gens grands... C'est assez ironique pour quelqu'un qui ne supporte pas qu'on la prenne de haut. »

Mais bordel, il était fait en quoi ce fauteuil ?!

« M'enfin si tu comptes sur un esprit tordu c'est clair que tes gars sont bons à rien... sans offense. »
« Ha bah ça... Le Nord ça a toujours été un quartier de bisounours de toute façon... »

Enfin, ils étaient dehors... Calypso profita de cette pause bienvenue pour se demander comment elle allait réussir à pousser le fauteuil hors du Quartier. Déjà que sur un sol plat, c'était une catastrophe à pousser alors avec de la neige ? Bordel de poil de nouille, elle aurait dû demander à Taleh de l'accompagner ! Comme ça il aurait fait fonctionner ses bras musclés et Calypso aurait pu continuer à avoir le style à côté. Là, elle en était réduite à se demander si elle n'allait pas moins en chier à porter Jason directement dans ses bras. Pas sûr que le clown accepte cela dit...

« Bon, faut buter qui ? »

Calypso avait reprit son souffle et répondit donc d'une voix normale : « Pour l'instant personne de précis... Non, là on part en chasse, mon cher ! » Elle laissa un ange passer autant pour l'effet de l'annonce que parce qu'elle venait de se rappeler que le fauteuil de Jason était censé être électronique et qu'il pouvait donc se déplacer tout seul. Quelle gourde.

« On se met en route et je te raconte ce qui me préoccupe. » Calypso ajusta son manteau en fausse-fourrure blanche en jetant un œil à Jason : « Je me suis mise en blanc comme ça s'il y a du danger, je me jette dans la neige et tu fais diversion. Ça marche ? » Un peu d'humour, que diable !

Ils prirent la direction de la frontière séparant le Quartier Nord du Quartier du Milieu.

« Que je t'explique un peu. L'autre jour je me promenais dans le Milieu : je cherchai une robe bleue parce que, soyons honnête, le bleu ça me va vraiment bien et puis je m'ennuyais. Mais la mode de cette année est vraiment à chier ! Qui peut porter des tuniques informes marron ? C'est laid et ça ne met même pas le mannequin des vitrines en valeur... C'est dire. » La blonde faisait volontairement durer le suspense « J'errais donc, telle une âme en peine, lorsque soudain... J'ai frissonné. Rien de bien fabuleux vu la température mais non, ce n'était pas un frisson de froid. C'était un frisson de peur, de terreur en fait. Je peux bien te l'avouer, j'ai failli me faire pipi dessus. J'avais l'impression d'être acculée sans aucun espoir de survie. Et puis bam, plus rien. Comme si j'avais rêvé ! J'ai acheté ma robe, rouge évidemment parce que la bleue avait une coupe hideuse, et j'y ai réfléchi pendant tout le trajet. J'étais sûre et certaine d'avoir déjà ressenti ce genre de frisson horrible. Mais quand ? Et soudain j'ai su ! Il n'y a qu'une seule personne dans cette ville qui m'a terrorisé au point de vouloir me transformer en limace. Ce n'est pas toi alors devine qui c'est ? »

« Bah voyons et je les distance avec mon bolide de compétition ?! Faudra voir à le bricoler un peu avant parce que là, je pense pas aller bien vite. »

Calypso visualisait déjà la scène : elle se jetant dans la neige et Jason filant à tout allure en faisant des dérapages contrôlés. La blonde s'autorisa un sourire en se disant que, mine de rien, elle payerait assez cher pour voir ça. Mais la réflexion sur la lenteur de l'engin se nicha dans un coin de son cerveau. Calypso avait entendu parler des fauteuils de l'avant nano-bombe et elle se demandait si l'un des inventeurs du Quartier ne pouvait pas voir pour tenter de s'en approcher. Bien évidemment, ils ne risquaient pas de recréer ce qui avait été fait avant la nano-bombe mais il y aurait peut-être moyen de faire quelque chose pour, qu'en cas de pépin ou d'ennui, Jason puisse prendre la fuite ? Peut-être qu'on pourrait rajouter une sorte de lance-pierre qui balancerait des fumigènes ? Ho ho...

« On demandera aux inventeurs... Je suis sûre qu'ils auront plein d'idées pour l'améliorer... On pourrait même leur demander d'ajouter un lance-fusées ! »

Lorsqu'ils arrivèrent à la frontière, Calypso n'avait toujours pas terminé son histoire et Jason faisait des réflexions ça et là, signe qu'il suivait le monologue. La blonde ne pu que hocher la tête à l'affirmation de Jason comme quoi le marron et le moutarde étaient des aberrations. Il y avait sûrement trois personnes sur cette planète à qui ces couleurs allaient bien mais est-ce que créer autant de vêtements à la chaîne pour trois personnes était vraiment utile ? Calypso n'avait jamais vraiment compris pourquoi on fabriquait des vêtements dont la coupe n'était étudiée que pour un unique type de morphologie. Encore qu'aux États-Unis, il y avait des efforts de fait : le gouvernement voulait que tout le monde puisse s'habiller quelque soit son physique donc les magasins étaient donc obligé de varier les coupes et les couleurs mais certains continuaient à faire comme à l'étranger et ne proposait qu'un seul type de coupe et une variation de couleurs digne de la variation de plumage d'un ramier blanc.

« C'est sûr... Je pense commencer à me renseigner pour du sur-mesure. J'en ai assez de traîner dans des boutiques pour trouver des pâles copies de ce que j'aimerai porter. Je mérite mieux qu'une robe déclinée en plusieurs exemplaires, humf. »

Ils marchaient dans la rue et les passants, trop préoccupés par leur volonté d'éviter de se vautrer en public, ne les regardaient pas. Calypso se sentit à la fois un peu vexée (elle était splendide, merde!) et soulagée (au moins elle n'aurait pas à expliquer pourquoi elle avait mit du rouge-à-lèvres rosé alors qu'elle portait habituellement du rouge).

« Franchement je ne sais pas, éclaire moi. »

Calypso n'était effectivement pas le genre de personne à avoir peur pour rien. En apparence, du moins...
Elle avait vécu suffisamment de choses horribles pour apprendre à ne rien laisser paraître et donc donner l'impression de pouvoir rester stoïque en toute occasion. Lors de l'Alliance Nord-Sud, elle en était même arrivée à un stade où elle donnait l'impression de ne pas avoir peur du clown alors qu'elle ne faisait pourtant pas la fière. Elle était capable de donner le change et même de pousser le bouchon un peu trop loin en frôlant l'insolence mais tout était toujours sous contrôle. Pendant la Guerre Froide, elle avait maintenu une assurance de façade et les rares personnes à connaître ses crises de panique se comptaient sur les doigts d'une main. Mais qu'importe les situations ou les individus croisés, il n'y avait qu'une seule personne sur cette planète qui provoquait un tel vent de panique chez Calypso. Enfin deux mais Andrew était mort et enterré.

« Si je te dis que cette peur viscérale ne me touchait que lorsque je venais te voir dans le Sud. Plus précisément lorsqu'on était dans ton ''bureau'' ? »

Calypso refusait de lâcher le nom d'elle-même : à la fois parce qu'elle voulait que Jason le trouve mais aussi parce que le simple fait de prononcer ce nom la mettait dans un état pas possible.

« Il était, à l'époque, l'équivalent de Sven. »

Tout le monde le pensait mort mais Calypso en était certaine : il était vivant. Ses tripes le lui disait et son signal d'alarme beuglait depuis ce jour : elle avait été dans la même zone que lui. Le Boogie-man était vivant et il n'avait pas encore retrouvé son maître....

« Oh j'aurai pu aller le chercher toute seule mais je tiens à la vie. Et puis, on ne va pas se mentir, je ne suis pas la personne la plus à même d'imaginer ses plans. » et d'ajouter, d'un air distrait « Cela dit mes tripes et mon instinct me hurlent de fuir quand il est dans le périmètre donc on peut aussi s'y fier... Plus je suis à l'aise, moins il est proche. Une sorte de jeu de chaud-froid, quoi. »

Enfin le clown comprit de qui Calypso parlait. La blonde vit ses doigts se figer et sa mâchoire se serrer : Jason ressemblait à un animal prêt à attaquer dans cette position. Enfin, en enlevant le fauteuil. Le clown était bien placé pour savoir qu'il n'y avait qu'une seule personne dans cette ville qui pouvait effrayer Calypso puisque le Boogie-man n'avait jamais caché son envie folle de transformer la Nordique en lampe de chevet ou en médaillon. Et dire que pendant plusieurs mois Calypso s'était tenue dans la même pièce que lui et l'avait même titillé... Aujourd'hui elle avait gagné en sagesse et se rendait bien compte à quel point elle avait bêtement risqué sa vie. Si Jason ne considérait le Boogie-man que comme une pièce remplaçable, à l'époque, ce n'était plus le cas depuis un moment déjà... Si Calypso avait eu la même attitude que dans sa ''jeunesse'', nul doute qu'elle ne serait plus là pour parler.

« Je veux bien croire ton... instinct de survie mais... Tu as dit que vous aviez cherché non ? Qu'il n'y avait aucune trace... j'ai du mal à croire qu'il n'ai pas tenté quelque chose depuis s'il est viv... enfin s'il est dans le coin. »

Calypso comprenait aisément que Jason n'ose pas croire à ce qu'elle racontait, même s'il en avait très envie. S'ils venaient à découvrir que le Boogie-man était finalement bien mort, Jason pourrait ne pas s'en remettre... Pas après l'espoir que Calypso venait de lui agiter sous le nez.

« On a cherché, hein. On a même cherché avec plus d'efficacité que n'importe quel chien de chasse sur-entraîné. On a fait jouer toutes nos relations et nos espions se sont démenés mais, entre nous, ça ne m'étonne même pas qu'on ait rien trouvé. On parle quand même de ton Boogie-man... S'il ne voulait pas être découvert, on ne risquait pas de le trouver au coin d'une ruelle. »

Calypso se rappelait encore de l'agitation qui avait suivit la découverte de Jason, presque mort, à la frontière. Elle se rappelait les réunions d'urgence, les débats jusqu'au petit matin pour déterminer quoi faire, les multiples interrogations et les prises de tête pour savoir qui avait déposé le clown là : le gouvernement, pour les tester ? La Résistance ? Un gang du Sud ? Le Père Noël ?

« Et puis on a cherché comme des Nordiques. Alors oui, on est excellents et on a des pisteurs absolument extraordinaires mais on a plutôt l'habitude de pister des traîtres ou des espions. On a suivit plusieurs pistes et je peux t'assurer qu'on a pas fait dans la demi-mesure mais... comment dire... » Calypso prit le temps de trouver les bons mots « On a des Monstres dans le Nord et ils ont aidé à la traque mais on a aucun monstre de ton gabarit ou de celui de ton Boogie-man... On ne sait pas comment penser comme vous. »

Voilà, c'était dit. Il y avait dans le Nord, des créatures monstrueuses qui pouvaient provoquer des cauchemars au gouvernement mais les monstres ne se ressemblaient pas et il n'y avait qu'un Boogie-man. Les terreurs du Nord avaient cherché à le retrouver mais ils avaient fait choux blanc. D'ailleurs, Calypso ne pouvait pas le savoir mais pour trouver un monstre, il valait mieux employer un être innocent... Et leur chemin allait bientôt en croiser un...

« Et peut-être qu'il est en train de lécher ses plaies et de se réorganiser ? Le Sud a été bien défoncé... Tout est parti en miettes et même si on voulait tout reprendre comme avant, ça prendrait du temps de reformer ton équipe. »

Ils continuaient à avancer, se noyant dans la foule des passants pressés. La chasse au Boogie-man n'enchantait pas trop Calypso car elle préférait se tenir loin de lui mais elle sentait aussi qu'il fallait que les deux monstres se retrouvent.

« Je ne sais pas... enfin, on peut toujours retourner là-bas, faire ce qui te semble le mieux pour chercher des infos de toute manière qui ne tente rien n'a rien. »

Calypso haussa les épaules et dit : « On peut farfouiller, oui. J'ai parfois énormément de chance et aujourd'hui est un jour faste ! Je le sens ! » Elle laissa passer un petit temps de marche avant d'ajouter, d'une voix déterminée : « Tu vas voir, on va le retrouver en vie. Mon instinct ne me trompe jamais. »

Et s'il y avait bien quelque chose qui fonctionnait à plein régime chez Calypso, c'était bien son instinct. Véritable animal dans son genre, Calypso se laissait guider par son instinct et avait toujours réussi à se sortir de toutes les situations. Bien évidemment, son instinct était moins pratique que la chance de cocu de Samson (avec celle-là, ils seraient tombé sur le Boogie-man en tournant à droite) car il était plutôt spécialisé en survie, mais il était néanmoins particulièrement efficace en certitudes. Calypso ne s'avançait pas à affirmer des faits dont elle n'était pas intimement persuadée : le Boogie-man était vivant, ou du moins il l'avait été lorsqu'elle avait fait son shopping et ce n'était pas le genre de bestiole à mourir d'un pauvre rhume. Et si le gouvernement avait réussi à l'attraper, nul doute qu'il aurait eu le droit à des journaux entiers et à une exécution en grande pompe. L'absence de nouvelles était plus que positif.

« S'il avait été attrapé ou si on avait trouvé son corps, ça aurait fait du bruit : on aurait même fait un mémorial à toutes ses victimes, c'est sûr. Donc c'est qu'il est en vie. » affirma-t-elle en poussant la porte d'un café.

Le café était bondé et Calypso ne répondit pas immédiatement au « Et maintenant ? » de Jason. Elle trouva une table et fit partir le couple qui s'y était installé. Habillée en blanc ou pas, Calypso avait l'habitude de se faire obéir et le couple n'avait pas réfléchit longtemps à son argument un peu bidon du fauteuil roulant (il y avait suffisamment de place pour quatre autour de la table). La blonde s'installa donc après avoir fait de la place pour le fauteuil de Jason et étalé ses propres affaires de manière à ce que personne ne songe à s'asseoir à leur table. Un serveur vint prendre leur commande alors même qu'il était indiqué en gros de venir commander au comptoir. Calypso prit un thé et laissa Jason commander ce qu'il voulait. Une fois qu'ils furent servi, Calypso consentit à répondre à Jason : « Et maintenant, on laisse faire mon instinct. On apprend toujours plein de choses dans ce café... Laissons traîner nos oreilles ? » Ce n'était pas forcément la meilleure idée mais la blonde n'en avait pas vraiment d'autres... il fallait bien commencer quelque part...

Harmony était embêtée : elle ne savait pas quoi choisir entre le chocolat chaud, le café glacé et le thé à la vanille. Sa garde-du-corps restait imperturbable à côté d'elle et refusait clairement de s'ennuyer à l'aider à choisir une boisson. La femme était bien trop habituée à Harmony pour ne pas se douter que si elle conseillait une boisson à la petite blonde, il y avait de fortes chances qu'au moment de commander, elle se mette à douter et ralentisse toute la file d'attente. La chanteuse était ici anonymement et sa garde-du-corps n'avait pas l'intention de prendre le risque qu'elle attire l'attention aussi bêtement alors elle attendait, patiemment, que Harmony se décide.

« Ho il y a aussi du thé à la framboise... »

La garde-du-corps laissa échapper un très léger soupir que Harmony n'entendit même pas, trop occupée à détailler une énième fois la carte des boissons. Après vingt bonnes minutes de réflexion pendant lesquelles elle ne vit pas Calypso entrer, Harmony se décida pour un jus de carotte et une part de cheesecake. Sa garde-du-corps commanda pour elle, évitant ainsi à la petite blonde de changer d'avis au dernier moment. Harmony attendit donc patiemment que la grande femme brune fasse la queue, en ne la lâchant pas des yeux, et commande. Pendant ce temps, la petite blonde laissa son regard passer d'un individu à un autre tout en s'interdisant d'enlever ses lunettes de soleil (sa garde-du-corps le lui avait interdit...). Son regard s'arrêta plus longtemps sur un homme de dos assis dans un fauteuil roulant : il avait des cheveux grisâtres et Harmony avait très envie d'aller lui chanter une chanson pour ramener de la joie dans son cœur. Elle s'apprêtait d'ailleurs à faire un pas dans leur direction lorsque sa garde-du-corps posa une main sur son épaule.

« Je connais la jolie blonde là-bas... Est-ce que je peux aller lui parler ? »
« Nous sommes ici incognito, Mademoiselle Chanteloup. »
« Ça veut dire non ? »
« Oui. »
« Ho merci ! »

Et avant que la garde-du-corps ait pu réagir, Harmony trottina jusqu'à la fameuse jolie blonde dont elle avait parlé et qui se trouvait être Calypso Storm, la Reine de l'Académie Weins. La garde-du-corps pesta et se précipita à sa suite en la maudissant de tous les noms dans sa barbe... Harmony se posta au bord de la table et releva très rapidement ses lunettes pour que Calypso puisse voir son visage. La Reine lui sourit en la reconnaissant :

« Harmony... Quel plaisir de te voir. Comment vas-tu ? »
« Ça fait longtemps ! Moi ça va très bien : j'ai acheté un jus de carotte et un cheesecake et j'ai hâte de les manger. Enfin de manger le gâteau et de boire le jus... Ho je te présente ma garde-du-corps, elle est très gentille mais très collante. » Ben oui.... principe d'un garde-du-corps.
Harmony se tourna vers l'homme en fauteuil roulant « C'est ton Papa ? Il a l'air tout triste. Vous voulez que je vous chante une chanson ? ». La garde-du-corps se racla la gorge d'un air menaçant « C'est hors de question. ». Harmony eut un air désolé pour l'homme en fauteuil roulant et ajouta « C'est marrant, vous me rappelez quelqu'un... On ne se serait pas déjà rencontré ? » Ah cette mémoire terrifiante « Oh peut-être que vous êtes venu à un de mes concerts ? » et pourtant complètement inutilisée. La garde-du-corps descendit les yeux pour commencer à fixer l'homme en fauteuil roulant mais elle n'eut pas le temps de l'étudier car Harmony venait de manquer de renverser la théière sur la table. La garde-du-corps fronça les sourcils et songea à traîner par l'oreille la petite blonde hors du café pendant que Harmony, incapable de se rendre compte de l'état intérieur de sa garde-du-corps, continuait à monologuer. « C'est amusant, Calypso, car c'est la deuxième fois en peu de temps que je vois quelqu'un qu'il me semble avoir déjà vu mais qu'il y a un petit truc de changé... Par exemple ton Papa, je lui aurai bien mis les cheveux d'une autre couleur... et un sourire un peu plus... grand ? » Et un rire tonitruant ? « Ho et l'autre jour, j'ai rencontré un très grand monsieur avec des cheveux bruns. Il était très blanc et il avait les yeux noisettes mais moi je suis sûre qu'ils devaient être bleu à la base. Bleu glace, même. »
Ni Harmony ni sa garde-du-corps, toute occupée à vérifier aux alentours que personne ne les regardait, n'aperçurent la légère crispation des mains de Calypso sur sa tasse. La Reine demanda, l'air de rien « Un grand brun avec des yeux bleus glaces... Ha tu as peut-être croisé mon cousin ? Tu l'as vu où ? ». Ravie de ne pas s'être trompée, Harmony reprit « Ha c'est ça ! Il me semblait l'avoir vu vers le commissariat, lors de l'attaque à la bombe... Mais si c'est ton cousin, je l'ai peut-être croisé à un autre moment ? En tout cas je l'ai revu au Jardin des Hespérides. J'ai aidé un homme blessé à terre et il était là aussi. » La garde-du-corps tendit l'oreille car elle se rappelait de ce jour où son ex-collègue avait perdu la petite blonde dans les rues enneigées de New-York. « Ha d'ailleurs l'homme blessé m'avait donné une clef usb. Ton cousin le connaît peut-être ? Tu pourras la lui donner si tu le croise ? » Harmony, sans vraiment attendre de réponse, prit une clef usb dans sa poche et la tendit à Calypso qui la prit en la remerciant. Depuis ce jour, la chanteuse ne quittait pas la clef, au cas-où elle croise de nouveau le chemin de l'homme blessé ou de l'autre. Elle avait toute confiance en Calypso et ne vit pas le regard de sa garde-du-corps s'attarder sur l'objet. La chanteuse s'étira et dit « Ça m'a fait plaisir de te parler. J'espère qu'on se verra bientôt ! Passe le bonjour à ton cousin si tu le vois. »
Et la chanteuse sortit du café, suivit par sa garde-du-corps comme si tout ce qui venait de se passer n'était qu'un rêve. Mais la clef usb entre les doigts de Calypso était, elle, bien réelle.

« On peut, sinon il reste l'option de lire dans les entrailles des clients mais mon vaudou est un peu rouillé et c'est assez salissant. Qui plus est le sang sur du blanc c'est une galère à nettoyer. »

Calypso laissa un sourire répondre à sa place : si Jason recommençait à blaguer comme ça, c'est qu'il allait déjà un peu mieux. Elle avait fait le bon choix en le sortant du Nord, elle en avait maintenant la certitude. Et quant au sang sur le blanc, c'était effectivement insupportable à nettoyer... Elle avait d'ailleurs jeté son tee-shirt blanc le jour où elle avait tiré une balle sur Frederic Host car la perspective de passer du temps à le laver pour un résultat très moyen ne l'avait pas motivée. Et aujourd'hui elle était habillée en blanc alors s'ils commençaient à éventrer tous les clients, elle allait avoir du mal à justifier une tenue rouge sanglante... Et puis elle l'aimait bien ce café...

Elle trinqua avec Jason car même s'ils ne buvaient pas d'alcool, le geste restait sympathique. Calypso laissa ensuite ses oreilles traîner tout en détaillant un par un les individus dans la pièce. Certaines discussions étaient franchement inintéressantes, comme ces deux commères qui parlaient climat et jeunesse décadente, mais d'autres la titillaient... Deux lycéennes parlaient d'un mec qu'elles comptaient draguer et la description qu'elles en faisaient ne laissait aucun doute sur celui dont elle parlait : James Miller. En temps normal, Calypso aurait juste trouver ça risible (franchement... quel manque de goût!) mais les filles disaient l'avoir vu lors d'un rassemblement secret et illégal de mécontents. Elles y étaient sûrement allées pour trouver des sensations fortes et l'impression de se rebeller leur avait sûrement fichu la chair de poule mais qu'est-ce que James Miller, Platine et capitaine de l'équipe de football américain, faisait dans un rassemblement anti-gouvernement ? C'était une énigme qui valait la peine d'être creusée... Calypso pourrait peut-être même faire du chantage ? Une Platine anti-gouvernement, ça n'était pas banal !
Un homme au téléphone pestait pour avoir des renseignements et s'il ressemblait à Monsieur Tout-le-monde, Calypso le reconnu immédiatement : c'était un journaliste spécialisé en articles dénonçant des « attitudes anti-solidaires» : il critiquait ouvertement les individus qu'il jugeait trop peu patriotes. Il s'attaquait à tout et ses preuves étaient souvent risibles (Madame X s'était fait livrer un aspirateur d'Afrique alors que ceux produits aux États-Unis étaient bien mieux et, ce faisant, elle provoquait le chômage à elle toute-seule). Calypso haïssait ses articles mais elle savait qu'ils étaient énormément lus et même à l'Académie, elle entendait dans les couloirs les fameux « tu ne sais pas quoi ? Il paraît que... » qui finissaient interminablement par « Ils devraient avoir honte d'être aussi peu patriotiques. Et ce sont eux qui iront demander des aides ! ». Ce type lui donnait envie de vomir et elle croisa les doigts pour qu'il n'obtienne pas les renseignements qu'il attendait. Qu'il poireaute, ça lui apprendrait la vie !
Elle sentit soudain que quelqu'un la regardait un peu trop fixement. Elle guetta l'auteur du regard qui lui chauffait le dos et ses yeux tombèrent sur une petite blonde avec de grandes lunettes de soleil. Sa tête lui disait quelque chose, Calypso était sûre et certaine de l'avoir déjà rencontrée... Et la grande femme brune immobile à côté d'elle la mettait mal à l'aise. Où l'avait-elle déjà vue ?
Lorsque la petite blonde se mit en marche, la solution sauta aux yeux de Calypso: c'était Harmony Chanteloup ! Donc la femme à côté devait être sa garde-du-corps. Pourquoi est-ce qu'elle mettait autant Calypso mal à la l'aise restait, par contre, un mystère. Est-ce qu'elle l'avait entr'aperçu ailleurs qu'auprès de Harmony ? Ou alors elle l'avait entendu dire quelque chose de particulier ? Un souvenir gratta pour revenir à la surface mais il fut complètement soufflé par l'arrivée de Harmony.

La Chanteuse Officielle se mit à parler de tout et de rien, comme à son habitude, et Calypso vit Jason prendre la fuite intellectuellement. Elle ne risquait pas de lui en vouloir car si on n'avait pas l'habitude de Harmony, on ne résistait pas à son flot ininterrompu de paroles. Harmony passait du coq à l'âne avec une telle dextérité que si on était pas prêt, on ne pouvait pas arriver à la suivre. Calypso l'avait côtoyée une année à l'Académie et n'avait, extraordinairement, pas perdu l'habitude de ne prendre que les informations intéressantes et de ne répondre qu'au bon moment pour ne pas la relancer sur un autre sujet. Grâce à son savoir-faire apprit sur le dur (obligée de collaborer avec elle à l'Académie et donc de la supporter pendant plus de deux heures tous les jours...), Calypso réussit à orienter la conversation discrètement sans que personne ne s'en rende compte. Elle obtint des informations auxquelles elle ne s'attendait pas et une clef usb dont elle ignorait l'existence quelques minutes plus tôt. Et puis Harmony disparut aussi vite qu'elle était apparu, laissant un silence de plomb s'installer entre Jason et Calypso, l'un occupé à revenir à lui et l'autre occupée à tenter vainement de percer le secret de la clef usb juste en la regardant.

« J'ai perdu le fil... elle a dit quelque chose de... d'utile ? Et puis, c'était qui au fait ? »

Calypso reprit ses esprits et sourit à Jason : « Ça, c'est Harmony Chanteloup : la chanteuse officielle du gouvernement. C'est une ancienne Platine de l'Académie, j'ai dû la côtoyer pendant un an : c'est un bolide de course avec une voix vraiment magnifique mais elle a la concentration d'un bébé de deux mois et elle vit clairement dans un autre monde. » Calypso but une gorgée de thé avant d'ajouter « Pour réussir à survivre à un dialogue avec elle, il faut de la pratique et on est très peu nombreux à pouvoir le faire dans cette ville. J'ai dû travailler avec elle pendant un an du coup maintenant je réussis à m'en sortir mais au début, je m'évanouissais presque et j'avais l'impression d'être passée sous un train. » Elle regarda Jason en haussant les épaules et dit « Elle est gentille et il n'y a pas une once de méchanceté en elle mais elle voit le bien partout... Je pense qu'on lui a mis une garde-du-corps uniquement pour l'empêcher de se fourrer dans des situations pas possibles... Si elle t'avait croisée au moment d'un de tes attentats, tu peux être sûr qu'elle t'aurait fait un câlin et t'aurait remercié si tu l'avais flinguée. Elle est très impressionnante dans son genre. »

Calypso se tut le temps qu'un serveur lui apporte un muffin ''cadeau de la maison'' puis reprit, imperturbable : « Mais s'il y a bien une chose à retenir d'Harmony, c'est qu'elle a la mémoire d'un éléphant. Elle n'oublie strictement rien. Mais par contre, elle a un instinct proche du néant et si elle n'oublie rien, elle n'est pas foutu d'utiliser sa mémoire au bon moment. Donc là, elle vient de nous filer plein d'informations mais elle ne s'en est sûrement pas rendu compte. »

Calypso coupa le muffin en deux et tendit la moitié à Jason avant de croquer dans la sienne. « Ce qu'il faut retenir de ce moment hors du temps c'est que Harmony a vu le Boogie-man au Jardin des Hespérides et qu'il y avait un homme blessé à ses pieds. Elle a aussi dit qu'il avait les yeux noisettes donc ça veut dire qu'il se déguise. Elle m'a aussi donné une clef usb que l'homme blessé lui a donné mais ça, pour le coup, ça me laisse perplexe. Je la filerai aux hackers du Nord. » Elle entreprit de résumer comment elle avait réussit à sortir autant d'informations de ce flot de paroles ininterrompu : « Harmony est arrivée au commissariat juste après ton attentat et je sais de source sûre qu'elle a vu le Boogie-man et Alonso. Elle a dû voir ton affiche au commissariat, ce qui expliquerait qu'elle pense t'avoir déjà vu alors qu'elle ne peut pas t'avoir croisé car sinon, tu t'en souviendrais. Elle a ensuite croisé de nouveau ton Boogie-man au Jardin des Hespérides car elle l'a vu au commissariat et elle a été capable de voir à travers son déguisement tout comme elle a vu à travers toi aujourd'hui. Si elle s'en est sortie vivante, c'est soit que le Boogie-man est tombé sous son charme, ce qui est impossible, soit qu'il n'a pas pu la tuer pour une raison technique, ce qui pourrait s'expliquer par sa volonté de rester incognito. »

Elle conclut en souriant : « Harmony est un extraterrestre mais elle ne ment jamais et je me fie sans soucis à ce dont elle se rappelle. Ça veut donc dire que ton Boogie-man est vivant et qu'il se cache sous une apparence lambda. Ça explique donc pourquoi je ne l'ai pas repéré dans la foule lorsque j'ai senti son regard... Tout devient logique. » Elle termina sa tasse de thé et demanda, des étoiles dans les yeux « Alors, on fait quoi maintenant ? »

La description terriblement vraie de Harmony en chien de salon avec un flair de limier fit sourire Calypso : Jason avait parfaitement résumé la situation. La Reine avait toujours été choquée lorsque, travaillant avec Harmony à l'Académie, la chanteuse avait trouvé des parallèles entre différentes situations ou individus en usant d'une finesse d'esprit déconcertante sans que ses deux neurones actent l'information. Comment pouvait-elle être aussi intelligente et aussi bête à la fois ? Il y avait quelque chose d'étrange chez cette fille et Calypso avait fini par l'accepter comme elle était, à savoir une mine d'informations pour peu qu'on sache la manier.

Concernant le fait que le Boogie-man ne l'ait pas tuée, les explications de Jason sonnaient vraies. Il aurait été totalement stupide de tuer la chanteuse officielle du gouvernement : ça aurait mit le pays entier à ses trousses et même si le Boogie-man était monstrueux, il ne pouvait décemment venir à bout d'autant de personnes, surtout en étant seul. On pouvait tuer beaucoup de personnes dans cette ville mais tuer Harmony, c'était une erreur digne d'un abruti fini. Or le Boogie-man n'était clairement pas idiot... « C'est bien ce que je pensais... Et puis tu dois être la seule personne dans cette ville à ne pas connaître Harmony donc je pense que ton Boogie-man sait exactement qui elle est et qu'il l'a laissé s'échapper pour assurer sa couverture, comme tu le disais. Il en fait peut-être des cauchemars en ce moment, cela dit... » Concernant le fait que le Boogie-man ne tuait pas ce genre de victime, Calypso ne dit rien : elle ne connaissait pas assez l'individu et n'avait, d'ailleurs, pas envie d'en savoir plus à ce propos. Calypso se concentrait sur sa tâche mais ça ne l'empêchait pas d'avoir des frissons rien qu'à réaliser que le regard du Boogie-man s'était posé sur elle l'autre jour. Erk.

« Oui, sortons. Je ne pense pas qu'on tombera sur un autre miracle ici. »

Elle se leva et suivit Jason sans s'excuser auprès des deux mégères qui, n'osant pas attaquer l'handicapé, la regardait mal en s'attendant à ce qu'elle s'excuse. Elles pouvaient attendre longtemps et Calypso ne leur accorda même pas un regard. Une fois dehors, elle laissa Jason fumer une cigarette et en profita pour mettre ses gants et réajuster son écharpe. Qu'il ait peu d'espoir n'étonna pas Calypso : elle était nettement moins attachée au Boogie-man alors elle pouvait se permettre d'espérer. Et s'il était mort, elle ne se cachait pas que cela l'arrangeait. Ce n'était pas le cas de Jason alors rien d'étonnant à ce qu'il préfère rester négatif. « Je comprends, ne t'inquiète pas. C'est sûr que j'ai l'impression d'être dans un film avec ces informations données par une chanteuse et juste mon instinct pour me diriger... mais bon, on ne risque rien à essayer. Au pire, ça nous fait une journée à se balader dans les coins les moins fréquentables de la ville... ». Elle regarda les gens passer autour d'eux sans reconnaître d'autre visage connu que celui d'une espionne Nordique qui ne lui adressa pas un regard. La jeune femme rousse habitait officiellement à l'Est et travaillait dans une entreprise d’État. Elle était en ce moment sur une piste un peu particulière car elle avait découvert qu'une partie de la production de l'entreprise disparaissait mystérieusement. Ça aurait pu être un banal détournement mais la rousse avait réussit à découvrir que la production volée arrivait dans une autre entreprise puis dans une autre et disparaissait sans profiter à personne, le tout avec l'assentiment de l’État. Elle avait décidé de découvrir ce qui se tramait et Calypso la savait assez acharnée pour mener à bien son enquête. Elle restait néanmoins sous surveillance nordique afin de la rapatrier d'urgence en cas de couverture éventrée.

« Longeons l'avenue on ne perd rien à essayer, de mémoire à un croisement on peut tomber sur une ruelle moins fréquentée, le derrière des boutiques en fait. Pas mal de jeunes traînent là, à voir s'ils auraient été témoins de choses pas très claires ou d'actions pas très honnêtes. »

Calypso tourna la tête et cessa de dévisager un homme qui, appuyé contre un mur, tentait sans succès d'allumer une cigarette. La perspective d'aller voir des gamins insupportables ne l'enchantait pas des masses mais Jason avait raison : s'il y avait quelque chose de bizarre, les sales mômes étaient toujours les premiers informés. Calypso et Jason longèrent donc l'avenue et ils tournèrent lorsque la ruelle se présenta à eux. Il y avait, malgré le temps, quelques jeunes en train de fumer et de rire entre eux. Calypso les regarda d'un air méprisant, quel ramassis d'abrutis !, avant de se reprendre pour coller sur son visage un sourire factice. Elle chuchota à Jason « Je te laisse mener la danse... Je ne suis pas bonne avec les groupes comme ça... » Ça ne lui rappelait pas de très bons souvenirs et d'ordinaire elle avait Taleh et Sven à ses côtés et ils rendaient cela bien plus facile. Pour l'instant, elle se contenterait de jouer la potiche mais s'ils allaient trop loin, elle distribuerait des poings et ils comprendraient vite pourquoi elle portait des grosses bagues aux doigts...