Que la ville flambe, que tout ici disparaisse demain c’est sans importance. Quand bien même Lecter a mis tant d’années à construire un empire à son image il veut bien tout perdre tant qu’il ne reste pas seul à en contempler les décombres. Si un jour, en haut d’un immeuble branlant il regardait son antre et son royaume dévorés par les flammes il y aurait du vague à l’âme dans l’air mais si à ce moment Boogie se dresse à ses côtés la note sera différente. Elle laissera entendre que rien n’est fini, que tout peut encore se faire ailleurs, ensemble ils n’ont rien à redouter et le Chaos aura encore de belles années devant lui. Plus jamais seuls.
Ils auront mis du temps pour en venir à ces conclusions, songer que l’un ne va plus sans l’autre mais tout est dit et plus rien ne changera. Les chaînes comptent de nouveaux maillons, devenues infinies et plus rien ne les rendra fragiles. La boucle est bouclée comme dirait l’autre. Cette nuit était comme une certaine autre au son de l’orage, révélation et nouveau serment, ils ont fait un pas plus loin. Rien n’était inutile.

Sans faux semblants Lecter avoue avoir forgé un piège infernal dont il est l’unique proie, avoir crée en Boogie une véritable prison où il réside en solitaire égoïste qui ne saurait subir la moindre invasion. Il a lui même éprouvé la résistance de son refuge, l’a malmené à nombreuse reprises et c’est fièrement qu’il peut aujourd’hui le déclarer imprenable, inébranlable. Pas prêteuse l’araignée et elle reconnaît aussi avoir enfermé soigneusement le chat à ses côtés. Ce n'était pas pour combler un vide que Jason avait accueillit Alastor Burton à ses côtés à l'époque ; car le Clown si ancré dans un éternel présent ne voyait aucun intérêt à s'entourer. Selon lui aucune relation n'était définitive et les gens étaient facilement remplaçables, à quoi bon attendre d'eux la reconnaissance ? L'attention ou le reste ? Ce qu'on pensait de lui l'indifférait profondément et c'est encore le cas en ce qui concerne le commun des mortels. Au départ, sans doute avait-il pensé trouver en cet homme à la fois sauvage et froid de quoi se distraire, quelqu'un à qui parler sans recevoir un regard horrifié en retour. Mais le temps passa, fila jusqu'à faire de celui qui était un homme de confiance et un fidèle, une présence indispensable et un éternel favori dans l'univers Lecterien. Car s'il est celui qui possède le plus de devoirs, Boogie est le seul, l'unique à avoir acquis tant de droits.
 
La bête de soie noire approche, murmure qu’elle n’a pas envie de partir même si demain elle retrouvait sa liberté totale. Alors la bête d’écailles sourit, hoche lentement la tête et la suite clos magistralement leurs promesses. Les bêtes ont voulu, elles ont choisi leur sort et n’ont jamais été forcées. Chaque ligne de ce conte tordu leur appartient et elles seules en signeront la fin. C’est dit, c’est promis. Sur le même ton la voix poursuit, teinté d’une note charmeuse. « Et si tu es auprès de moi depuis si longtemps, c’est parce que je ne veux personne d’autre. »

Elle est trop belle cette occasion, trop exquise cette bulle qui les entoure. Ce matin même plus besoin de se soucier d’une attaque éventuelle de la part de la mafia, le dernier indice concernant leur « cachette » était une voiture qui n’est plus là et ils sont tranquilles. À moins qu’ils décident de quitter les lieux et de retourner à leur train train quotidien tout invite à paresser, à profiter de ce repos désiré et partagé. Repos … peut-être pas tant si Lecter décide de repousser Morphée au loin. N’abuse donc pas Jason, c’est toi qui parlais de ne rien faire. Ou rien faire de tordu, de son point de vue c’est du pareil au même. Ils verront bien et peut-être qu’ils s’endormiront simplement sans même l’avoir choisi.
Pour le moment le serpent est présent, il tend un bras et le referme autour du chat pour l’amener contre sa poitrine et caresser son dos du bout des ongles, étreinte toujours possessive où la raison s’évapore sans mal ni douleur. Envie de retourner toucher l’Enfer Jason ? Oui, toujours oui. Jamais de fin aux bonnes choses, jamais envie de refuser les opportunités lorsqu’elles sont si judicieusement servies. Je veux je prends toujours, pas besoin d’excuses pour revenir à ce principe qui lui colle à la peau. Après un tel discours le silence et l’inaction seraient trop ennuyeux, trop tentants pour les petites voix vicieuses qui en profiteraient pour souffler des conseils de prudence, de retenue non … non ce n’est pas leur heure. Plus tard peut-être, quand ils seront de retour au repère et auront moins cette sensation de liberté. Pas âme qui vive ici mais ce n’est pas le cas chez eux, ça ne dort jamais et ça laisse trop peu de temps pour s’alanguir, se détendre à ce point.

Plus de mot, les bêtes s’entendent dans leur langage. Le noir retrouve le bleu et une oeillade suffit, un simple sourire. Un reviens moi encore, un retournons-y. Ils ne se damneront pas d’avantage, le parjure est déjà total. Le décor de saphir et d’obsidienne réapparaît, étend ses lacs tièdes et ses déserts infinis. Un soupir file au commencement d’un baiser où la saveur n’est plus celle d’un alcool qui endort mais celle d’un café qui éveille. Plus jamais de coupables sur qui rejeter la faute, les bêtes veulent et prennent en toute conscience de cause. Vis seconde par seconde, profite annonce souvent le Clown. Mieux vaut dans son monde, rien ne dure.

À cette tendresse bizarre et cette langueur sulfureuse pourrait succéder demain ou plus tard des cris et des colères, le retour de celui qui pour un oui ou un non abat quiconque se trouve en travers de sa route. On pourrait l’entendre rire, dans son coin à trafiquer le diable seul sait quoi ou pire il pourrait revenir à son plus affreux visage, jouer du chantage et blesser sans remords, massacrer corps et esprits il faudra seulement faire avec. Bientôt le blond retrouvera son vert acide, le visage reprendra son masque, le corps son costume et l’acteur en reviendra à son mauvais rôle, s’enfonçant toujours plus loin dans sa propre folie. Jusqu’à la prochaine erreur, le prochain choc qui forcera une accalmie. S’élever, tomber, se relever, avancer, s’élever, tomber et ainsi de suite. Possible que Lecter ne revienne pas de lui même à cet état, ces instants d’abandon car le Chaos grondera bien plus fort que la folie et enverra son Clown à la guerre, à la mort en lui interdisant tout autre plaisir que celui de la destruction. Ce sera à voir … à moins que d’ici là le venin auquel ils ont goûté ne soit devenu une drogue ? Allez savoir.