Qu'est-ce qu'on peut s'ennuyer, un jour où les élèves sont autorisés à sortir ! Rester dans l'enceinte de l'école, je ne pouvais pas. Rien que de penser au fait que des élèves pouvaient s'entretuer, rien que de penser au fait que moi, je pourrais être le centre de ces querelles de pauvres lycéens qui n'en avaient rien à faire avec leur propre vie. Je devrais être plus sévère avec eux, les remettre sur le droit chemin, leur expliquer maintes choses, qui allaient de la plus basique comme on ne fume pas dans l'enceinte de l'établissement jusqu'au truc le plus tabou comme on se protège lors des rapports. Mais je n'osais pas. Je n'osais rien. Avais-je peur ? Peut-être bien... Je n'avais pas envie que ma vie se termine aussi misérablement, dans un pauvre lycée pour élèves complètement paumés et qui avaient besoin d'aide ( une aide qu'ils s'amusaient à mettre dans un endroit qu'on ne dévoile généralement pas aux autres ). Parfois, ça m'exaspérait tellement que je m'effondrais le soir, en n'ayant plus l'envie de recommencer le lendemain. Mais, il fallait bien que je gagne ma vie, que je paye mon loyer, la nourriture et quelques fringues ! Et accessoirement, que j'économise pour me racheter une nouvelle voiture, l'ancienne ayant été mystérieusement taguée et dégradée au point de ne plus rien reconnaître. Quel manque indéniable d'éducation ! Même les flics se trouvaient parfois impuissants face à une telle vague d'insolence et de violence. Bienvenue dans la génération de l'an 3000.
Pour occuper ce temps que je dépensais à surveiller ces sales mômes, je m'accordais deux jours de libre, l'un à la suite de l'autre. Bon là, j'entame mon deuxième jour. Qu'est-ce que c'est bon, d'avoir du temps pour soi ! Pouvoir se promener dans les rues, faire du lèche-vitrine, prendre un café au bar du coin, faire chauffer sa carte bleue... Que du bonheur ! Je retrouvais quelques amies, discutais de chaussures, de maquillage et des nouvelles conquêtes de ces dernières ( à mon grand dam car je ne pouvais pas prétendre avoir quelqu'un sachant que la plupart de mes aventures se sont mal terminées ou n'ont été que brèves foutages de gueule ou encore de brèves aventures sans lendemain. Que des idiots, ces gars-là. Je suis bien trop gentille pour dire quoi que ce soit. Je suis tellement gentille que la seule chose dont je suis capable, c'est me laisser marcher sur les pieds et après, me morfondre dans ma piteuse désolation. Alors, j'écoutais mes amies, une lueur d'envie dans le regard et de la déception dans le cœur. Pour compenser ma solitude alarmante, j'entrais dans un Virgin Megastore dans l'espoir d'acheter un bouquin qui me divertirait. Mais, j'irais aussi faire un saut par les dvd. Je n'avais plus vu de films depuis un long moment.
D'un film de Charlie Chaplin jusqu'au dernier Harry Potter en date en passant par Avatar 3 et autres films à grand succès, il y avait du choix ! Je me penchais vers un film de Chaplin que j'avais vu bien des années auparavant. Puis, je me penchais pour une comédie musicale niaise du nom d'High School Musical ou un film tellement cucul la praline que citer son nom serait une aberration pour la planète entière. Je me penchas pour Avatar 1, 2 et 3. La couverture de ces films m'intéressait au plus haut point. Et autant dire que l'acteur... M'enfin, là n'était pas le problème. Je lisais les résumés, avide d'en savoir plus. Mais, je sentis un regard posé sur moi. Pesant, ce regard puisque je n'arrivais pas à me débarrasser de cette sensation gênante. Je tournais la tête à gauche, à droite, mais personne. Ils étaient tous absorbés dans la lecture de résumés de dvd. Je me retournais. Oui, on m'épiait. Je voyais à présent la tête du bonhomme. Bon, je n'irais pas jusqu'à dire qu'il était horriblement laid; j'ai vu pire, rassurez-vous. Mais il y a quelque chose en lui qui avait du charme. Quoi ? Je ne saurais le dire. Quelques secondes durant, je le fixais, me demandant ce qu'il me voulait. Puis, je secouais ma tignasse aux reflets roux et revins à mes moutons. Bon, peut-être que j'achèterais les trois dvd...

Il y avait trop de choix, beaucoup trop de choix. Parmi tous ces dvd, je ne savais plus où donner de la tête. Il y avait beaucoup trop de choix et cela m'énervait un peu. Ne pouvait-on pas dire « STOP » au cinéma ? Ça serait bien... Mais, je me voyais mal devoir faire les brocantes, à la recherche de la perle rare. Les vieux films se démodaient. Quel intérêt, désormais, de regarder Le Titanic ? Qui voudrait voir Chantons sous la pluie ? Plus personne. La technologie s'emparait de tous les domaines. Même Transformers ou Iron Man, à côté des films sortis le mois dernier, paraissaient ridicules, dépassés de mode, défraichis. Pourtant, c'est ce qui me plaisait. En travaillant à l'Académie Weins, j'avais appris à me défaire de toutes les stupidités qui sortaient en magasins. Les ordinateurs pas plus gros qu'un téléphone portable et tout aussi performant que les diplodocus qu'on avait pu avoir, bien des années auparavant. J'avais appris à apprécier les livres en papier, dont les pages jaunissaient au fil des ans et dont les pages sont réparées par du scotch, au dépens des livres électroniques. J'avais appris à aimer les vieux films, au dépens des nouveaux.
Je sentais peser sur moi un regard, qui semblait se faire insistant au fil des minutes. Je me concentrais sur les dvd, mais ce regard... Ce regard, je le sentais. De plus en plus. Je jetais des coups d'œil à gauche puis à droite. Au début, je ne vis rien. Je cherchais d'où cela pouvait venir. Mon regard tomba sur un homme, que je fixais quelques secondes avant de reporter mon attention sur les vidéos en boîte étalées devant moi. Et, j'entendis un bruit. Un dvd était au sol. Apparemment, l'homme était d'une maladresse sans pareille. Et, il s'avança d'une démarche de canard vers moi. Imaginez un gros canard, au fier plumage, sûr de lui comme il n'est pas permis, se dandiner tout en marchant. Déjà que quand il s'était appuyé au mur, je le trouvais d'une ringardise totale. Je me mis à soupirer, certaine qu'il allait me taper sur le système. Pas loupé, il m'adressa la parole.

« Déjà, le '' beauté '', tu peux l'enlever. Et ensuite je te dirais bonjour. »

Je baissais ma tête vers les dvd que l'homme tenait entre ses mains. Ainsi donc, il avait Le Choc des Titans et un dvd Seule sous la pluie, que Mary n'avait pas vu. Rien qu'en ne voyant le parapluie et le titre flashy s'étalant sur la jacket, je doutais fort de la somptuosité réelle du film, et de l'intelligence qu'il apporterait à celui qui le regarderait. Je haussais les sourcils, tout en relevant la tête vers le mec qui m'avait parlé.

« Je crois que c'est bon. J'ai ce qu'il me faut. Merci quand même de votre proposition ! »

Je me retournais d'un air affairé et m'occupais à scruter d'autres films, que je n'avais point vu. Mais je sentais toujours sa présence dans mon dos. Alors, je lui fis de nouveau face et d'une voix où le sourire perçait, je lui demandais :

« Vous comptez prendre racine ici ou bien ? »